Publié le 24 Feb 2020 - 22:35
RÉFORMES ENGAGÉES PAR LE CHEF DE L’ETAT

Au crible des économistes

 

Le concept ‘’Fast-track’’, la suppression du poste de Premier ministre, la politique de rationalisation des dépenses publiques, etc., sont, entre autres, les réformes phares initiées par le chef de l’Etat Macky Sall, au lendemain de sa réélection. ‘’EnQuête’’ a saisi l’occasion de l’an 1 de son 2nd mandat, pour passer en revue, avec des économistes, ces politiques engagées par le président de la République pour mettre le Sénégal sur les rails de l’émergence en 2035, comme prévu dans le Plan Sénégal émergent (PSE).

 

Réélu pour un second mandat, au soir de la Présidentielle du 24 février 2019, le chef de l’Etat, Macky Sall, a entrepris des réformes phares. Ceci, que ce soit dans la structure de l’équipe gouvernementale ou dans son fonctionnement. ‘’Dans la nouvelle dynamique que je compte imprimer à la conduite des affaires publiques, j’ai la ferme intention d’inscrire toutes les actions de l’Etat en mode «Fast-track» (…) Quand on aspire à l’émergence et qu’on est tenu par l’impératif du résultat, l’urgence des tâches à accomplir requiert de la diligence dans le travail. Ce qui doit être fait aujourd’hui ne peut être remis à demain. Voilà le cap que j’entends fixer aux équipes qui m’accompagneront dans ce nouvel élan de réformes transformatives’’, avait annoncé le président de la République, lors de son investiture.

Cependant, dans le cadre de l’application de concept ‘’Fast-track’’, l’expert financier et économiste Ngouda Fall Kane estime qu’il ne fallait pas éliminer, au plan constitutionnel, le poste de Premier ministre. ‘’La coordination de l’activité gouvernementale nécessite la nomination d’un PM et la réduction considération des membres du gouvernement ; 35 ministres pour un pays de 16 millions d’habitants, et les gens parlent de 80 ministres, si on prend en compte les ministres conseillers et les ministres d’Etat. Le «Fast-track» est une très bonne idée, mais ne nécessité pas la suppression du poste de PM. Aujourd’hui, pour beaucoup de choses, le chef de l’Etat se met en premier ligne. Et il ne peut pas à, lui seul, coordonner l’activité gouvernementale’’, soutient-il dans un entretien avec ‘’EnQuête’’.

Au fait, l’économiste rappelle que le PM Mahammed Boun Abdallah Dionne, à l’époque, présidait les conseils interministériels. Ce qui lui permettait, d’après lui, de ‘’régler un dossier très rapidement’’. ‘’Même s’il pense que son PM n’est pas en mesure de le faire, mais quitte à choisir un autre Premier ministre. Le poste est clé. Avec le mode «Fast-track», certes, il veut aller vite, mais il faut aller, bien aussi, avec beaucoup de discernement et de pertinence’’, ajoute-t-il.

El H. Mansour Samb : ‘’On est sur la même dynamique, depuis le lancement du PSE’’

De son côté, l’économiste El Hadj Mansour Samb pense que la suppression du poste de Premier ministre a pour but ‘’d'accélérer’’ l'exécution des politiques publiques. ‘’Ce mode «Fast-track» a été plombé par l'affaire BBC-Alioune Sall, par l'augmentation du prix de l'électricité et par le dialogue national qui tarde à démarrer, car boycotté par une partie de l'opposition significative. Aujourd'hui, ce mode «Fast-track» n'est pas encore vraiment ressenti par les Sénégalais dans leur quotidien’’, dit-il. M. Samb affirme qu’une année après la réélection du président Macky Sall, le pays est ‘’sur la même dynamique’’ depuis le lancement du Plan Sénégal émergent (PSE).

‘’La croissance économique est jusqu'à présent tirée par la dépense publique soutenue par un endettement important. Ce fait a même dégradé la situation d'endettement du Sénégal qui est passé d'un pays à risque de surendettement faible à un pays à risque de surendettement modéré’’, dit-il.

