Publié le 13 Nov 2019 - 22:21
REFUS DE PASSER LE TÉMOIN, ACCAPAREMENT DES PRIVILÈGES...

La gangrène syndicale

 

Dans les centrales syndicales au Sénégal, la moyenne d’âge dépasse largement l’âge de la retraite. Les papys qui dirigent la plupart des centrales refusent de passer le témoin à la jeune garde, souvent poussée à la porte ou écrasée au niveau de leurs organisations syndicales respectives.

 

Comme de l’héroïne, le pouvoir rend fou, il rend accro. Dès qu’on y goûte, on a du mal à lâcher prise. Du moins pour beaucoup de leaders. Dans une Afrique où pullulent les dictateurs au sommet du pouvoir politique, au Sénégal, ce sont plutôt les leaders syndicaux qui ne connaissent souvent pas l’alternance. Ils imposent leur diktat en écrasant toute voix discordante.

Cheikh Seck, Secrétaire général du Syndicat démocratique des travailleurs de la santé et du secteur social (Sdt3s), en est en tout cas convaincu. Issu des flancs du Sutsas, il témoigne : ‘’En 2012, parce que je m’étais opposé à Mballo Dia Thiam, on avait mobilisé des nervis pour m’empêcher, moi et mes camarades, de prendre part au congrès. Ce sont de semblants congrès qui sont organisés juste pour se donner un semblant de légitimité. Moi, je considère qu’on ne peut pas continuer à réclamer l’alternance au niveau politique, en épargnant les organisations syndicales. L’Etat doit prendre ses responsabilités. Je pense qu’il faudrait même insérer dans le Code du travail qu’un retraité ne peut pas être à la tête d’un syndicat.’’

Ainsi, certains responsables syndicaux restent à la tête de leurs organisations jusqu’à ce que la mort ou les changements de régimes les emportent. Et généralement, ceux qui osent élever la voix finissent par être mis à l’écart ou créer leurs propres structures, multipliant ainsi le nombre de syndicats. Monsieur Seck, l’ayant appris à ses dépens, explique ce qui fait tant courir certains leaders. ‘’C’est parce, dit-il, qu’il y a des gens qui ne vivent que du syndicalisme. C’est ça leur profession. Tous ces gens que vous voyez s’arcbouter à leur poste vivent du syndicalisme. Ils n’ont rien d’autre à faire’’.

Selon le dissident du Sutsas (Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale), s’il en est ainsi, c’est juste à cause des privilèges. Tout a commencé à s’accentuer dans les années 2000, quand Abdoulaye Wade avait décidé de subventionner les organisations syndicales. Par exemple, l’Unsas de Mademba Sock, qui est loin d’être la centrale la plus représentative, gagne environ 70 millions de franc Cfa par an. En fait, l’enveloppe globale tourne autour de 500-600 millions de francs Cfa et est répartie au prorota des résultats des élections de représentativité, même si, parfois, l’Etat tarde à la débloquer.

S’y ajoutent, selon notre interlocuteur : les cotisations sociales des membres qui, à un moment, étaient fixées à 1 000 F par travailleur, mais aussi le fonds dit social qui est du pouvoir discrétionnaire des syndicats. ‘’Quand j’étais là-bas (Sutsas), on percevait jusqu’à plus de trois millions par mois. Et c’est presque une personne qui gère toutes ces ressources. Le trésorier général qui était là était à la retraite depuis 7 ans. Il s’appelait Bara Niaye’’, renseigne Cheikh Seck. Ce n’est pas tout. Parmi les avantages toujours, il y a la cooptation dans certaines institutions comme le Conseil économique, social et environnemental ainsi que le Haut conseil des collectivités territoriales et les institutions sociales telles que la Caisse de sécurité sociale et l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal.

‘’Voilà pourquoi vous n’entendrez jamais certains leaders. Ils se contrefichent pas mal des préoccupations des travailleurs’’, fulmine le Sg du Sdt3s.

L’anomalie à combattre

Pour les travailleurs prompts à critiquer la manière dont sont gouvernés l’Etat et les partis politiques, on a fini de s’habituer à voir les mêmes têtes défiler le long des fêtes du travail devant les différents présidents de la République. Pour Cheikh Seck, c’est une anomalie qu’il faut combattre à tout prix. En 2003, fait-il remarquer, le Sutsas croyait pourtant avoir réglé ce problème du manque de démocratie, en essayant d’encadrer le nombre de mandats de son Sg. Mais c’était sans compter sur les dirigeants qui violent leurs statuts et règlements intérieurs, comme les régimes politiques violent les constitutions.

Victime de ce manque de démocratie au Sutsas, Seck et Cie ont décidé de mettre des verrous pour se prémunir contre le virus au niveau de leur ‘’nouvelle’’ formation Sdt3s. ‘‘On a mis dans nos textes qu’une personne ne peut avoir plus de trois mandats consécutifs. Mieux, dans notre organisation syndicale, un retraité ne peut même pas être un membre du bureau. On a mis en place une structure que l’on a appelée Administration générale. On y met les personnes qui ont une certaine expérience et qui peuvent beaucoup nous aider dans les orientations stratégiques ainsi que dans certains dossiers’’.

