Publié le 7 Mar 2017 - 18:46
RENCONTRE DEBAT SUR L’ŒUVRE DU PARRAIN DE LUCAD

‘’Cheikh Anta Diop était un As !’’

 

Le père de Jomo Kenyatta Diop revit et sourit. Son œuvre a été revisitée la nuit du vendredi dernier à l’Ucad 2, de façon critique, en quatre sous-thèmes, par des intellectuels tels que Aboubacry Moussa Lam, Bouba Diop, Fatou Kiné Camara et El hadji Ibrahima Sall. Il ressort de cette grande conférence initiée par le groupe 3M-COMM, éditeur du journal L’As Quotidien, que le travail du parrain de l’Ucad est toujours d’actualité, même s’il mérite une amélioration.

 

Pour la cause de Cheikh Anta Diop, jeunes et adultes peuvent rester de 21h à 2h du matin à suivre religieusement les débats sur son œuvre pharaonique. Pour le savant égyptologue aussi, ils sont prêts à évacuer vigoureusement de la salle un vieux indiscipliné qui perturbe la quiétude auditive de la cérémonie. Afin de permettre aux éminents professeurs, qui se sont relayé sur le pupitre de l’amphithéâtre de l’Ucad 2, de bien étaler leur savoir sur le ‘’dernier pharaon noir’’. Mais, ce public clairsemé est également capable de sortir en son sein des étudiants de cette université, tels des jeunes, ‘’armés de science jusqu’aux dents’’, assurant à leur parrain que son œuvre est encore sue. Et que le flambeau de son combat pour le continent suscite toujours un intérêt chez les Africains.

‘’La civilisation nègre est antérieure à toutes les civilisations données, notamment de la Grèce’’, estime le Pr Lam comme pour ressasser le vieux discours de Cheikh Anta Diop. L’enseignant historien a démontré cette assertion par l’invention en Afrique (Egypte) du calendrier, de l’écriture, de la mathématique... Sans oublier le règne des premières dynasties, bien avant ‘’Namer, qui a réunifié l’Egypte’’. Cette thématique, le natif de Caytou (Diourbel) l’a parachevé dans ‘’Antériorité des civilisations nègres’’, un livre publié en 1957. Bien qu’il eût voulu la présenter sous forme de thèse, trois années plus tôt en France. Mais il en a été empêché, rappelle Aboubacry Moussa Lam.

Le professeur Bouba Diop a, lui, montré que ‘’l’Egypte est présente dans l’espace et dans l’univers grec’’. Aujourd’hui, illustre-t-il, le fait que ‘’beaucoup de musées de capitales européennes’’ soit bourré de vestiges (documents…) d’Afrique est ‘’fascinant’’.

Quant au maître de conférences, Fatou Kiné Camara, elle s’est exprimée sur le matriarcat en Afrique. Une partie de l’œuvre de Cheikh Anta Diop pas assez exploitée, selon la juriste. ‘’Dès le début de son travail scientifique, il s’est intéressé à la femme’’, estime Mme Camara pour qui le bicaméralisme a été un système de gouvernance antique dans le continent. Et pour cautionner la parité, elle a soutenu que le défunt professeur avait balisé dans son ouvrage, ‘’Fondements culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire’’, que la femme ne devait pas être ‘’à côté de l’homme’’, mais ‘’avec l’homme’’ pour servir ensemble le pays.

‘’Des Paradoxes sur l’œuvre économique de CAD’’

Pour l’ancien ministre El Hadji Ibrahima Sall, il voit que Diop a parlé des fondements économiques de cet ‘’Etat fédéral’’, tel un ‘’modèle’’. En présentant, par exemple, ‘’un marché intérieur alors qu’il n’y a pas de marché dominant’’. Ce qui fait remarquer à l’économiste, dans cette conception, quelques ‘’paradoxes’’. Car, pour lui, ‘’c’est à partir du marché mondial que l’on devrait discuter du marché intérieur’’.

Une critique dont n’est pas restée insensible certains intervenants, comme Aziz Salmon Fall, un professeur basé à Québec. ‘’Cheikh Anta Diop est un homme de son temps. Il voulait créer la rupture avec le marché mondial’’, répond-t-il, sous une salve d’applaudissements des étudiants. ‘’Cheikh Anta Diop était un As !’’, s’exclame-t-il, comme pour copier le nom du quotidien organisateur de la cérémonie. ‘’La charpente est solide. Dans les détails, vous trouverez matière à critiquer’’, a indiqué pour sa part le Pr Lam. L’historien reprend ainsi le professeur Diop qui, selon lui, a été le premier à faire ‘’son autocritique’’.

Beaucoup d’étudiants ont regretté cependant le fait que le créateur du laboratoire Carbone 14 ne soit pas assez connu de leurs camarades. ‘’Faites un micro trottoir au campus, vous vous rendrez compte que rares sont les étudiants qui connaissent à peine Cheikh Anta Diop’’, estime l’un d’eux, étudiant au département d’histoire. D’autres se sont indignés par contre sur le fait que l’Ucad soit la seule université publique du pays qui accueille ‘’un département d’histoire’’. Car pour eux, CAD a toujours défendu l’enseignement de l’histoire.

Ils ont salué en outre la décision de l’Etat d’intégrer la pensée du savant égyptologue dans le programme scolaire. Un fait que reconnait le Pr Lam en indiquant : ‘’Sur le plan politique, les choses sont en train de bouger. Mais c’est sur le plan scientifique, où ça peine à décoller’’. Il appelle ainsi à la traduction des œuvres de Cheikh Anta Diop.

Cette manifestation, musicalement animée par un intermède de Souleymane Faye et son orchestre, a été saluée par l’ensemble des intervenants. Des initiatives comme ‘’Rencontres de l’As ou le Temple du savoir’’ sont un facteur de progrès et de paix à l’Ucad’’,  s’est félicité un Pr Bouba Diop acquiesçant sous les rythmes acoustiques et devant des étudiants qui ne regrettent pas d’avoir fait nuit blanche. Car en plus de s’être instruits, une dizaine parmi eux a gagné : ordinateurs, tablettes et tickets de bus à l’issue d’un quizz sur Cheikh Anta Diop et son œuvre.

OUMAR DEMBELE (STAGIAIRE)

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