Publié le 5 Sep 2012 - 20:05
RAPPORT DE L'INSPECTION GÉNÉRALE D'ÉTAT

L'Artp, une agence hors la loi

 

Le rapport de l'Inspection Générale d'État sur la gestion de l'Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP), dans la période antérieure à l'actuel DG Ndongo Diao, est effarant. Procédant à la vérification administrative et financière de l'Agence, l'Ige relève l'absence d'un cadre juridique, les prérogatives exorbitantes du directeur général, ses libéralités et une violation constante des textes. La liste n'est pas exhaustive.

 

À l'origine des textes juridiques inadaptés

 

''Le Sierra Leone c'est le bordel, oui, le bordel au carré. On dit qu'un pays est le bordel au simple quand des bandits de grand chemin se partagent le pays comme au Liberia ; mais quand, en plus des bandits, des associations et des démocrates s'en mêlent, ça devient plus qu'au simple (...). C'est pourquoi on dit qu'en Sierra Leone règne plus que le bordel, règne le bordel au carré'', dit Ahmadou Kourouma dans son roman Allah n'est pas obligé. Ces propos rapportés à l'ARTP peuvent paraître excessifs, mais à la lumière du rapport de l'Ige sur les dysfonctionnements de l'agence et le préjudice financier causé par ses dirigeants, ils prennent tout leur sens. En effet, dans son rapport 2007 sur l'ARTP, l'Ige écrit : ''Dans tous les pays, la régulation est exercée par un collège. Mais, au Sénégal, on peut... se demander comment, dans le même texte, on est arrivé à exprimer une volonté et quasiment son contraire.''

 

En effet, pour connaître les raisons des dysfonctionnements graves et des scandales qui continuent à secouer l'Artp, il faut se tourner vers ce rapport de l'Ige qui révèle que l'Agence souffre de ''l'absence d'un cadre juridique précis'' entraînant des dysfonctionnements au niveau de ses organes. Ainsi, selon l'Ige, ''le Directeur général de l'ARTP dispose de pouvoirs exorbitants et les actes qu'il prend, même à grande incidence financière, ne sont soumis à aucun contrôle''. De ce fait, constate le corps de contrôle de l'État, ''la régulation qui constitue l'objet central et le cœur de métier de l'Artp est exercée de manière exclusive et entière par le Directeur général''.

 

Exit du Conseil de régulation, le rapport renseigne qu'il est ''un organe consultatif et délibérant'' qui exerce ses compétences consultatives, essentiellement, dans le domaine de la régulation, là où il devrait avoir de réels pouvoirs de régler, par ses délibérations, les affaires de l'agence. Car, la norme voudrait que le Conseil de régulation régule et que le Directeur général gère, au quotidien, l'agence.

 

Ce Conseil de régulation, poursuit l'Inspection Générale d'État, a souvent violé la réglementation en vigueur, en octroyant par des délibérations des avantages à ses membres. C'est pourquoi l'organe de contrôle indique que ''les sommes indûment perçues'' par les membres du Conseil doivent être restituées, car la rémunération et les avantages octroyés aux dits membres sont fixés par décret. Le document rapporte une dotation mensuelle de 500 litres pour le président et 400 litres pour les membres du Conseil.

 

La régulation, aux antipodes des préoccupations de l'Artp

 

En outre, l'Ige relève au sein de l'agence ''une superposition de structures (directions, directions déléguées, cellules, projets, etc.) créées en violation des principes organisationnels de base''. Ainsi le verdict de l'Ige est sans appel : ''Avec un statut inadapté, une tutelle technique non définie et des attributions des organes de direction mal réparties, les vérificateurs concluent que le cadre juridique et organisationnel actuel de l'Artp est inefficace pour assurer l'exécution efficiente des missions''. En effet, la loi n°2002-23 du 04 septembre 2002 dispose que la tutelle de l'ARTP est assurée par ''le ministre chargé des Finances et le ministre chargé de la tutelle technique du secteur régulé'', alors que, constate l'Ige, l'ARTP n'est placée sous l'autorité d'aucune entité.

Face à cette situation, l'organe de contrôle renseigne qu'entre 2002 et 2006, l'ARTP n'a fourni que deux rapports. ''Ce manquement'', poursuit l'Ige, s'explique par le fait que ''la fonction de régulation n'est pas réellement prise en charge au niveau de l'Artp''.

 

 

Le code des marchés est systématiquement violé

 

S'intéressant au cadre budgétaire, financier et comptable de l'ARTP, le rapport de l'Ige renseigne que les principes et les règles relatifs à la préparation et à l'exécution du budget sont ignorés au sein de l'Agence. Tandis que le système de recouvrement des créances est inefficace, voire inexistant. Aussi, le rapport révèle-t-il que l'encours des créances de l'ARTP se chiffrait, à la date du 20 août 2007, à 2 307 797 404 F Cfa.

 

Dans le même ordre d'idées, l'organe de contrôle ajoute que le code des marché est systématiquement violé. Ainsi, le document laisse entendre que la quasi-totalité des marchés a été passée par régularisation, voire par entente directe ou encore par appel d'offres restreints sans autorisation préalable de la Commission nationale des contrats de l'administration (CNCA) et sans respect des conditions fixées par le code des marchés.

