Publié le 16 Jul 2020 - 06:26
RAPPORT IGE 2017

Festin à la Francophonie

 

Cinq ans après le Sommet de la Francophonie, l’Inspection générale d’Etat montre comment l’Etat a enrichi Richard Attias (époux de l’ancienne première dame française Cécilia Sarkozy) en renonçant même parfois à des offres gratuites de services de la part de pays partenaires. Chantre de la transparence, Jacques Habib Sy, qui était à la tête de la Délégation générale, est tout simplement éclaboussé. 

 

Abdoulaye Wade avait son Fesman. Macky Sall tient désormais son triste Sommet de la Francophonie. Et le plus cocasse, c’est que le maitre d’œuvre de cette machine à enfreindre la législation n’est autre que Jacques Habib Sy, un des chantres de la transparence au Sénégal. L’homme ne s’est pas contenté d’attribuer à tout-va des marchés par entente directe. Une lecture approfondie du rapport 2017 de l’Inspection générale d’Etat (IGE) laisse paraitre une véritable bamboula à la Délégation générale à la Francophonie qu’il avait l’honneur de diriger de 2012 à 2015.

A titre d’exemple, relèvent les inspecteurs, pour les accréditations à l’occasion du 15e Sommet de la Francophonie, le Canada et l’Organisation internationale de la Francophonie avaient proposé de mettre gracieusement à la disposition du Sénégal une plateforme pour la gestion des accréditations. Mais, constatent-ils pour le regretter, la DGF n’en a pas voulu. ‘’L’Etat a finalement opté pour une solution onéreuse’’, lit-on dans le rapport.

Encore une fois, c’était au profit du ‘’gourou’’ du président de la République, en l’occurrence le Franco-Marocain Richard Attias. Ledit marché a, en effet, été inclus dans le contrat entre la Délégation générale et la société de ce dernier portant sur l’évènementiel et la communication.

Mais pourquoi toujours Attias ? Le délégué général, portant la réplique à ses détracteurs, disait à l’époque : ‘’On a accusé les organisateurs du sommet d’avoir tout donné au Groupe Attias. Je puis vous affirmer qu’il n’en est rien et je prends à témoin le peuple sénégalais. Nous avons certes procédé par entente directe, mais nous avons eu une liste à partir de laquelle nous avons interviewé les postulants.’’ Selon lui, c’est sur la base de ses états de service que Richard Attias & associés ont été choisis.

Plus de cinq ans plus tard, l’IGE vient démontrer que tout ne s’est pas passé dans les règles de l’art, comme le prétendait le chantre de la transparence. Loin s’en faut ! Selon le rapport de 2017, plusieurs anomalies ont été constatées dans l’attribution et l’exécution du marché de base accordé à l’époux de Cécilia Sarkozy.  Il en est ainsi de la mise en compétition, du paiement des acomptes et la plateforme globale de gestion d’évènementiels.

Concernant le premier point, les enquêteurs relèvent, d’emblée, l’antériorité de l’offre de la société P parvenue le 28 août à la DGF sur celle du Groupe Attias parvenue courant septembre. Ce dernier a-t-il pu avoir connaissance de l’offre de son concurrent ? Le rapport reste aphone sur ce point. Il se veut néanmoins plus concis par rapport au versement d’un montant représentant 33 % du marché à la société R.A, quelques jours seulement après l’approbation du marché. Ce montant a été versé le 25 juillet 2014 pour un marché approuvé le 11 juillet 2014 et notifié le 15 juillet. Les enquêteurs précisent : ‘’Le certificat administratif délivré par le délégué général tente de démontrer que le versement n’est pas une avance, mais bien un acompte. Il précise, à cet effet, qu’à la date du 15 juillet, la société R.A a effectué plus de 40 % de l’ensemble des obligations du marché approuvé le 11 juillet.’’ Comme pour railler le délégué, le rapport souligne : ‘’En somme, le marché aurait été réalisé à 40 % le jour même de la réception de la notification par le prestataire.’’

 ‘’Le complexe du colonisé’’

‘’Le complexe du colonisé’’. Ainsi parlait Jacques Habib Sy pour brocarder son ancien compagnon Macky Sall. Mais on serait tenté de se demander qui est le plus complexé, entre les deux amis. En tout cas, d’après l’IGE, la DGF, que dirigeait M. Sy, avait réservé la part belle des marchés de la Francophonie aux entreprises étrangères, alors même que la législation lui faisait obligation de privilégier l’expertise nationale et communautaire. ‘’L’analyse des marchés passés par la DGF fait ressortir que des marchés d’un montant de 60 486 761 849 F CFA, compte non tenu des avenants, ont été attribués à des entreprises non communautaires, suivant la procédure par entente directe’’.

Selon l’IGE, les principaux bénéficiaires de ces marchés à milliards de la Francophonie étaient essentiellement des étrangers. Pendant que les Turcs se taillaient le gros lot avec le marché de construction du Centre international de conférences Abdou Diouf (Cicad) pour plus de 51 milliards, Attias dont l’entreprise est immatriculée aux Emirats arabes unis, s’accaparait l’évènementiel et la communication… Pendant ce temps, une société de droit belge trônait à la tête de l’acquisition d’équipements audiovisuels pour la couverture médiatique du sommet. Pour ce qui est du contrat d’assistance à maitrise d’ouvrage, il y avait le groupement composé de l’agence d’architecture A.B et la société A. ayant leur siège social en France. Lesquels marchés ont été attribués en violation du Code des marchés publics et avec la complicité de l’ARMP qui avait donné son autorisation.

Surcharge à la main des écritures comptables

Mais, il y a pire à la Délégation générale à la Francophonie. Selon les enquêteurs, à la fin du sommet en novembre 2014, les services de la DGF se sont attelés, jusqu’en août 2015, avec l’aide d’experts recrutés pour les besoins, à régulariser les opérations de dépenses initiées à l’insu du délégué général, pour se conformer aux dispositions de l’article 86 du Règlement général sur la comptabilité publique. Laquelle démarche a abouti à des incohérences sur les pièces justificatives produites, en appui de la comptabilité. ‘’Ces opérations de régularisation, entachées de manipulation de pièces justificatives de dépenses et d’écritures comptables, tombent sous le coup des dispositions des articles 57-6), 57-9) de la loi organique sur la Cour des comptes qui retiennent pour punissable le fait d’avoir produit de fausses certifications et le fait d’avoir enfreint les règles régissant l’exécution des dépenses’’.

Dans la même veine, il a été relevé des avenants signés avec Attias, dont l’un n’a même pas été approuvé. ‘’Il a néanmoins été exécuté et payé par voie d’indemnisation. Cette indemnisation a été effectuée en l’absence de pièces justificatives précisant la nature des biens et services objet de la commande et attestant de leur livraison ou exécution, en violation des dispositions de l’article 34 du règlement sur la comptabilité’’, font remarquer les inspecteurs.

Selon le rapport, l’agent comptable doit s’assurer de la validité de la créance portant notamment sur la justif du service fait, résultant de la certification délivrée par l’ordonnateur ainsi que les pièces justificatives produites. Ce qui n’a pas été fait.

Par ailleurs, ce rapport remet au goût du jour le coût véritable du Centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniado construit par les Turcs de l’entreprise Summa. Alors secrétaire d’Etat à la Communication, Yakham Mbaye avait dit que le bâtiment avait coûté 51 milliards environ. Il n’avait pas tardé à être démenti par le ministre en charge des Finances d’alors, Amadou Ba, qui parlait de 59,6 milliards. Avant eux, le délégué général avait parlé de 40 milliards. ‘’La mal gouvernance et la corruption dans ce pays dépassent l’entendement. Et elles ne datent pas d’aujourd’hui. Tout ça n’est que répétition’’.

SUITE DES RAPPORTS

Entre satisfécit et regrets

Félicitant les corps de contrôle qui, de tout temps, ont produit des rapports de qualité, la société civile étale son pessimisme quant à la suite réservée aux rapports.

Un rapport de plus ! Ils sont nombreux, les Sénégalais, à penser que les nouveaux rapports publiés par l’Inspection générale d’Etat vont subir le même sort que les précédents. Malgré les cas de malversation relevés avec force détails. Interpellé, le secrétaire général de Legs (Leadership, éthique, gouvernance et stratégie) Africa tient d’abord à féliciter le vérificateur général François Collin et son équipe. Il déclare : ‘’D’abord, je tiens à rendre un vibrant hommage à nos corps de contrôle, spécialement à l’Inspection générale d’Etat. Malgré la succession des régimes, ils ont conservé la même orthodoxie, la même rigueur, la même neutralité dans la production des rapports. C’est presque miraculeux, vu le contexte de nos pays et cela doit être salué à sa juste mesure.’’

Abondant dans le même sens, le secrétaire général de la Raddho, Sadikh Niass, salue le professionnalisme des inspecteurs, tout en espérant que ces nouveaux rapports seront suivis d’effet. ‘’Des personnes ont été épinglées comme vous dites. D’abord, il faut faire la différence entre les fautes de gestion, les erreurs et les malversations. Pour les malversations, nous estimons qu’il doit y avoir des enquêtes complémentaires pour situer les responsabilités S’il y a lieu de sanctionner, que les sanctions soient appliquées avec rigueur’’.

Pour lui, tout est maintenant question de volonté du chef de l’Etat. Rappelant que la mission de l’IGE s’arrête à la production et à la publication de rapports, M. Niass déclare : ‘’C’est le chef de l’Etat qui doit déclencher l’action judiciaire ou demander l’ouverture d’une enquête, pour les cas de malversations. Ainsi, la justice pourrait faire son travail comme cela a été le cas dans l’affaire Khalifa Ababacar Sall, par exemple.’’ Malheureusement, constate le défenseur des droits humains : ‘’Souvent, on est un peu déçu du traitement de ces rapports. On a l’impression que la justice est plus prompte à s’emballer, quand il s’agit d’opposants politiques que quand il s’agit de partisans du pouvoir. Nous demandons donc plus de rigueur dans le suivi des recommandations.’’

Le responsable à Legs Afrique ne dit pas le contraire. A l’en croire, les enquêteurs font le travail, mais souvent, la volonté politique fait défaut. ‘’Voilà ce qui est regrettable. Il y a eu des dossiers plus chauds, plus brûlants, mais on connait la suite à eux réservée. En tout cas, il est heureux de constater que les corps de contrôle font leur job, quelle que soit la personnalité du client. Le reste, c’est une question de volonté politique’’.

Selon lui, la société civile va continuer de jouer son rôle comme elle l’a toujours fait. ‘’L’autre étape, soutient M. Kinkpé, c’est d’analyser ces rapports, de les diffuser et de lutter pour la sensibilisation de l’opinion. Il faut aussi que tous les acteurs s’y mettent. Parce que ces genres de pratique doivent cesser’. D’après le secrétaire général de Legs, le problème, ce n’est plus de voir des écarts, mais qu’est-ce qui est fait pour les sanctionner. ‘’Et, de ce point de vue, nous restons vraiment sur notre faim. Si c’est pour relever des fautes qui ne feront l’objet d’aucune suite appropriée, le risque est de voir les populations banaliser ces rapports’’.

MOR AMAR

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