L'autre fait marquant, selon M. Samb, c’est la signature, avec le Fonds monétaire international (FMI) d'un nouveau programme. ‘’Depuis 2007, le Sénégal travaille avec le FMI sur la base d'un programme sans décaissement non financier appelé ISPE (Instrument de soutien à la politique économique). Aujourd'hui, un nouveau programme a été mis en place : l'ICPE (Instrument de coordination des politiques économiques), pour booster le tissu économique local et assurer une gestion durable et transparente du secteur des hydrocarbures. Pour le moment, il n’y a pas encore de changements économiques majeures capables d'impacter la situation économique du pays’’, poursuit-il.

Rationalisation des dépenses publiques

Même s’il défend qu’il n’y a pas de changements majeurs, depuis la réélection de Macky Sall, El H. Mansour Samb reconnait que la rationalisation des dépenses publiques ‘’est une bonne chose’’. Cependant, il trouve qu’il faut aller ‘’encore plus loin’’ et s'attaquer au budget des institutions ou supprimer certaines. ‘’Il faut poursuivre toutes les personnes épinglées dans les rapports des corps de contrôle, pour lutter contre les détournements de deniers publics. Rationaliser les dépenses publiques va aussi avec la sécurisation des deniers publics. Il faut faire une étude sur les fournitures de l'État (achats de véhicules ou autres produits) pour mettre en place une procédure qui permet à l'État d'en acheter efficacement’’, prône l’économiste.

Comme lui, Ngouda Fall Kane salue également cette initiative. A ce propos, l’ancien inspecteur général d’Etat (IGE) pense qu’il est aujourd’hui nécessaire d’avoir une ‘’véritable’’ politique budgétaire. Pour lui, la maitrise des dépenses de l’Etat suppose la suppression de beaucoup plus de postes budgétaires. ‘’Pour les logements de fonction, les indemnités qui sont versées sont extrêmement élevées. On voit des ministres qui ont un million d’indemnité de logement par mois, d’autres 800 à 700 000 F CFA par mois. Or, on peut louer un immeuble au maximum à 300 000 ou 400 000 F CFA. C’est un effort qu’il est en train de faire, mais qui reste. A ce niveau, on aurait dû supprimer ces logements et attribuer des indemnités qui épousent la situation du pays’’, recommande M. Kane qui a été, par ailleurs, l’ancien patron de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif).

La rationalisation des dépenses nécessite également, d’après lui, qu’on arrête, comme le chef de l’Etat en a décidé récemment, l’acquisition des véhicules de fonction. Car, précise M. Kane, les véhicules sont réglementés par un décret. Il y a des gens qui en ont droit et d’autres non. Et dans un ministère, il n’y a que le ministre qui a droit à un véhicule de fonction. ‘’Maintenant, on voit des ministres qui ont 4 ou 5 véhicules chez eux, ce qui est trop. Il urge, certes, de stopper cette pratique, mais il faut également penser à prendre ces véhicules-là. Le parc automobile de l’Etat est trop élevé. Il y a énormément de véhicules. Ce qui n’est pas normal. Il faut récupérer les voitures qui sont entre les mains des ministres et faire de sorte que chaque ministre ne puisse posséder qu’un seul véhicule’’, regrette l’expert financier.

Ngouda Fall Kane : ‘’Le gaspillage au niveau des ministères pose énormément de difficultés’’

En matière de fonctionnement, Ngouda Fall Kane juge nécessaire l’élimination des dépenses budgétaires superflues et faire des économies budgétaires. Des ressources qui seront affectées dans les secteurs qui en ont besoin. Il s’agit, selon lui, de la santé, de l’éducation, de la jeunesse, du financement des femmes, de l’appui au monde rural, aux étudiants, de la restructuration des universités. ‘’Et aussi l’appui au secteur privé national, pour qu’il puisse être régulièrement payé. L’Etat doit également faire des économies budgétaires sur beaucoup de postes, pour orienter cette épargne vers le financement d’autres activités. Ceci a un impact, à court terme, sur l’économie. La politique budgétaire est un instrument de la politique économique. Elles sont indissociables. La politique budgétaire est une dimension, à court terme, de celle économique. Cette dernière est une notion englobante’’, fait savoir l’économiste.