En fait, le Sg du Sdt3s considère que la place du retraité, ce n’est pas de conduire les destinées des syndicats de base. Un retraité, selon lui, est différent du travailleur. Il n’a même pas de bulletin de salaire. Il ne cotise pas. ‘’Comment peut-il donc diriger un syndicat et négocier au nom des travailleurs ? Pour moi, un syndicat de base, c’est pour les travailleurs’’. Tout au plus, reconnait M. Seck, les retraités peuvent être utiles au niveau des centrales. ‘’Le maintien des retraités constitue un grand handicap pour le mouvement syndical. L’Etat préfère discuter avec certains d’entre eux, parce qu’ils sont de connivence. Combien de fois ils ont levé de mots d’ordre, alors qu’ils n’ont eu aucune satisfaction’’. Comme en 2012, les démons de la division, au Sutsas, ont encore resurgi lors du dernier congrès tenu les 2 et 3 novembre 2019. Sérieusement contesté et même hué, Mballo Dia Thiam, à la retraite depuis longtemps, a encore été imposé avec l’appui de Mademba Sock. Au grand dam de ses souteneurs de 2012, nouveaux contestataires.

Comme pour le Sutsas, les guerres de succession sont monnaie courante dans les organisations syndicales. Souvent, les renouvellements débouchent sur des contestations ou des scissions. Si ce n’est un baron ou son poulain qui rempile sans coup férir. Ainsi est née la Cnts/Forces du changement des flancs de la Cnts mère. Aujourd’hui, aussi bien Cheikh Diop (Cnts/Fc) que Mody Guiro (Cnts) qui se disputaient, pendant un moment, la Cnts, sont partis à la retraite, mais refusent de laisser leurs centrales syndicales.

L’autre figure de proue du mouvement syndical, à savoir Mademba Sock, est à la tête de l’Unsas depuis des générations. Tous ont la particularité d’avoir traversé différents régimes et d’être hostiles à la contestation. Sidya Ndiaye de la Fgts aussi peut être logé à la même enseigne, et ils sont loin d’être les seuls.

MBALLO DIA THIAM, SG SUTSAS

‘’Je prendrai mon repos le jour où Dieu en décidera’’

Vivement contesté au niveau du Sutsas (Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale), Mballo Dia Thiam répond à ses détracteurs.

Comme en 2012, des voix se sont encore élevées au niveau du Sutsas, suite à votre dernier congrès, pour réclamer votre départ. Que répondez-vous à vous détracteurs qui vous demandent de partir parce qu’étant à la retraite ?

Comme on l’a dit lors de notre conférence de presse, le congrès a statué. Il faut savoir que je ne me suis pas auto-élu. C’est le congrès qui m’a élu. Cette question est donc derrière moi. Il faut juste retenir qu’un perdant n’est jamais agréable. On leur demande de revenir à la raison et d’aller au travail. C’est le plus important. Aucun article, ni du Code du travail, encore moins du statut général des fonctionnaires ou des conventions internationales n’exclut les retraités du mouvement syndical. Quand on est adhérent d’un syndicat, on est militant de ce syndicat à vie. Ceux qui réclament notre départ n’ont pas plus de légitimité que ceux qui ont décidé de nous y maintenir.

Mais est-ce que ce n’est pas un problème que ce soit les mêmes personnes qui dirigent les syndicats depuis des années, alors même qu’ils sont déjà à la retraite ?

Nous sommes quand même en démocratie. Le syndicat est une association privée. Tant qu’il y a la relation de confiance entre le secrétaire général et les camarades, les militants, il n’y a aucun problème. Le syndicat et le parti politique ne répondent pas des mêmes logiques. Plus le dirigeant syndical a de la notoriété, plus il peut peser sur les négociations. Pour moi, c’est de faux débats. Ceux qui le tiennent, c’est ceux qui ne veulent pas avoir des contre-pouvoirs. Ils veulent avoir en face des novices qui n’ont aucune légitimité, aucune crédibilité, aucune expérience. Ces leaders que l’on dénigre ont consenti des sacrifices incommensurables pour la défense des travailleurs. Ce qui est important, c’est le bilan qu’ils présentent.

Ce n’est donc pas une question de privilèges qui fait que certains s’arcboutent à leur poste ?

Mais quel privilège ? Est-ce que le secrétaire général d’un syndicat a un salaire ? C’est au contraire un sacerdoce, une sinécure. Seulement, on ne peut pas bâtir nos syndicats sur une longue durée pour en faire un patrimoine national et le bazarder en un jour entre des mains inexpertes. C’est inacceptable. C’est un instrument de lutte que l’on doit préserver. Ce n’est pas vrai de dire que le mandat du Sg du Sutsas a été limité. De toute façon, je ne compte pas répondre à ces questions parce que le congrès est derrière nous. Nous avons la légitimité qu’il faut parce qu’élus largement par le congrès. Maintenant, nous déroulons notre feuille de route. On ne peut pas faire le congrès, avant, pendant et après.

Finalement, quand est-ce que vous allez partir vous reposer ?

Le jour où Dieu en décidera. Certainement que je dérange. Mais nous ne dérangeons pas ceux pour qui on est en train de se battre tous les jours, en remportant des victoires. Nous dérangeons, parce que nous sommes un contre-pouvoir. Je ne verse pas dans les commérages. Tout le monde sait ce que je représente. Je ne verse pas dans les débats de caniveaux. J’ai sacrifié toute ma vie pour ce syndicat. Tant que les gens auront confiance en moi, je ferai mon job.

MOR AMAR

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