Publié le 27 May 2020 - 20:45
RECRUDESCENCE DE VIOLENCES CONJUGALES ET DOMESTIQUES

Le confinement a la violence en poupe 

 

Depuis quelque temps, des scènes atroces de violences domestiques et conjugales animent les faits divers. D’aucuns diront que le confinement a rendu la société sénégalaise très violente. Et chacun y va maintenant avec ses ‘’armes’’. Les hommes continuent de battre, alors que les femmes usent des techniques les plus atroces pour régler leurs comptes. 

 

Les mesures de restriction mises en place pour barrer la route à la Covid-19 et le semi-confinement occasionnent des effets pervers dont une violence souvent meurtrière qui a élu domicile dans les foyers du Sénégal. En effet, depuis quelques jours, des épisodes de violences familiales les uns plus atroces que les autres animent la chronique. Toutefois, un drame non médiatisé a frappé la famille Ba établie dans le village de Diama, à 20 km de Saint-Louis. Un jeune garçon de 11 ans, en classe de CM1, a payé le prix fort : sa vie, dans un règlement de comptes entre sa mère et sa coépouse. La tragédie a eu lieu dans la nuit du 13 au 14 avril. La présumée meurtrière, qui n’a presque jamais été en bon terme avec la mère de la victime, a nourri un plan diabolique pour se venger sur l’enfant.  Pour se faire, elle a attendu les coups de 22 h, alors que le village s’apprêtait à dormir, avec le confinement, pour inviter sa victime à l’accompagner à l’arrière de la maison. Loin des regards, elle l’a battu à mort. Le jeune garçon a tenté de se défendre, mais il n’était pas de taille. D’ailleurs, c’est en constatant que le jeune garçon a résisté à son meurtrier et les blessures sur la dame qu’elle a été arrêtée.

Le drame le plus récent et non moins violent est l’histoire de la dame qui a aspergé du thé chaud sa coépouse à Jaxaay 2 (dans la banlieue dakaroise). Les faits se sont déroulés à la veille de la Korité. Dans la vidéo devenue virale sur le net, on voit une dame avec une peau complément brûlée dans la zone du dos et des épaules. Quelques jours auparavant, un drame survenu à la Gueule-Tapée avait ému plus d’un, avec la vidéo d’une belle-mère ébouillantant ses belles-filles en plein dîner. La violence de l’acte avait conduit l’une des victimes au service de réanimation à l’hôpital Idrissa Pouye de Grand-Yoff. 

Le 15 mai dernier, c’est la cité Air France de Kounoune, dans le département de Rufisque, qu’a eu lieu l’une des plus abominables scènes de violences domestiques. Khady Diouf, 69 ans, a été découverte morte dans sa salle de bain où elle a été traînée, après avoir été ébouillantée par sa bru.  A la même date, Khalimatou Diallo, 30 ans, dans le coma depuis le 8 mai, rendait l’âme à l’hôpital Idrissa Pouye de Grand-Yoff. A cause d’une cohabitation difficile, cette jeune mère de famille avait été ébouillantée par sa colocataire Mariama Sall au quartier Touba-Thiaroye, dans la banlieue dakaroise. 

La liste de ces scènes atroces, voire macabres est loin d’être exhaustive.

Hausse des violences conjugales à Ziguinchor et à Kolda 

En outre, si à Dakar et dans certaines régions du pays ce sont des histoires de coépouses et de belles-familles qui animent la chronique de ces faits-divers tragiques, dans le sud du pays, le confinement a eu pour conséquence directe la hausse des violences conjugales. 

Jointes par ‘’EnQuête’’, les coordinatrices des boutiques de droit de Ziguinchor et de Kolda disent noter une hausse des violences conjugales, depuis l’entrée en vigueur des mesures de restriction pour lutter contre la Covid-19. ‘’Nous recevons actuellement beaucoup de cas de violence conjugale. Au mois de mars, j’en ai reçu au moins 11 cas qui sont liés au confinement. En effet, il faut savoir que dans cette zone, les femmes sont les maitresses des maisons et elles contribuent plus que les hommes dans les charges de la dépense quotidienne. Avec les mesures de restriction qui ont été prises et l’ampleur de la pandémie, la plupart d’entre elles ont de sérieux problèmes. Elles ne peuvent plus se rendre au marché comme avant, car leurs maris ne leur permettent pas d’y aller. Elles craignent aussi de contracter le virus’’, fait savoir Mme Ndèye Astou Goudiaby Coly, Coordinatrice de la boutique de droit de Ziguinchor.  

