Publié le 10 Oct 2020 - 21:16
RAPPORT 2020 SUR LA PECHE ILLEGALE AU SENEGAL

GREENPEACE aux trousses des navires étrangers

 

Le nouveau rapport de Greenpeace, intitulé "Mal de mer : pendant que l’Afrique de l’Ouest est verrouillée par la Covid-19, ses eaux restent ouvertes au pillage", se penche sur les manigances de certains bateaux de pêche étrangers pour pêcher dans nos eaux, durant la période de la Covid-19, sans licence.

 

Au Sénégal, le processus d’attribution des licences de pêche est bien encadré par des lois et règlements tels que le Code de la pêche de 2015 et son décret d’application de 2016-11. Cependant, le processus est souvent entaché de pratiques suspectes comme la récente ‘’introduction illégale de dizaines de navires dans la flotte sénégalaise’’.

Selon le dernier rapport de Greenpeace intitulé "Mal de mer : pendant que l’Afrique de l’Ouest est verrouillée par la Covid-19, ses eaux restent ouvertes au pillage" parcouru par ‘’EnQuête’’, depuis 2012, l’octroi de toute nouvelle licence pour les pirogues de pêche artisanale a été suspendu par le gouvernement sénégalais, afin de sauvegarder les stocks halieutiques en déclin d’Afrique de l’Ouest.

Toutefois, le gouvernement sénégalais n’a pas imposé la même restriction aux navires de pêche industrielle qui amassent des tonnes de poissons, accentuant ainsi la pression pesant sur les stocks de la région ouest-africaine.

Par conséquent, et en raison du manque de transparence, un nombre inconnu de navires de pêche industrielle étrangers sillonnaient les eaux sénégalaises, malgré le confinement dû à la pandémie de la Covid-19. ‘’Des tentatives ont été même faites pour accélérer un processus d’octroi de licences de pêche pour 52 navires étrangers. Pour enrayer ces tentatives d’accélération dans le traitement des demandes de licence, le Gaipes a envoyé une lettre ouverte au ministre de la Pêche le 16 avril 2020. Celle-ci demandait le report de la prochaine réunion de la Commission consultative d’attribution des licences de pêche (CCAL), une commission où sont représentés les principaux acteurs du secteur. La lettre ouverte a révélé que les autorités sénégalaises envisageraient d’accorder le pavillon sénégalais et des licences de pêche à 52 navires étrangers, 50 chinois et 2 turcs’’, lit-on dans le document.

Selon le rapport, quatre navires battant pavillon sénégalais figuraient également parmi les demandeurs. Ainsi, jamais auparavant autant de demandes de licences de pêche étrangères n’avaient été enregistrées et présentées en une seule fois à la CCAL. Pour compliquer encore la situation, le gouvernement venait de mettre en place des restrictions pour endiguer la pandémie, empêchant la commission de se réunir physiquement pour discuter de la question. Les membres de la commission, représentant le secteur de la pêche industrielle et artisanale, ont fermement plaidé contre toute précipitation dans le traitement du nombre historiquement élevé de demandes de licence, compte tenu des restrictions dues à la Covid-19, mais aussi des conséquences sur la sécurité alimentaire et de la menace que ces navires industriels font peser sur les stocks déjà surexploités.

Le 6 juin, selon toujours le rapport, le ministère de la Pêche a mis fin à l’affaire, en annonçant publiquement son refus d’octroyer 54 des 56 demandes de licence. Seules les demandes de transfert de deux licences détenues par des sociétés sénégalaises ont été acceptées. La décision du ministère a été motivée par les pressions exercées par une coalition de pêcheurs artisanaux et d’autres parties prenantes, des représentants de la pêche industrielle, des femmes transformatrices de poisson, de communautés locales et d’organisations comme Greenpeace-Afrique. ‘’Malheureusement, l’histoire des 56 licences ne s’est pas arrêtée là. Le 6 mai, les médias locaux ont publié des preuves que l’un des 56 navires de pêche, le ‘Fu Yuan Yu 9889’, avait obtenu une licence de pêche, le 17 avril 2020. La licence avait été accordée, en dépit des affirmations du ministère de la Pêche selon lesquelles aucune nouvelle licence n’avait été octroyée. En avril, selon des documents officiels et avant l’octroi de la licence, l’exploitant du ‘Fu Yuan Yu 9889’, Univers Pêche, avait demandé une ‘promesse de licence’ pour ce navire en particulier et neuf autres navires de la même flotte’’, poursuit la note.

Ensuite, le 12 juin, les médias locaux ont révélé des informations concernant l’octroi de trois autres licences : une licence pour le ‘’Fu Yuan Yu 9885’’ (licence 170), une pour le ‘’Fu Yuan Yu 9886’’ (licence 171) et une pour le ‘’Fu Yuan Yu 9888’’ (licence 173) ont été délivrées le 17 avril dernier.

Ainsi, Greenpeace dit pouvoir à présent prouver l’existence de ces licences. D’après ses investigations, le ‘’Fu Yuan Yu 9886’’ a obtenu une licence de pêche en Gambie, bien que l’entreprise ait nié ce fait dans sa réponse. Ce dernier est entré en contact avec les exploitants des navires mentionnés ci-dessus afin de leur donner la possibilité de s’expliquer. Selon l’entreprise, ‘’les navires mentionnés remplissaient les conditions d’attribution des licences, après étude et approbation par les services techniques du ministère de la Pêche’’.

Toutefois, l’entreprise n’a rien mentionné concernant la Commission d’attribution des licences.

Le 24 juin et le 20 août 2020, Greenpeace a écrit au ministère sénégalais en charge de la pêche pour demander des informations sur les licences et le statut de pêche de ces trois navires en particulier. De plus, il a demandé l’accès à la liste à jour et complète de tous les navires industriels autorisés à pêcher au Sénégal ainsi qu’une transparence totale concernant la gestion des pêches sénégalaises dans son ensemble. ‘’Au moment de la publication du présent rapport, le ministère sénégalais en charge de la pêche n’a pas accédé à ces demandes à Greenpeace avant la publication de ce rapport. En raison d’un accord bilatéral entre la Gambie et le Sénégal, le navire peut avoir le droit de pêcher également dans les eaux sénégalaises. Ni le ‘Fu Yuan Yu 9885’ et le ‘Fu Yuan Yu 9888’ ne figuraient pas sur la liste des 56 navires présentés à la CCAL. Ils n’apparaissent pas non plus sur les autres listes de navires ou documents dont dispose Greenpeace’’, explique le rapport.

Les enquêtes de Greenpeace et les scandales révélés par les médias confirment, poursuit le rapport, les circonstances troubles qui entourent l’attribution de licences à plusieurs navires de pêche, dont certains auraient été impliqués par le passé dans des activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) au cours des dernières années. ‘’En conséquence, ceci pourrait conduire à émettre des doutes sur la transparence et la légalité dans le processus d’attribution des licences de pêche au Sénégal. Pendant longtemps, aucune étude scientifique appropriée n’a été menée pour déterminer l'état des ressources halieutiques avant d’accorder des licences aux navires étrangers. Les acteurs de la pêche artisanale, qui sont les plus touchés, ne sont pas toujours consultés par les autorités, lors de l’attribution des licences, alors qu’ils devraient l’être en leur qualité de membres de la Commission d’attribution des licences. Lorsque la question des éventuelles nouvelles licences a été soulevée, le ministre de la Pêche a déclaré qu’il n’en avait accordé aucune. Mais les médias locaux ont clairement indiqué que certaines licences avaient effectivement été octroyées’’, écrit Greenpeace.

Elle estime donc que si le processus d’attribution des licences avait été ‘’transparent’’, personne ne poserait cette question. Même si le ministre n’a pas signé de nouvelles autorisations, le problème demeure pour les pêcheurs, car il y a toujours des navires dont ils ignorent s’ils ont une licence valide.

‘’Irrégularités’’

Depuis début mars, Greenpeace surveille les navires de pêche industrielle dans les eaux sénégalaises, sur la base des données du système d’identification automatique (AIS). Cette surveillance s’est déroulée parallèlement à la mise en œuvre de restrictions visant à endiguer la pandémie de la Covid-19 en Afrique de l’Ouest et leurs conséquences. Les enquêtes menées par Greenpeace ont permis de trouver des données qui corroborent les ‘’irrégularités’’ dénoncées par les médias sénégalais et les organisations de pêche locale, dans le processus d’attribution des licences concernant plusieurs navires de pêche industrielle.

Huit navires nommés ‘’Fu Yuan Yu’’ étaient soupçonnés de pêcher dans la zone en question pendant la période de surveillance, dans des circonstances douteuses, notamment en ce qui concerne le processus d’obtention de leurs licences de pêche. Quatre d’entre eux - le ‘’Fu Yuan Yu 9881’’, le ‘’Fu Yuan Yu 9888’’, le ‘’Fu Yuan Yu 9886’’ et le ‘’Fu Yuan Yu 9887’’ étaient, selon les données de l’AIS, présents dans la zone économique exclusive (ZEE) sénégalaise et exerçaient une ‘’activité de pêche’’. Le ‘’Fu Yuan Yu 9881’’ montre une activité semblable à la pêche dans les eaux sénégalaises, entre le 24 avril et le 24 juin 2020. Aucune information concernant la licence de ce navire ne peut être trouvée, mais la société qui l’exploite affirme qu’il remplit les conditions d’attribution de la licence.