Monsieur Kane soutient que les cinq milliards de francs CFA que l’Etat débourse pour l’entretien de véhicules ‘’n’est pas sérieux’’ dans un pays comme le Sénégal. Ainsi, il affirme qu’il y a une rationalisation d’acquisition et d’utilisation de voitures à faire, une suppression nécessaire de certains postes de dépenses de fonctionnement et les réduire à leur stricte nécessité. ‘’Le gaspillage au niveau des ministères pose énormément de difficultés. La limitation du nombre de départements ministériels peut, dans un premier temps, apporter une solution à cela. Il est nécessaire aussi de limiter les déplacements ministériels. Ces ministres se déplacent trop avec tout leur département. On ne gère pas une économie comme ça’’, déplore M. Kane.

Avant d’ajouter que dans la rationalisation, il y a également l’eau et l’électricité. ‘’On peut penser à doter les administrations de compteurs Woyofal, avec une dotation mensuelle de crédit prépayé en électricité. Si on le fait, ils vont la gérer de façon efficiente’’, préconise-t-il.

‘’D’ici 2022, on pourra, à mi-mandat, voir ce qui a été fait’’

Toutefois, l’ancien patron de la Centif signale qu’il est ‘’très tôt’’ d’apprécier globalement et de façon très poussée les annonces que Macky Sall a eu à faire au lendemain de sa réélection. ‘’Il est juste à un an de travail avec sa réélection. D’ici 2022, on pourra, à mi-mandat, voir ce qui a été fait. Cependant, pour atteindre ses objectifs, il doit renforcer davantage la rationalisation des dépenses de l’Etat et celles fiscales. Il faut une maitrise des recettes fiscales. Le financement de l’économie est d’abord endogène, avec des ressources internes. Il y a énormément d’exonérations fiscales qu’on doit revoir. Et aussi lutter contre la corruption’’, renchérit M. Kane.

D’après l’expert financier, la lutte contre la corruption commence par la ‘’dépolitisation générale’’ de l’Administration financière. Il trouve que les gens qui sont chargés des finances et de collecter des recettes ‘’ne peuvent pas’’ se mettre à faire de la politique. ‘’Ce sont des niches de corruption. La déclaration de patrimoine doit, en même temps, être beaucoup plus contraignante qu’elle ne l’est. De même, les corps de contrôle doivent être renforcés pour plus de transparence. Au Sénégal, le problème qu’on a, c’est qu’on parle très rarement du besoin de financement de l’économie du pays. Est-ce que ce besoin a été évalué ?’’, souligne-t-il.

Aujourd’hui, pour une économie inclusive, M. Kane estime que l’Etat doit aider le monde rural, en diversifiant l’activité agricole avec la gestion de l’eau. Ainsi, il reconnait que certes le Programme d'urgence de développement communautaire (PUDC) est en train de faire des efforts. Cependant, il juge que ces efforts ont besoin d’être appuyés. ‘’L’entreprenariat rapide doit être boosté. Prendre les 30 milliards de la Der et les mettre dans les structures de microfinance pour qu’elles puissent financer les jeunes et les femmes. Si on donne un milliard à Acep, Pamecas, etc., pour ce faire, il n’y aura pas de problème. C’est l’argent de l’Etat. Ce qui se passe, c’est que les gens qui avaient reçu le financement de la Der n’ont rien remboursé. La Der est, à la limite, inutile. Il faut prendre l’argent et le mettre dans les structures de financement des jeunes et des femmes’’, exhorte-t-il.

Infrastructures

Cependant, en termes d’infrastructures, M. Kane admet que le Sénégal a beaucoup fait. D’Abdoulaye Wade à Macky Sall, quel que soit ce qu’on peut dire, il est d’avis qu’il y a eu des efforts d’investissement. Même s’il admet qu’il y a eu des ‘’erreurs’’ pour certains projets.

Et par rapport au niveau d’endettement du pays, pour l’expert financier, tant qu’elle n’a pas atteint le taux de 70 % fixé par les critères de convergence de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), c’est ‘’encore soutenable, même si c’est inquiétant’’. ‘’Ce qui est clair, c’est que la dette est inquiétante et il faut que le Sénégal prenne ses dispositions, sans même qu’on nous l’impose, pour surveiller sa dette extérieure’’, avertit-il.

L’économiste appelle l’Etat aussi à veiller à la sécurité à l’intérieur du pays et au niveau des frontières. Ceci en rapatriant les forces de l’ordre qui sont avec les ministres, pour les mettre à la disposition des populations. Car M. Kane atteste que ces derniers sont suffisamment payés pour prendre en charge leur propre sécurité.

MARIAMA DIEME

 

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