Publié le 9 Apr 2020 - 00:58
RAPPORT 2019 AMNESTY INTERNATIONAL

Les griefs contre le Sénégal

 

Amnesty International publiait, hier, son rapport 2019. La section Sénégal a relevé beaucoup de manquements dans le respect des droits humains, allant de la liberté d’expression à celle de réunion. L’organisation évoque également la situation des LGBTI et de leurs défenseurs au Sénégal.

 

‘’Les autorités ont continué à réprimer les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. L’impunité était toujours de mise dans les cas de recours excessif à la force par la police contre des manifestants. Les conditions de détention demeuraient éprouvantes et des décès en détention ont de nouveau été signalés’’. Telle est l’économie du rapport 2019 d’Amnesty International sur la situation des droits humains au Sénégal en 2019. L’organisation s’est intéressée aux évolutions législatives, constitutionnelles ou institutionnelles.

Elle s’est également penchée sur la loi sur la criminalisation du viol et de la pédophilie. À cet effet, Amnesty International juge les définitions contenues dans le texte non conformes aux normes internationales. Elle craint que les dispositions soient utilisées contre des adolescent (e) s de moins de 16 ans ayant des relations sexuelles consenties.

En outre, il est noté, dans le rapport, les entraves à la liberté d’expression. Sa restriction abusive au Sénégal est dénoncée. Par-là, l’ONG entend les placements en détention de personnes qui exprimaient des opinions dissidentes. Parmi elles, le rappeur militant Abdou Karim Guèye dit ‘’Krim Xurum Xax’’ arrêté pour diffusion, sur les réseaux sociaux, d’une vidéo appelant la population à se joindre à lui pour une manifestation pacifique. Cela, après l’annonce officieuse des résultats du scrutin présidentiel de 2019. Ce qui lui a valu une inculpation pour le délit d’’’appel à une manifestation non autorisée sans armes’’ et d’’’injures par voie de presse’’. Infractions pour lesquelles une condamnation à 1 mois d’emprisonnement avec sursis a été prononcée. Amnesty dénonce également les inculpations, au lendemain de l’élection présidentielle, d’au moins 17 sympathisants de l’opposition pour ‘’troubles à l’ordre public et incitation à la révolte’’.

Guy Marius Sagna, Adama Gaye et Oudy Diallo ont été arrêtés pour des publications sur Facebook. Le post de l’activiste de Frapp/France Dégage, l’on s’en souvient encore, concernait le manque de structures médicales convenables au Sénégal et parlait également d’une présence militaire française en Afrique. Suite à ces ‘’dérives’’, il a été incarcéré pour ‘’fausse alerte au terrorisme, offense au chef de l’État et atteinte à la sûreté de l’État’’. Le journaliste Adama Gaye a aussi été arrêté à cause d’un post sur Facebook et emprisonné pour le délit d’offense au chef de l’État.

Par ailleurs, dans ce rapport, est décrié le recul de la démocratie au Sénégal, avec des entraves notées dans la liberté de réunion. Amnesty dénonce, en effet, la législation en vigueur qui a favorisé, selon elle, la limitation continue du droit à la liberté de réunion pacifique. Elle remet en cause l’arrêté de 2011 qui proscrit tout rassemblement dans les zones du centre-ville de Dakar. Un arrêté qu’elle a attaqué à la Cour suprême en vain. L’ONG énumère nombre de manifestations qui ont conduit à des interpellations. Parmi elles, celle interdite le 14 juin et organisée à Dakar par des partis d’opposition et des organisations de la société civile pour dénoncer des pratiques de corruption présumées impliquant le maire de Guédiawaye et frère du président Macky Sall. En lien avec des projets d’exploitation pétrolière et gazière dans le pays. Au moins 20 manifestants ont été arrêtés ce jour-là, se désolent Seydi Gassama et ses collègues.

Les arrestations et inculpations pour ‘’participation à une manifestation non autorisée’’ du professeur Babacar Diop et de sept autres militants, en plus de Guy Marius Sagna à qui était également reproché une ‘’provocation à un attroupement non autorisé’’ et de ‘’rébellion’’ sont pointées du doigt.

Conditions carcérales et morts en détention

Les conditions sanitaires dans les établissements pénitentiaires demeurent déplorables, lit-on dans le rapport. La surpopulation dans les prisons sénégalaises persiste. Pour appuyer ce constat, sont brandies les statistiques officielles publiées en septembre. Elles indiquent qu’il y a 11 547 personnes incarcérées dans les 37 prisons sénégalaises, pour une capacité d’accueil totale de 4 224 détenus. Ce qui ne va pas sans conséquence.

Il est ainsi expliqué les morts de Louis Dieng en détention provisoire à la prison de Mbour, de Serigne Fallou Ka (24 ans) à la Maison d’arrêt et de correction de Diourbel, de Babacar Mané et de Cheikh Ndiaye détenus à Rebeuss par électrocution, à la suite du dysfonctionnement d’un ventilateur.

Comment parler de l’année 2019 sans évoquer les meurtres, le 7 janvier 2018, de 14 personnes dans la forêt de Boffa-Bayotte, en Casamance. Dans cette affaire, Amnesty fait remarquer que 25 personnes se trouvaient toujours en détention. Parmi elles, 16 sont incarcérées à Dakar, loin de leurs familles et leur visite requérait l’autorisation d’un juge de Ziguinchor. Le rapport de préciser que finalement, leur transfert à Ziguinchor a été acté le 26 décembre. Une personne dans le lot des détenus dans cette affaire est morte en détention, souligne le document.

Le meurtre d’Abdou Elinkine Diatta, Chef de file du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), est également relevé.

En ce qui concerne les droits des enfants, le rapport note que le Sénégal n’a pas mis en place de système coordonné de prise en charge pour les protéger de l’exploitation et des sévices. Certains d’entre eux sont contraints à la mendicité. Regrettant, en conséquence, la mort d’un garçon de 12 ans des suites, semble-t-il, des coups qu’il a reçus de son maître d’école coranique.

Seydi Gassama et son équipe parlent, dans ce dernier rapport, des droits des LGBTI. Ils ont souligné la position ferme et réaffirmée du Sénégal de ne dépénaliser les actes contre-nature à l’ONU, en accord avec les vœux de la population. Amnesty constate que neuf membres de cette communauté ont été condamnés à des peines allant de 6 mois à 5 ans d’emprisonnement. Aussi, des défenseurs des droits humains qui se mobilisaient en faveur de leurs droits (LGBTI) ont été victimes de campagnes de dénigrement et de menaces de mort. Craignant pour leur sécurité, plusieurs ont dû fuir le pays, renseigne la note.

Amnesty a produit des rapports pour l’ensemble des pays africains dont la situation, en général, met en relief des civils qui ont été les premiers touchés par les conflits meurtriers et les crises violentes. Elle note aussi des répressions violentes orchestrées par les États, de nombreux déplacés des suites de violations persistantes des droits humains.

Mais elle a, comme des éclaircies dans la grisaille, salué des victoires pour les droits humains : fin de régimes répressifs, libération de détenus d’opinion…

MAMADOU DIALLO

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