Publié le 5 Nov 2019 - 21:00
PROROGATION MANDAT DES ELUS LOCAUX

La société civile durcit le ton 

 

Une souveraineté populaire mise à rude épreuve, un calendrier électoral déstructuré, un dialogue politique coûteux qui s’enlise… Les maux dont souffre la démocratie sénégalaise sont multiples et ont poussé plusieurs organisations de la société civile à se donner la main pour dénoncer, hier, ‘’l’illégalité’’ de plus en plus érigée en norme de gouvernance par le pouvoir en place.

 

Capable du meilleur en matière de pratiques démocratiques, le Sénégal est aussi susceptible du pire. Par exemple, alors même que la Constitution fixe la durée du mandat des élus locaux à 5 ans, le président de la République prend sur lui la prérogative de le proroger pour une durée jusque-là indéterminée. Par la voie de Valdiodio Ndiaye, la société civile, en conférence de presse hier, s’émeut : ‘’Le problème de fond, aujourd’hui, c’est qu’on ne peut pas laisser les hommes politiques prendre en otage 16 millions de Sénégalais. Ces derniers ont élu au mois de juin 2014, pour un mandat de 5 ans, un groupe de Sénégalais. Normalement, au bout de ces 5 ans, ce groupe doit remettre leur mandat en jeu. On n’a pas le droit de laisser les politiques s’entendre entre eux pour redéfinir notre existence. C’est une question de souveraineté du peuple qui se pose.’’

Cette situation est inédite, si l’on en croit le directeur de l’Ong 3D, Moundiaye Cissé. En fait, le report en soi n’est pas scandaleux. En revanche, le fait de reporter sans décider des nouvelles dates est inadmissible. ‘’Aujourd’hui, s’épouvante M. Cissé, l’horloge électorale, au Sénégal, est totalement bloquée. Personne ne peut dire quand est-ce qu’on va organiser les élections locales ? Quand est-ce on va organiser les législatives ? Certains prêtent même au pouvoir la volonté de coupler les Législatives et la Présidentielle. C’est ce que nous dénonçons.  Il est temps d’y remédier’’.

Et comme s’il s’agissait là d’une crainte existentielle, Valdiodio se veut plus tranchant : ‘’Si on laisse faire aujourd’hui, que personne ne revienne, demain, pour dire : on a acté le principe de coupler les élections législatives de 2022 à la Présidentielle de 2024. Parce que ça démarre toujours comme ça dans les pays de la sous-région. Soit on est dans une démocratie, on organise les élections à date, soit on ne l’est pas du tout.’’

Dialogue politique : des per diem, de la restauration et un hôtel pendant 6 mois

Mais pourquoi poser le débat sur la place publique maintenant, alors que certains des membres de cette plateforme sont parties prenantes du dialogue politique ? Après avoir signalé que la société civile n’a que 4 représentants dans la commission cellulaire, contre notamment 20 membres pour l’opposition, 20 pour les non-alignés, 20 pour le pouvoir, 20 pour l’Administration, les participants se défendent : ‘’Il faut savoir que dans le dialogue politique, on a défini un code de conduite. Celui-ci prévoit que quand on s’accorde sur quelque chose, c’est acté et on avance. Mais chacun a sa liberté de dire s’il est d’accord ou non.’’ En ce qui les concerne, il n’a jamais été question d’être contre le report qui s’imposait, mais simplement ‘’de dire non à tout report non encadré’’.

Dans un contexte où la décentralisation est souventes fois chantée, la plateforme parle de ‘’banalisation’’ des élections locales. ‘’On a fait plus de 10 présidentielles, jamais de report, 10 législatives pour un seul report. Mais depuis 1984, jamais les locales n’ont été tenues à date échue. Cela veut dire que, quelque part, on ne respecte pas ces élections’’.

Au-delà de ces questions substantielles, la société civile s’interroge également sur l’efficacité du dialogue politique qui ressemble à une discussion sans fin. A en croire la plateforme, l’Etat a tout intérêt à davantage encadrer le dialogue, à se rattraper, en fixant un délai aux parties prenantes pour mettre un terme aux dépenses évitables.