Elle indique que cette situation a eu pour effet l’augmentation des cas de violence conjugale et de divorce. ‘’On a reçu une femme que son mari a répudiée, parce qu’elle avait refusé d’aller au marché, de peur de contracter le virus. Heureusement, on est intervenu à temps pour réconcilier le couple. J’ai reçu un autre cas de violence conjugale sur une femme qui a nouvellement accouché. Elle a été battue par son époux pour des problèmes de dépense quotidienne. En effet, d’habitude, le mari partait aux champs pour chercher du bois que la femme revend pour faire ses achats au marché. Puisque le mari n’allait plus dans la brousse à cause du confinement, il n’y a plus d’argent et elle ne pouvait plus préparer. Pour cette raison, le mari l’a sauvagement battue. Elle en est sortie avec des blessures graves. Quand elle s’est rapprochée de la boutique, nous avons échangé avec elle ; nous l’avons conscientisée. Elle est partie à l’hôpital, mais à notre grande surprise, elle n’a pas voulu que le médecin lui établisse un certificat médical. Elle n’a pas voulu porter l’affaire devant la justice’’, regrette la juriste. 

Madame Coly explique que la plupart des causes de ces violences sont liées aux aspects économiques, parce que, dans la zone, ce sont les femmes qui s’activent davantage et prennent en charge la dépense quotidienne pour la famille. Ce qui fait qu’avec les mesures de restriction et le semi-confinement, la plupart des problèmes économiques virent aussitôt en violence entre les conjoints. ‘’Pas plus tard qu’aujourd’hui (ce mardi) nous avons reçu une dame qui a été violentée par son époux, à cause d’un problème de récolte de noix d’anacarde.

En fait, la femme et le mari partageaient le champ, mais pour cette année, quand le jardin a commencé à produire, le mari a formellement interdit à la femme de récolter sa part, alors que chacun devait ramasser de son côté et garder son argent. Mais puisque cette année les fruits n’avaient pas beaucoup produit, car l’année dernière l’hivernage n’était pas bon, le mari a formellement interdit à son épouse d’aller ramasser les noix de cajou. Il l’a trouvée au champ et l’a violemment battue. N’eût été les militaires du cantonnement à côté qui sont intervenus, cela pouvait tourner au drame. La femme a porté plainte et l’affaire est pendante devant la justice’’, précise la juriste. 

A Kolda, la boutique de droit est obligée de faire du social pour endiguer la violence 

Cette recrudescence de la violence conjugale à Ziguinchor se constate aussi dans la région voisine de Kolda. Pire, dans cette partie du sud-est du Sénégal, la boutique de droit de la localité s’est vue obligée de régler des questions économiques pour endiguer la violence et permettre aux femmes de rester dans leur foyer. 

Selon Mme Sall, la coordinatrice de la boutique de droit de la ville, les impacts économiques de la Covid-19 nourrissent la violence dans la zone, au point que les juristes sont obligés de prendre en charge, en plus des questions juridiques celles économiques et sociales. ‘’La violence conjugale est devenue très récurrente à Kolda, parce que c’est une région où ce sont les femmes qui s’activent pour assurer la dépense quotidienne. D’habitude, les femmes agricultrices des localités environnantes vendent dans le marché de Kolda jusqu’à 15 h pour faire des achats et rentrer préparer à manger à la famille. Elles prenaient des Jakarta pour rallier le marché où elles vendaient leurs récoltes. Mais avec le couvre-feu et les mesures de restriction dans les transports, les Jakarta ne roulent plus et les femmes ne peuvent pas faire à pied les distances entre les villages et le marché Kolda. Parfois, quand elles arrivent au marché, il est déjà 15 h, alors que les commerces ferment à la même heure. Ce qui fait qu’elles sont obligées de demander la dépense quotidienne. Ce qui est souvent source de problème avec leurs maris qui les frappent’’, fait savoir la juriste. 

