Publié le 28 Jun 2018 - 02:25
QUESTIONS SOCIALES, POLITIQUES ET ECONOMIQUES

Quand les artistes s’engagent

 

L’artiste est un porte-parole et, souvent, un porte-étendard. Sous ce rapport, il est fréquemment aux avant-postes des combats que mènent les populations pour leur survie, leur épanouissement et parfois leur liberté. A travers leurs prises de parole, leurs positionnements et leurs chansons, les artistes musiciens sénégalais ont intimement participé à l’édification de la nation sénégalaise. Aujourd’hui encore, les crises multiformes qui secouent la société les interpellent au plus haut point. Qu’en est-il de leur engagement ?

 

Un artiste peut-il être neutre et rester en retrait des problèmes sociaux, économiques et politiques qui assaillent ses compatriotes ? Cette question pose la problématique de leur engagement. Au Sénégal, de tout temps, il y a eu des artistes engagés. Qu’en est-il de la réalité actuelle. Dernièrement, le chanteur Omar Pène a joué un rôle prépondérant dans la résolution de la crise universitaire. Omar Pène, l’un des artistes les plus engagés du Sénégal, a été nommé “Ambassadeur de bonne volonté auprès de la cause estudiantine” par le président Macky Sall. Ce rôle de médiateur n'a pas surpris. Puisqu’il est décrit, depuis des années, comme un homme d’une grande intégrité, un éternel porte-parole de la jeunesse et surtout un artiste qui est perpétuellement engagé. Omar Pène se confie lui-même : “Je sensibilise, je dénonce. Je choisis des thèmes qui interpellent des gens. Je crois que ce sont des thèmes d'actualité. C’est un rôle qu’il faut assumer. Nous les artistes avons un rôle à jouer. Mais, surtout, nous sommes tous des Sénégalais. Nous aimons notre pays. S’il y a des problèmes et qu’on peut intervenir pour trouver une solution, tant mieux.”

Mais il faut croire que ce passage de musicien à lanceur d’alerte, voire d’artiste engagé, n’est pas évident. D’ailleurs, pour certains, l’engagement se paie au prix fort… Les rappeurs Kilifeu et Simon ont été arrêtés et condamnés à la prison avec sursis, en 2012, pour avoir organisé et participé à une manifestation interdite à la place de l’Obélisque, pour s’opposer à la candidature du président Abdoulaye Wade.

A cela, il faut ajouter les quiproquos avec les populations et leurs quolibets ou insultes. Ce qu’explique Kilifeu du groupe Keurgui. ‘’Tout le temps, dit-il, on est interpellé par des populations. Parfois, tu rencontres quelqu’un qui est paumé et qui te dit : ‘Qu’est-ce que vous pensez de ce problème, les gars ?’ Mais la plupart du temps, tu tombes sur des gens arrogants et brutaux qui te crient : ‘Ouais, mais mon pote, la vie est dure par ici et vous n’essayez même pas d’en parler !’

Toutefois, malgré les critiques, le jeune rappeur est l’incarnation même de l’artiste engagé. Kilifeu a débuté sa carrière avec des chansons très critiques sur la marche du pays. Il est l’un des membres fondateurs du mouvement Y en a marre qui a contribué à apporter des changements significatifs dans le pays.

Il n’est pas seul dans cette démarche, plusieurs artistes sénégalais, comme Ouza Diallo, Simon, Coumba Gawlo sont impliqués dans la résolution des conflits et des problèmes sociaux. Coumba Gawlo a été ambassadrice de plusieurs organes dont l’Onudc (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime), le Pnud (Programme des Nations Unis pour le développement) et le Parep (Programme d’appui a la réduction de la pauvreté). Par contre, Ouza Diallo interpelle les maux de la société sénégalaise à travers des chansons comme ‘’Thiaroye’’, ‘’Le Peuple’’, ‘’Le politicien’’ et ‘’J’accuse’’.  Chaque titre vise un sujet particulier, mais toujours en rapport avec les problèmes sociaux.

Il est important de noter que chaque artiste explique différemment son engagement. Certains comme Ouza Diallo s’identifient comme musiciens engagés, mais pas révolutionnaires. D’autres ne voient pas d’inconvénients à être catalogués comme leaders de révolution.  