En effet, il ressort des témoignages que le dialogue coûte beaucoup d’argent au contribuable sénégalais. A titre illustratif, les intervenants donnent l’exemple des 100 membres à qui il faut trouver une grande salle dans un hôtel de la place, à qui il faut assurer la restauration et des per diem (transports)… ‘’Combien tout cela nous coûte ?, s’interroge Moundiaye Cissé. Un dialogue, il faut l’encadrer. On ne peut pas faire un dialogue ad vitam aeternam. C’est inadmissible. Il est temps de redéfinir les choses. D’habitude, les dialogues ne dépassaient même pas trois mois. Là, on en est à six mois ; ça suffit !’’.

En fait, ce dialogue politique, qui en est à sa 34e session, est le dialogue le plus long depuis les années 1990, selon Moundiaye Cissé. Le bilan financier risque d’être très lourd, si l’on n’y prend garde, selon certains intervenants qui interpellent l’Etat sur la question.

En effet, chaque semaine, ce dialogue réunit, les mardis et jeudis, 100 personnes environ. A chaque fois, les séances sont entrecoupées par des pauses-café et déjeuner.

Pendant ce temps, le président du Comité de pilotage du dialogue national, dont la nomination a été portée à la connaissance du public le 1er mai, attend toujours d’être installé dans ses fonctions. Aujourd’hui, Famara Ibrahima Sagna est complètement paralysé par le chef de l’Etat. Résultat : tout s’enlise. A l’instar du Forum civil, Moundiaye Cissé crie sa désolation : ‘’Des décisions ont déjà été actées par la Commission cellulaire, mais on n’avance pas puisque le dialogue national, qui doit les matérialiser, n’existe pas encore. Par exemple, c’est le dialogue national qui doit prendre en charge l’audit du fichier acté par le dialogue politique. Cela pose un grand problème’’.

Comme si l’Etat marchait sur la tête, serait-on tenté de dire, il a ainsi mis au monde le bébé, avant même de donner naissance à son père, selon la caricature de M. Cissé. Il déclare : ‘’Le problème, c’est que le dialogue politique est né avant même le dialogue national. C’est-à-dire que le bébé est né avant le père.’’

Au demeurant, alors que le dialogue national est complètement bloqué du fait de la non-installation de son président Famara Ibrahima Sagna, le dialogue officieux, lui, semble se dérouler comme sur des roulettes. Khalifa Ababacar Sall est libéré, Abdoulaye Wade et Macky Sall se sont retrouvés… Le tout, au nez et à la barbe de M. Sagna qui se cherche encore.

Dès lors, certains se demandent si le président de la République n’accorde pas plus de crédit au dialogue souterrain et nébuleux qu’à celui formel et visible. Moundiaye Cissé constate : ‘’Nous avons deux dialogues : le dialogue formel et le dialogue informel qui se fait en dehors de la commission cellulaire. Et c’est ce qui pose problème.’’

RECOMMANDATIONS

Pour des élections locales en juin 2020

Après ce diagnostic assez sévère sur la situation actuelle, la société civile s’est voulue pragmatique, en faisant un certain nombre de recommandations aux pouvoirs publics. D’abord, il s’agit de la tenue des élections départementales et municipales au plus tard le dimanche 28 juin 2020.

Ensuite, les amis de Valdiodio Ndiaye demandent l'évaluation de l'élection présidentielle du 24 février 2019 et l'élaboration des Tdr de l'audit du fichier électoral par la Commission du dialogue politique au plus tard fin novembre 2019. Selon les membres de la plateforme, l'audit complémentaire du fichier électoral doit se faire dans le courant décembre 2019-janvier 2020, suivie de la révision exceptionnelle, de la publication des listes électorales et du contentieux entre la mi-janvier et la mi-février 2020. La plateforme sollicite également la sécurisation et l'encadrement de la durée du mandat des élus territoriaux par la Constitution.

‘’En décidant de proroger le mandat des conseillers départementaux et municipaux sans en fixer une limite, le législateur sort du cadre légal défini par l’article 67 de la Constitution et porte atteinte à la Constitution, au Code électoral et au Code général des collectivités territoriales’’, regrettent les signataires de la déclaration liminaire. En l’occurrence : Cosce (Collectif des organisations de la société civile pour les élections), Ondh, Raddho, Handicap Formeduc, Forum du justiciable, Ong 3D, Pfane, Ajed, Urac, Osidea, Afrikajom Center…

Pour rappel, le 28 octobre 2019, le gouvernement du Sénégal a publié l’adoption d’un projet de loi n°15/2019 portant report des élections prévues le 1er décembre 2019 et prorogation du mandat des conseillers départementaux et municipaux qui doit être soumis à l’Assemblée nationale.

MOR AMAR

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