 

''La masse salariale a été multipliée par 8''

 

À ce niveau, le document renseigne qu'en 5 ans, ''la masse salariale a été multipliée par 8''. Celle-ci est passée de 248 028 559 F Cfa à 2 053 148 122 F Cfa. Alors qu'au même moment, l'effectif est passé de 34 à 95 agents, puis à 116, de 2002 à 2006. Dans le même élan dépensier, l'Ige rapporte que les honoraires payés au titre de consultance sont passés de 16 millions en 2002 à 1 146 406 008 F Cfa en 2004 et 1 073 401 281 F Cfa en 2006.

 

Le rapport montre que l'ARTP, sous le magistère de Daniel Goumalo Seck, ne s'est pas acquittée de 4 318 376 919 F Cfa dus au Fisc, d'où des pénalités de l'ordre de 3 629 521 192 F Cfa. Ici, le document, se rapportant aux dispositions du Code général des Impôts, renseigne que l'ancien directeur général est ''passible d'une amende et d'un emprisonnement de deux à cinq ans''. L'Ige y épingle ''la gestion de l'Agence marquée par le gaspillage, le népotisme, les situations de conflits d'intérêts et les malversations financières facilitées par une violation systématique des dispositions du Code des marchés publics et du Code général des impôts''.

 

Abus de biens sociaux

 

Au chapitre de la bamboula organisée au sein de l'ARTP, l'Ige s'est également intéressée à la rupture du contrat de Babacar Ndiaye, ancien secrétaire général de l'ARTP. Ce cas est symptomatique des largesses de la Direction générale et de la violation des textes et règlements. D'ailleurs, concernant cet épisode, l'Ige a invité le pouvoir exécutif à poursuivre Daniel Goumalo Seck pour abus de biens sociaux. En effet, le DG a octroyé à son ancien collaborateur, la somme de 128 millions au titre de départ négocié. Notamment, en lui versant une indemnité de 36 mois de salaire brut payé net, pour 14 mois d'ancienneté, alors que son propre contrat fixe son indemnité à 12 mois de salaire, en cas de rupture du contrat. En outre, M. Ndiaye est resté au sein de l'agence comme consultant, en bénéficiant d'un salaire.

 

Dans le même registre de la dilapidation des biens de l'agence, l'inspection d'État s'est intéressée aux cas de cinq agents de l'administration ''en détachement'' à l'ARTP qui ont perçu des salaires et des avantages qu'ils n'auraient dû recevoir. À titre indicatif, le rapport dénonce le contrat de l'ingénieur Guimba Konaté dont l'objet a été de lui faire bénéficier ''d'une rémunération plus avantageuse que celle en vigueur au niveau de la fonction publique'', en l'occurrence, ''une manœuvre frauduleuse entraînant un enrichissement sans cause'', dénonce le rapport.

 

 

INCONGRUITES

 

Pour se rendre compte réellement du laisser-aller et des libéralités de la direction de l'ARTP, il convient de s'arrêter sur le cas de 43 stagiaires reçus par l'Agence. ''De profils divers, allant de l'agent de sécurité et de la femme de ménage, à l'ingénieur en passant par les titulaires de DUT'', le rapport de l'Ige renseigne que ces stagiaires ont perçu, comme indemnité de stage, des sommes variant entre 50 000 F Cfa et 300 000 F Cfa.

 

Outre la curiosité de prendre un agent de sécurité comme stagiaire, le rapport révèle que Ibrahima Ndir, Paulelle Valéra Diouf, femme de ménage, Valentin Kiba, BAC+4 et Abdourahmane Thiandoum, titulaire d'un DUT ont effectué 6 mois de stage et ont tous perçu sans distinction de niveau de formation, 150 000 F Cfa par mois.

 

Le rapport révèle qu'au moment où ''des femmes de ménage percevaient 150 000 F Cfa, des stagiaires comme Néné Traoré titulaire d'un DUT, Marième Sakho, Bac+5, et Fatoumata Diallo, BAC+5, ne percevaient pendant toute la durée de leur stage que 50 000 F Cfa''. Pendant ce temps, d'autres stagiaires ont perçu entre 250 000 F Cfa et 300 000 F Cfa.

 

En outre, l'Ige révèle que 28 des 37 stagiaires ayant terminé leur stage ont été recrutés. L'organe de contrôle y voit ''un moyen détourné permettant de sélectionner, sans publicité, les personnes à recruter''. D'autant plus que les stagiaires recrutés constituent ''30% de l'effectif de l'ARTP''.

 

Ici, le document s'insurge contre l'endettement du personnel auprès de l'employeur, avec une ardoise culminant à 260 443 546 F Cfa. Cette dette, écrit l'Ige, a été rachetée par la CBAO au taux de 10,5%, tandis que ''les intérêts, pour un montant de 80 793 912, sont pris en charge par l'Agence''.

 

 

 

Gaston COLY

 

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