Mais ne pouvant accéder à l’ensemble des informations relatives à la licence, Greenpeace dit n’être pas en mesure de confirmer cette information. Quant au ‘’Fu Yuan Yu 9888’’, il montre, selon l’organisme, une activité semblable à la pêche dans les eaux sénégalaises, entre le 20 avril et le 25 juin 2020. Toutefois, selon la société qui l’exploite, le navire remplit les conditions d’attribution de la licence.

Pour le ‘’Fu Yuan Yu 9886’’, il était dans les eaux sénégalaises entre le 7 mai 2020 et le 18 mai 2020. Il quitte le port le 7 mai 2020, puis on note une absence de données dans l’AIS jusqu’au 12 mai 2020, et encore une absence de données du 13 au 17 mai 2020, lorsqu’il réapparaît, affichant une activité semblable à la pêche.

‘’Greenpeace a obtenu la preuve qu’une licence a été octroyée pour ce navire pour la Gambie et le Sénégal. Mais l’entreprise affirme que ce navire ne détient pas de licence pour la Gambie’’, indique le rapport.

S’agissant du ‘Fu Yuan Yu 9887’’, il montrait une activité semblable à la pêche dans les eaux sénégalaises, entre le 23 avril 2020 et le 25 juin 2020. D’après les informations obtenues par Greenpeace, le navire a reçu une licence pour la Gambie et le Sénégal. Mais l’entreprise affirme que ce navire ne détient pas de licence pour la Gambie.

Les pratiques de tricherie des bateaux pour dissimuler leurs positions réelles

Egalement, les investigations de Greenpeace ont pointé du doigt de nouveaux cas de comportements étranges et répétés de la flotte ‘’Fu Yuan Yu’’, mis en évidence à l’origine par une enquête de Global Fishing Watch en 2016. Les navires semblent faire usage d’une astuce courante destinée à dissimuler la position réelle des navires de pêche en modifiant leurs données AIS.

En juillet 2020, le ‘’Fu Yuan Yu 9889’’ menait, selon ses signaux AIS, des ‘’activités semblables à la pêche’’ au large des côtes du Mexique. Cependant, les chercheurs de Greenpeace ont trouvé des preuves indiquant que sa position réelle se serait plutôt située dans les eaux sénégalaises.

Selon le rapport, l’AIS est un système d’auto-identification. La fiabilité des informations concernant la position des navires dépend des données envoyées par le navire en question, et non d’informations mesurées par des capteurs. Comme tout système d’auto-identification, il est sujet à la falsification des données ou à la déclaration intentionnelle de fausses informations.

Ainsi, sur la base des données d’AIS utilisées pour les navires dans le monde entier, les recherches de Greenpeace-Afrique confirment qu'au moins huit navires de pêche industrielle ont participé à des activités douteuses au cours de la période observée. Tous portent le nom de ‘’Fu Yuan Yu’’ et il a été observé qu'ils affichaient des activités suggérant qu'ils pêchaient dans la zone économique exclusive (ZEE) sénégalaise, alors qu'il était impossible de vérifier si leur licence avait été obtenue dans le respect des règles et procédures.

Le rapport de Greenpeace intitulé "Mal de mer : pendant que l’Afrique de l’Ouest est verrouillée par la Covid-19, ses eaux restent ouvertes au pillage", est basé sur l'observation de navires de pêche et des usines de farine et de l'huile de poisson au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie, de mars 2020 à fin juillet 2020, période durant laquelle les mesures de confinement dues à la pandémie de Covid-19 ont été introduites dans les pays d'Afrique de l'Ouest. Ils fournissent des données qui viennent étayer ce que les communautés locales ont observé précédemment.

En effet, contrairement à d’autres activités comme la pêche artisanale, le secteur de la pêche industrielle avec ses entreprises multinationales a, dans bien des cas, continué à fonctionner avec des mesures apparemment moins restrictives. Une situation qui exacerbe la concurrence déjà déloyale entre les pêcheurs artisanaux, les femmes transformatrices de poisson et les industries de pêche étrangères pour les stocks de poisson d’Afrique de l’Ouest en déclin.

De ce fait, Greenpeace conclut son rapport en demandant la fermeture définitive des usines de farine et d’huile de poisson opérant en Afrique de l'Ouest, à l'exception de celles utilisant exclusivement les déchets issus de la transformation des poissons inaptes à la consommation humaine.

CHEIKH THIAM

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