‘’On joue vraiment un rôle d’alerte’’

Y a-t-il un certain degré d’implication que les artistes doivent avoir ? A cette question, Ousmane Faye, le manager d’Omar Pène, répond : ‘’Un artiste, à la base, est un éducateur. Il doit chanter des thèmes illustratifs et instructifs. Mais prendre un micro et faire des louanges à 30 personnes, on n’attend pas ça d’un artiste.’’ Ces attentes correspondent, pour certains artistes, à la perception de ce que doit être leur rôle ‘’réel’’ dans la société sénégalaise. ‘’On joue vraiment un rôle d’alerte. Que ce soit par rapport à la politique ou à la société’’, confie le rappeur Simon. ‘’Il y a aussi une autre responsabilité, poursuit-il, c’est l’apport qu’on devrait avoir par rapport à la langue wolof et par rapport même à nos langues traditionnelles. Parce que, quand les artistes écrivent en wolof, ça enrichit la langue, ça contribue même au développement de cette langue. Donc, sur le plan culturel aussi’’. Selon l’artiste, ‘’on parle beaucoup d’identité, de retour aux sources’’. Mais il considère qu’il leur incombe de jouer un rôle d’information, ‘’comme on en voit dans des concepts comme le Journal rappé’’.

Toutefois, aujourd’hui, l’engagement semble être passé de mode. Les rappeurs sont parmi les rares qui font de la résistance. A ce propos, Simon remercie la première vague de hip-hoppeurs sénégalais qui, d'après lui, a impulsé le mouvement que ceux de nos jours tentent tant bien que mal de poursuivre. “Aujourd’hui, les gens préfèrent parler de futilités. Ils préfèrent faire danser. Donc, on est obligé de résister par rapport à cette nouvelle tendance musicale qui dit que : pour que tu marches, il faut que tu fasses des choses légères ; pour que ça marche, il faut que tu parles de n’importe quoi, de danse, de sexe, d’argent, de bling bling”, s’offusque Simon. Avant de poursuivre : “Awadi, Rapadio, Bmg, ils sont tous allés à l’université et ils avaient un certain discours. C’est ce qui a permis au rap sénégalais d’être accepté. Donc nous, quand on est venu, la deuxième génération, on a perpétué ce discours, parce qu’on a aussi fait des études. On ne peut pas juste se permettre de ne parler que de futilités. On est obligé de parler d’actualité, parce qu’on a ce réflexe de se cultiver en tant que hip-hoppeurs sénégalais’’.

Ainsi, ils sont de moins en moins d’artistes, à l’instar d’El Hadj Ndiaye, à composer des chansons abordant des thèmes sociaux comme la santé (“Bonjour, comment ça va”) ou la dette nationale (‘’Boor Yi’’).

S’engager autrement que par la chanson

Malgré cela, il est important de noter que ceux qui n’abordent pas directement ces thèmes à travers leurs chansons ne sont pas nécessairement peu impliqués. Beaucoup choisissent d’être engagés dans des Ong et dans les associations qui luttent contre un panorama de problèmes. C’est  le cas des rappeurs du groupe Akhlou Brick Paradise qui sont ambassadeurs de Weer Africa pour aider à la lutte contre le diabète ; le chanteur international Akon, qui a créé sa propre association Akon Lighting Africa pour fournir des énergies renouvelables dans les communautés rurales africaines, et la chanteuse Adiouza qui a créé un projet nommé No Children  Behind qui met en place des actions qui luttent contre la pauvreté, l’exclusion sociale et vient en aide aux enfants nécessiteux.

Car le choix de l’engagement ne se fait pas seulement à travers les chansons. D’aucuns optent pour une implication dans des organes et associations de la société civile. C’est le cas de Malal Talla dit ‘’Fou Malade’’. “Dès mes débuts, Guédiawaye m’a soutenu, lorsque je n’étais rien et que rien ne venait de là-bas. Mon inspiration vient de là-bas, des gens qui vivent là-bas et de ce qui s’y passe. C’est pour ça que je me dis qu'à chaque fois, je dois rendre quelque chose à Guédiawaye”, dit-il.

Le rappeur a monté le centre G Hip-Hop à Guédiawaye, un centre de formation et de réinsertion aux métiers du hip-hop, qui se donne pour mission d’aider à la sensibilisation des jeunes. “Il y a plusieurs manières de provoquer des espaces de dialogue entre les politiciens et la population, mais l’art et la musique peuvent être un outil de sensibilisation et de mobilisation important pour les populations, afin de les impliquer davantage dans ce qui se passe au niveau de la communauté”, estime Malal Talla.

Le large public acquis par les artistes sénégalais leur permet d'avoir accès à une plateforme à partir de laquelle ils peuvent sensibiliser et défendre activement les intérêts des populations. L'art a un impact émotionnel, ce qui en fait un puissant vecteur politique et social pour influencer la façon dont les gens pensent. D’où l'importance des artistes, de leur travail et de leur mission fondamentale de régulation et de défense du patrimoine historique et culturel de la société.

“Si je n’exprime pas mon opinion politique, je suis lâche, car l’art et la politique sont liés. La musique et la politique sont liées. La définition première de la musique n’est pas l’art de combiner des sons d’une manière agréable à l’oreille, sa définition première, c’est que la musique est un acte social”, conclut Malal Talla. 

Ami Jo FALL (STAGIAIRE)

Section: