Publié le 29 Jul 2020 - 22:21
PROSTITUTION, HOMOSEXUALITÉ, ADULTERE, FRANC-MAÇONNERIE

Les images de la déviance 

 

Les chaines de télévision investissent de plus en plus dans les téléfilms. Cette course au meilleur contenu n’est pas sans conséquence, surtout lorsque des thèmes sensibles sont abordés sans discernement, sans recul et en ne prenant pas en compte leur impact sur la société sénégalaise. Entre homosexualité, prostitution déguisée, violence, adultère et franc-maçonnerie, les sujets polémiques foisonnent.

 

L’intitulé renseigne à suffisance sur le contenu. La série ‘’Infidèles’’, diffusée depuis quelque temps, vient grossir les rangs des productions à polémique. Elle traite, en effet, de thèmes relatifs à l’adultère, à la prostitution et à la violence faite aux femmes, le tout dans un langage cru à caractère pornographique. Ce qui ne manque pas de choquer plus d’un.

 En effet, les téléfilms sénégalais abordant des questions de mariage, de polygamie ou de bienséance ont depuis longtemps cédé la place à de nouvelles thématiques qui épousent les contours des contenus des téléfilms occidentaux et des ‘’télénovelas’’. Mais, souvent, qui jurent avec nos mœurs et coutumes.

Cependant, les conservateurs tiennent à un retour à l’orthodoxie et veulent lutter contre ces contenus d’un autre genre qui, à leurs yeux, creusent davantage le fossé et accentue la déperdition. C’est en ce sens d’ailleurs que l’ONG Jamra et d’autres organisations ont décidé d’entamer, après la Tabaski, une tournée nationale de sensibilisation auprès des autorités religieuses. Mame Makhtar Guèye et ses alliés prévoient également une marche pacifique de protestation ’’sur cette fâcheuse tendance des productions audiovisuelles à fouler aux pieds nos valeurs culturelles et religieuses, et à porter gravement atteinte à la santé mentale et morale des enfants, pour des préoccupations bassement matérielles et financières’’.

On serait tenté de se demander si les télévisions sont sur la mauvaise pente, ou bien est-ce notre société qui est malade ? Tout semble corroborer cette interrogation, au regard des dernières productions de téléfilms diffusées sur le petit écran. Le constat devient de plus en plus amer. Certaines chaines de télévision sénégalaises ne jouent plus leur rôle d’éducation. Elles se hasardent plutôt sur un terrain glissant, faisant quelquefois la promotion d’antivaleurs.

Ainsi, avant la série ‘’Infidèles’’, Jamra était montée au créneau, en mars dernier, pour dénoncer ‘’les dérives’’ de la série ‘’Réwolene sakh’’. Ce téléfilm d’une quinzaine de minutes, diffusé sur la chaine privée Sen TV. Il traite de thèmes choquants et déviants, allant de l’homosexualité à la désacralisation de l’autorité parentale. Dans un communiqué adressé au Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), les ONG Jamra & Mbañ Gacce dénoncent : ‘’Le scénario de cette série hors du commun se décline sans ambages à travers des extraits, rendus publics par le producteur, comme une œuvre de banalisation de l'idéologie LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) chez les jeunes et de promotion d'autres contre-valeurs, comme la désacralisation de l'autorité parentale dans la société sénégalaise’’.

Dans leur logique de dénonciation, les deux organisations ont joint à leurs plaintes les premiers extraits de cette série à polémique qui, à leurs yeux, attestent à suffisance de la volonté manifeste des scénaristes de banaliser cette déviance sexuelle qu'est l'homosexualité, fermement bannie par les textes. Ils convoquent, à cet effet, l'article 319 du Code pénal sénégalais, alinéa 3, issu de la loi no66-16 du 12 février 1966 qui stipule : ‘’Sera puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 100 000 à 1 500 000 F, quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe. Si l'acte a été commis avec un mineur de 21 ans, le maximum de la peine sera toujours prononcé.’’

Ces associations de veille redoutent, en outre, que cette banalisation ne devienne progressivement, dans les frêles esprits de nombreux adolescents, une ‘’normalité’’.

Cheikh Mbaye, sociologue : ‘’L’effet de banalisation de l’homosexualité est déjà enclenché’’

Ce qui n’est pas impossible, d’après le sociologue Cheikh Mbaye, contacté par ‘’EnQuête’’. Pour le spécialiste, ‘’l’effet de banalisation de l’homosexualité est déjà enclenché dans notre société. Les téléfilms ne feront qu’achever le processus. De plus, plus on laisse la jeunesse à la merci de ces téléfilms, plus on les prépare à donner du crédit à la culture véhiculée dans ces téléfilms et à imiter les personnes qui les incarnent’’.

Seulement, Mame Makhtar Guèye et Cie ne sont pas les seuls détracteurs de cette série. Les internautes, après avoir visionné les deux premiers épisodes, se sont dit ‘’scandalisés’’ par le contenu qui heurte la sensibilité.

Ainsi, les feed-back n’ont pas manqué sur YouTube. D’aucuns se sont demandé d’ailleurs comment un Sénégalais authentique peut imaginer ce genre de scénario. Pour d’autres, tout est clair : le but est de faire la promotion de l’homosexualité dans la société sénégalaise.

Ils encouragent ainsi fortement les scénaristes à arrêter la diffusion. ‘’Franchement, c’est du n'importe quoi. Les jeunes sont en totale déperdition et vous ne faites que les booster à continuer sur cette lancée au lieu de les conscientiser’’, s’insurge un internaute.   

‘’Il y a un phénomène que l’on remarque très souvent dans les séries sénégalaises et qui ne dérange personne. Ça fait plutôt rire et c’est vraiment triste. Je parle du comportement efféminé des hommes. Je ne sais pas si les réalisateurs et les scénaristes le savent, mais ils font la promotion des homosexuels et c’est vraiment dommage, même si certains me diront que c’est juste des rôles qu’ils interprètent. Mais il suffit de voir ce qu’il se passe dans la vie pour savoir que ça impacte sur la jeunesse’’, croit savoir un autre.

Un prêche dans le désert, puisque le téléfilm se poursuit de plus belle.

En fait, cette série semble aller aux antipodes de la mission d’une chaine télévisée, qui consiste à ‘’Informer, sensibiliser et éduquer’’. Les relations parents-enfants y sont exécrables. Une absence totale d’autorité parentale. Les enfants insultent ou rabaissent leurs ascendants. En somme, une famille dysfonctionnelle. ‘’Ce film est écœurant et si vous continuez ce manque de respect envers les parents, ce qui n'est pas du tout le comportement général des Sénégalais, vous risquez de perdre tous vos abonnés’’, met en garde un autre. 

Toujours dans le registre des dénonciations, un énième protestataire plus catégorique pense qu’il est temps de mettre fin à toutes ces séries qui, à ses yeux, n'ont aucune valeur éducative. ‘’Notre jeunesse est en train de copier des comportements qui ne reflètent pas nos réalités et nos cultures. Nous sommes des croyants. (…)’’.

Téléfilms à la dérive

Seulement, ‘’Réwolene sakh’’ n’est pas la dernière série à susciter l’indignation. D’autres ont encouragé l’adultère, les pratiques maçonniques, la prostitution… ‘’Appartement 2’’, par exemple, est un téléfilm qui fait la promotion du libertinage sexuel et de la prostitution déguisée. Il met en scène deux filles dans leurs appartements qui se font entretenir par leurs nombreux amants. ‘’Pod et Marichou’’ aussi pose problème, en faisant la promotion de l’infidélité, de l’adultère, du concubinage, de l’argent facile et de la violence.

Un autre téléfilm comme ‘’Keur Baye’’ se singularise par la verdeur du langage des acteurs qui excellent dans l’art de l’injure. D’ailleurs, cette banalisation de l’injure est commune à presque tous les téléfilms qui passent à la télévision. C’est d’autant plus alarmant que ces productions ont souvent une forte audience qui ne fait pas toujours la part des choses entre fiction et réalité.

A contrario, une série comme ‘’Dinama nekh’’ a essayé de montrer les tares du ‘’mbaraan’’ (NDLR : collectionner les petits-amis dans le but de se faire entretenir), à travers les mésaventures de l’actrice principale. Idem pour la série ‘’Maitresse d’un homme marié’’ qui, malgré le choix douteux du titre, dénonce cette tare de la société et promeut, dans le film, des valeurs qui épousent les vertus de notre société.

Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) a d’ailleurs, dans son cahier des charges, mis en garde contre certaines dérives allant dans ce sens. L’article 20, applicable aux titulaires d’une autorisation de diffusion de programmes de télévision privée de droit sénégalais, renseigne que ces derniers ne doivent pas ‘’inciter à des pratiques ou comportements délinquants ou inciviques. Ils doivent respecter les différentes sensibilités politiques, culturelles et religieuses des téléspectateurs’’. Mieux, les scènes érotiques sont prises en compte par l’article 26 qui dispose que ‘’ces programmes ne peuvent être diffusés qu’après 22 h 30 et leurs bandes annonces ne doivent ni comporter de scènes susceptibles de heurter la sensibilité du jeune public ni être diffusées avant 20 h 30’’. Ce qui n’est pas toujours respecté d’ailleurs.

‘’Tout dépend du message véhiculé’’

La télévision a un effet grossissant. L’engouement que suscitent ces téléfilms et leur diffusion à des heures de grande audience interpellent. La sociologue Selly Ba indique que tout dépend du message véhiculé dans ces séries. L’idéal, dit-elle, serait de mettre en avant les enseignements et la moralité à tirer de ces histoires pour bâtir un bon citoyen.

‘’On peut faire un film sur la sexualité précoce et mettre en garde les jeunes sur les conséquences de cette pratique. C’est important d’aborder ces sujets. Ce n’est pas une manière de pervertir, mais plutôt d’édifier’’, explique-t-elle. A ses yeux, le problème posé par certains sujets résulte du fait qu’il n’y a pas d’autres alternatives de sensibilisation, d’éducation, en dehors de ces séries. ‘’Les gens ont aussi peur, parce qu’en dehors de ces séries, il n’y a pas de programme de formatage des êtres humains’’, fait-elle savoir.

‘’Les instances de socialisation comme la famille sont en crise, les lieux d’éducation en relâchement. On n’éduque plus comme avant et l’Etat ne propose rien. Il y a des politiques d’infrastructures, mais pas de politique d’individu pour construire et bâtir un individu que nous voulons et c’est ce qui fait peur. Aujourd’hui, si les médias ne jouent plus leurs rôles, finalement, à quel saint se vouer ?’’, s’interroge-t-elle. 

Sur la même lancée, son collègue Cheikh Mbaye estime que le Sénégal est un pays des paradoxes. Pour lui, ‘’même ceux qui luttent contre les contre-valeurs en sont souvent des promoteurs potentiels, qu’ils en soient conscients ou non, parce qu’en posant mal les problèmes, on finit par les promouvoir et les banaliser aux yeux des masses’’.

Poursuivant son analyse, il souligne que, du fait du pouvoir des médias et le penchant des Sénégalais pour les téléfilms, la société ne saurait éviter d’être entrainée par la culture qui est véhiculée dans ces vecteurs. ‘’Ainsi, avec cette tendance des téléfilms dont les acteurs représentent des modèles adulés pour la jeune génération, la société est progressivement vers la dégénérescence sur les plans moral, intellectuel et spirituel’’, regrette le sociologue.

HABIBATOU TRAORE

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