Publié le 13 Sep 2014 - 00:21
RAPPORT CENTIF

2013 Madame Yaboy, monsieur Fite et monsieur Deureume : trois histoires criminelles vraies

 

Le rapport 2013 de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) est plein d’enseignements sur les stratagèmes, ruses et méthodes auxquels recourent de plus en plus des individus ou bandes organisées pour tenter de faire prospérer des activités financières considérées comme criminelles par les lois sénégalaises et autres dispositions communautaires. A travers trois exemples, EnQuête vous livre trois histoires vraies que la Centif a rapportées sous forme de narration. Un style qui a le don, en plus, d’être pédagogique…

 

Histoire vraie n°1 – Usurpation de la propriété d’une œuvre d’art

Son nom de code ou d’emprunt : Madame Yaboy. Etudiante déclarée, elle est de nationalité sénégalaise née quelque part dans l’espace européen, dans un pays appelé Toka. Séjournant régulièrement dans son pays de naissance, Madame Yaboy n’en reste pas moins au contact de sa famille d’origine dont une partie réside à Dakar.

Dans la capitale sénégalaise, une banque dénommée Xaliss tente de gagner autant d’argent que possible, comme ses concurrentes d’ailleurs. Madame Yaboy y ouvre un compte d’épargne qui, six mois après, commence à être alimenté avec des versements réguliers en espèces. Ainsi, pendant quatre mois, le cumul des versements effectués par différentes personnes dépasse 100 millions de francs Cfa. Le procédé est le suivant : c’est Madame Yaboy elle-même qui, depuis Toka et par l’entremise d’une structure de transfert d’argent international, faisait parvenir à ces personnes de confiance les sommes d’argent à déposer sur son compte à la banque Xaliss. Celle-ci, jusqu’ici, se contente de surveiller les transactions.

Mais un an après l’ouverture du compte dans ses livres, les services de Xaliss sont intrigués par un virement dont la contrevaleur dépasse le milliard de francs Cfa. L’ordre vient d’une société installée à Hothe, un pays frontalier à Toka. Dès qu’elle est interpellée par Xaliss sur l’origine de cet argent, l’étudiante panique et sert tour à tour deux explications contradictoires : l’argent proviendrait de la vente d’une maison de sa mère, puis il serait le produit de la vente d’un tableau d’art dénommé «Tarou» d’un certain peintre-sculpteur appelé Bel et appartenant à son père qui réside à Toka. Pour soutenir sa bonne foi, Madame Yaboy exhibe même une «facture de vente».

Question : comment une étudiante sans activité professionnelle connue a-t-elle pu recevoir sur son compte d’épargne des sommes d’argent aussi importantes ? Intriguée, Xaliss alerte la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) qui met alors à contribution ses limiers. Ces derniers ne tardent pas à découvrir le pot aux roses.

Primo, c’est une société spécialisée dans le conseil en acquisition et en transport d’objets d’art qui a été le donneur d’ordre du transfert de plus d’un milliard de francs Cfa vers Xaliss. Secundo, les enquêteurs de la Centif ont réussi à prouver que la « facture de vente » dont s’est prévalue Madame Yaboy n’est pas conforme, en particulier à cause de l’absence d’un «certificat d’authenticité», ainsi que la corporation l’a institué pour sécuriser les transactions dans ce milieu. En l’occurrence, la société a utilisé l’entête d’un expert sans doute bien connu. Tertio, dans la nomenclature des artistes reconnus et identifiés, un tableau «Tarou» qui serait l’œuvre d’un dénommé Bel qui n’existe pas…

Conclusion

«Ces faits susceptibles de constituer une infraction de blanchiment de capitaux ont été portés à la connaissance de l’autorité judiciaire.»

Histoire vraie n°2 – Portage d’actions par une société parapublique au profit d’une personne politiquement exposée (PPE)

Veinard, monsieur Fite, directeur général de la société Diffe, est chargé par l’Etat du Sénégal de mettre en place une nouvelle entité parapublique dont le nom est Diapalé. Les formalités de constitution de la société bouclées, arrive l’étape d’ouverture du capital au secteur privé. C’est ainsi que Outiame Sa, une entreprise «dont l’objet est la prise de participation et les investissements dans le secteur immobilier», s’empare de plus de la moitié des actions mises en vente.

Mais pour financer cette participation à l’actionnariat, les dirigeants d’Outiame Sa décrochent un prêt de plus d’un milliard de francs Cfa de la banque Xaliss, une partie de ce montant étant destinée à l’acquisition d’un immeuble dans la région de Dakar.