Avant d’ajouter : ‘’L’on se rend compte que le soubassement des violences conjugales est économique. La cause est une violence économique. C’est à cause de ces cas qu’AJS a orienté beaucoup de ses projets vers l’achat de vivres pour ces femmes. On distribue du riz, du sucre et de l’huile à ces femmes qui sont laissées à elles-mêmes. On a fermé la boutique à cause du coronavirus, mais les femmes viennent nous trouver chez nous. Elles se présentent à la maison directement, parfois aux heures du couvre-feu. C’est pourquoi on est obligé, même avec la fermeture de la boutique de droit, de faire des consultations juridiques à domicile’’, indique-t-elle.  

Madame Sall note cependant un effet positif de la pandémie dans la zone, avec la diminution des cas de viol. ‘’Nous recevons beaucoup de cas de violence conjugale, mais les cas de viol ont diminué, depuis le début du confinement. C’est le même constat au niveau du tribunal ; les cas de viol ont beaucoup diminué. Ce qui est un aspect positif de la pandémie’’, se réjouit-elle. 

OUSMANE NDIAYE, PSYCHOSOCIOLOGUE

‘’Dans son couple, le Sénégalais a plus tendance à imposer sa volonté et user de sa force’’

Depuis le début du confinement lié à la pandémie de Covid-19, les violences domestiques et conjugales ont fortement augmenté à travers le monde. Dans un rapport de l’Organisation mondiale pour la population publié en fin mars 2020, l’Onu alertait déjà sur la hausse de la violence conjugale à travers le monde, à cause du confinement. L’organisation décriait un phénomène devenu planétaire et qui affecte tout autant les pays riches que ceux en développement. 

Au Sénégal, on en note de plus en plus cette forme de violence. Ainsi, selon le psychosociologue Ousmane Ndiaye, ce phénomène est dû à un problème de communication et d’incompatibilité d’humeur.  

‘’La communication n’est pas le fort de l’homme sénégalais. Dans son couple, le Sénégalais a plus tendance à imposer sa volonté et à user facilement de sa force avec souvent des insultes. La femme sénégalaise n’est pas non plus brillante en matière de communication. Elle interpelle et l’interpellation n’est pas une façon pacifique de communiquer. L’homme insulte, la femme interpelle.  Il est évident que ces deux-là ne peuvent pas cohabiter au bout d’un certain temps sans étincelle.  Si l’homme est absent toute la journée, la femme se débrouille pour gérer la maison. Et pendant la nuit, même si l’homme est violent, elle arrive à tolérer. Maintenant, si l’époux passe tout son temps à la maison, il va avoir forcément des interactions. Et dans le cadre du confinement, ça devient insupportable et pénible pour l’un et l’autre’’, estime le psychosociologue. Le spécialiste indique qu’il y a également le fait que les couples sénégalais ne sont pas souvent fondés sur l’affection, mais sur des choix de famille. 

L’autre problème, ce sont les couples de travailleurs qui ne passaient pas assez de temps ensemble et qui se voient maintenant obligés de rester tout le temps ensemble avec le confinement. Pour ces catégories de couples, le psychosociologue estime qu’on retrouve les mêmes réactions que celles notées en Occident en ce moment. ‘’L’autre niveau, c’est le couple où les époux ont un certain niveau socio-culturel ou l’un et l’autre travaillent. Chez ces groupes, les réactions sont presque les mêmes qu’en Occident.

Ce qui est déterminant, ce n’est pas d’être en Afrique ou d’être noir, mais il y a une dimension économique qui entre en ligne de compte et qui va déjouer la dimension socio-culturelle chez cette minorité sociale que sont les couples de travailleurs au Sénégal.  On a tendance à retrouver les mêmes réactions psychologiques, que l’on soit à Dakar, Londres ou Hong-Kong. Cependant, il faut savoir qu’il n’y a pas que la violence ; il y a des couples qui vivent très bien le confinement. Si l’union est fondée sur l’affection, on profite de ces moments pour faire ensemble beaucoup de choses’’, estime-t-il. 

ABBA BA  
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