Publié le 25 Feb 2016 - 22:44
RAPPORT AMNESTY INTERNATIONAL 2015

Les péchés du Sénégal en matière de droits humains

 

Interdiction systématique des manifestations, usage de la violence dans la rue et dans les commissariats, le tout couronné par une impunité assurée aux forces de l’ordre. Tel est le tableau dressé par Amnesty international dans son rapport 2015 sur les droits de l’Homme au Sénégal présenté hier. Les camarades de Seydi Gassama déclarent avoir constaté aussi des abus graves dans la lutte contre le terrorisme et une tentative de museler la presse.

 

Si Amnesty international avait à dresser un classement des meilleurs élèves au monde en matière de respect des droits humains, le Sénégal ne serait certainement pas dans le peloton de tête. Le pays semble être tellement têtu que les incorrections relevées l’année dernière ont encore été retrouvées dans sa copie de cette année. ‘’Ce qui signifie que l’Etat du Sénégal n’a pas fait les efforts qu’il est tenu de faire, en vertu de la législation nationale et du droit international, pour remédier à ses manquements’’, constate avec regret les rédacteurs du rapport 2016 de l’organisation des droits humains.

Sur le plan de la liberté d’expression et de manifestation, Seydi Gassama dénonce le fait que les autorités continuent d’interdire les manifestations de façon quasi-systématique. Et cela, quels que soient par ailleurs les organisateurs et la localité. Pire encore, les manifestants, quoi que pacifiques, sont très souvent poursuivis en justice. ‘’Ainsi, au mois de septembre, le tribunal régional de Kolda a condamné 12 hommes à 21 jours d’emprisonnement pour participation à un rassemblement non autorisé. Une centaine de personnes avaient manifesté pacifiquement, le 27 août, dans la commune de Diana Malary, dans la région de Sédhiou, pour demander aux autorités de leur fournir de l’électricité. Les forces de sécurité avaient utilisé des gaz lacrymogènes et tiré en l’air pour les disperser, ce qui avait entraîné des affrontements entre manifestants et gendarmes’’, relève Amnesty.

Plus qu’interdire, les tenants du pouvoir s’emploient aussi à légitimer leurs décisions en discréditant la marche, selon Seydi Gassama. L’argument avancé, d’après lui, est que ces manifestations sont incompatibles avec le travail nécessaire pour le développement du pays. En outre, en interdisant les marches, l’Etat ne peut pas s’empêcher d’utiliser la violence contre les citoyens. Ce qui engendre le recours excessif à la répression aux conséquences parfois dramatiques. ‘’Le 25 juillet, Matar Ndiaye a succombé à une blessure par balle à la jambe, à la suite d’une opération de police menée dans le quartier de Grand Yoff à Dakar. Un policier aurait fait feu sans sommation en direction d’un groupe d’hommes qu’il poursuivait et Matar Ndiaye a été pris dans la ligne de tir’’, regrette l’ONG. 

De même, Cheikh Ly est décédé, le 27 novembre 2015 à Louga, à la suite de blessures subies lors d’affrontements entre forces de sécurité et supporters d’une équipe de football. Il a succombé à un traumatisme crânien, selon le certificat de genre de mort. Si pour le premier cas, le policier a été inculpé, pour le deuxième, Amnesty affirme n’avoir connaissance d’aucune enquête ouverte.

Par ailleurs, cet usage de la violence ne s’arrête pas à la rue, il est aussi présent dans les commissariats. En 2015, deux cas de décès ont été répertoriés dans les locaux de la police et de la gendarmerie. Amadou Dame Ka, le 2 février 2015 au commissariat central de Thiès, à la suite de son arrestation à domicile pour braquage de pharmacies et de banques. ‘’L’enquête a été confiée à la brigade de recherche de Thiès. Selon la famille et son avocat, aucun acte permettant de penser que l’enquête progresse n’a été posé’’, s’inquiète-t-on.

Des pressions sur les familles

L’autre victime est Boubacar Ndong, décédée le 15 novembre 2015 à la brigade de gendarmerie de Hann. ‘’Le rapport d’autopsie conclut curieusement au suicide par pendaison, ce que la famille a contesté’’, bien que n’ayant pas porté plainte. Seydi Gassama dénonce d’ailleurs les pressions dont les familles font l’objet et venant, selon lui, de chefs religieux et d’acteurs politiques. ‘’Elles finissent souvent par renoncer pour s’en remettre à Dieu’’. Dès lors, les forces de l’ordre bénéficient d’une impunité totale, puisque de l’avis de M. Gassama, l’autorité ne fait presque rien pour rendre justice aux victimes.

De son point de vue, même si les familles renoncent à des poursuites, le Procureur lui doit user de ses prérogatives afin de permettre de faire la lumière sur ces affaires et punir les coupables au besoin. Mais lui aussi reste dans l’expectative. Les juges aussi semblent être dans cette même logique. ‘’Sur les 27 cas de torture pour lesquels Amnesty International a recueilli des informations, depuis 2007, seuls six ont donné lieu à des poursuites aboutissant à une condamnation – avec une peine clémente, dans tous les cas.’’

L’exemple patent reste la condamnation, entre 2 et 3 ans de prison, infligés aux policiers qui ont tué Mamadou Diop, contre les 20 ans de travaux forcés qu’ont écopé les jeunes de Colobane reconnus coupables du meurtre du policier Fodé Ndiaye. Preuve encore de cette absence de justice, ajoute Amnesty, sur les sept homicides commis par les forces de l’ordre, lors des manifestations préélectorales de 2012, seul le décès de Mamadou Diop a fait l’objet de jugement et de condamnation.

La presse à la Dic

Les problèmes de liberté d’expression ne se limitent pas uniquement aux manifestants. La presse en est aussi victime. Seydi Gassama rappelle que, durant l’année 2015, six journalistes ont été inquiétés dans l’exercice de leur fonction. Le 14 juillet, trois hommes des médias ont été déférés au parquet, après 72 heures de garde à vue et 2 retours de parquet. Il s’agit de Mouhamed Guèye, directeur de publication du Quotidien, d’Alioune Badara Fall, dirpub de L’Observateur et du grand reporter de ce même journal, Mamadou Seck.

Si le premier a été condamné pour publication du procès-verbal de l’audition de Thione Seck, les deux autres l’ont été pour diffusion d’informations pouvant troubler l’ordre public, suite à un article relatif à la stratégie de déploiement des Forces Armées sénégalaises au Yémen. Seydi Gassama se demande d’ailleurs en quoi de telles informations peuvent troubler l’ordre public. Il se demande encore ce qui différencie cette publication aux cérémonies officielles de remise de drapeau des Jambars qui paradent devant les caméras à ces occasions-là.

Les trois autres (Mamadou Mansour Diop, Ndèye Astou Guèye et Pape Besse Djiba), arrêtés le 21 décembre, sont du groupe D-médias. Ils ont fait 10 heures à la division des investigations criminelles. ‘’Obliger un journaliste à révéler ses sources constitue une menace grave contre la profession de journaliste et une atteinte au droit à l’information des citoyens garanti par la Constitution du Sénégal et des traités régionaux et internationaux ratifiés par le Sénégal’’, déclare Amnesty. Seydi Gassama demande ainsi la fin des poursuites, notamment, pour les trois premiers nommés qui sont toujours sous contrôle judiciaire.

L’imam Ndao interdit de lecture de Coran

La lutte contre le terrorisme est un prétexte pour commettre des abus, selon le constat d’Amnesty international. Les arrestations les plus connues sont celles de l’imam Ibrahima Sèye de Kolda et oustaz Alioune Badara Ndao de Kaolack qui ont eu lieu, toutes les deux, en octobre dernier. Ils sont accusés, entre autres, d’apologie du terrorisme. Le cas de l’imam Ndao reste plus inquiétant, d’après Seydi Gassama. ‘’Selon des informations reçues de ses avocats, l’imam Ndao serait interdit de lecture du Coran en prison, ainsi que d’effectuer la prière à la mosquée de la prison de Saint-Louis. Il lui est même interdit de lire des écrits en arabe. Ce sont des traitements dignes de Guantànamo’’, s’offusque-t-il.

Outre ces cas, il y a ceux de Mouhamed Gassama et d’un nommé Souleymane qui ont fait 5 années de prison pour des soupçons de terrorisme. Il a fallu l’intervention du Canada, de Djibouty, de la Somalie et des Emirats Arabes Unis pour qu’ils soient libérés, en septembre dernier. D’autres personnes aussi ont été arrêtées à Dakar, sans compter au moins 8 autres extradées de Mauritanie et placées sous mandat de dépôt pour des charges liées au terrorisme.

D’après lui, entre 2007 et 2009, Abdoulaye Wade et Macky (Premier ministre à l’époque) ont signé en catimini des lois qui sont censées lutter contre le terrorisme, mais qui violent les libertés des individus. 

BABACAR WILLANE

 

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