Mais pour que le prêt soit possible, il y a eu contrepartie : la société Diffe a dû ouvrir un compte à Xaliss «assorti de la signature d’une convention de dépôt à terme portant sur le montant intégral du prêt.» Cependant, une fois le prêt décaissé, monsieur Fite, représentant légal de Diffe, propose à la banque Xaliss deux autres garanties en lieu et place du dépôt à terme : «le nantissement au profit de la banque prêteuse de l’ensemble des actions détenues par Outiame Sa dans le capital de Diapalé», et «la promesse d’hypothèque de l’immeuble à acquérir.» La banque accepte.

«Ce schéma de financement des opérations de prise de participation, d’acquisition d’immeuble et de constitution des garanties ont motivé l’envoi d’une déclaration de soupçon à la Centif qui a mené les investigations ayant abouti aux résultats suivants.

L’achat des actions par la société Outiame Sa est une opération de portage par les dirigeants de cette dernière au profit de monsieur Fite.

En effet, monsieur Fite s’est révélé être le véritable propriétaire de la société Outiame Sa en reprenant à son nom la totalité du capital de ladite société.

La caution offerte par monsieur Fite pour couvrir le prêt de la société Outiame Sa n’a pas reçu l’aval des autorités ayant pouvoir de décision.

La partie du prêt destinée initialement à l’acquisition de l’immeuble a servi en définitive à désintéresser les dirigeants de la société Outiame Sa pour les services rendus à monsieur Fite.»

Conclusion

«Ces faits susceptibles de constituer une infraction de blanchiment sous-tendue par les délits de détournement de deniers publics, d’abus de bien sociaux et de corruption ont été portés à l’attention de l’autorité judiciaire.»

Histoire vraie n°3 – Poursuite par d’autres voies du recyclage de fonds au profit de personnes politiquement exposées

Les faits partent de monsieur Deureume, à l’origine exerçant le métier d’opérateur de change manuel mais qui, coupable d’entorses successives à la réglementation en vigueur, a fini par perdre sa licence d’exploitation. D’un secteur à l’autre, il s’improvise voyagiste à la tête d’une agence spécialisée dans l’organisation de déplacements à caractère religieux.

Client de la banque Xaliss, monsieur Deureume voit son compte tourner à plein régime. C’est ainsi que plus de 40 millions de francs Cfa y sont relevés à travers divers versements en espèces, «sur une période assez courte.» Ses principaux «fournisseurs» pour le compte ne sont pas des inconnus pour lui : il s’agit de son fils Doubeul et de son neveu Fiftine, qui travaillaient déjà avec lui dans le change.

Ancien voyagiste, monsieur Deureume soutient pourtant, curieusement, que les versements atterris sur son compte sont des recettes provenant de cette ancienne activité. Guère convaincue par cette explication, la banque Xaliss a préféré prévenir la Centif à travers une déclaration de soupçon. Celle-ci se fonde sur plusieurs éléments : les recettes de l’activité, au lieu d’être déposées dans le compte équivalent (voyagiste), le sont sur celui de Deureume ; en outre, «la régularité des versements d’espèces contraste avec la saisonnalité de l’activité de voyagiste.»

Ces soupçons se sont avérés réels après les investigations menées par la Centif : la mystérieuse agence de voyage n’a ni siège social ni agrément dans le secteur ; «en dépit du retrait de son agrément, monsieur Deureume poursuivait l’activité de change manuel en utilisant la couverture de son fils et de son neveu qui, eux, ont été régulièrement agréés.

Conclusion.

«Les fonds recyclés sont vraisemblablement ceux qui avaient été identifiés chez d’anciennes personnalités politiquement exposées dans le cadre de leurs missions antérieures quand elles étaient aux commandes.»

STATISTIQUES 2013

Trois condamnations et une relaxe

 

«24 rapports ont été envoyés au Procureur de la République entre le 1er janvier et le 31 décembre 2013, conformément aux dispositions de l’article 29 de la loi n°2004-09», révèle la Centif. Et d’après le rapport 2013, «4 dossiers émanant de la Cellule ont été jugés durant l’année écoulée et ont abouti à 3 décisions de condamnation et une (décision) de relaxe.»

Mais entre 2005 et 2013, la Centif indique que les procédures judiciaires menées suite à ses investigations ont abouti à «13 décisions de condamnation, 8 de non-lieu, 1 d’incompétence et 2 de relaxe.»

Pour l’année écoulée, la Cellule nationale de traitement des informations financières affirme avoir traité «115 dossiers qui se rapportent à 123 déclarations de soupçons.» Cependant, pour cause d’absence d’éléments de confirmation probants, 87 dossiers ont été classés sans suite pour le moment. «La reprise des investigations reste possible si des faits ou éclairages nouveaux les concernant venaient à être connus» de la Centif, lit-on dans le rapport.

MOMAR DIENG

 

 

Section: