Publié le 12 Jun 2019 - 18:41
REPRISE DES CONCERTATIONS AUTOUR DU PROCESSUS ELECTORAL

Le dialogue altéré par le scandale sur le pétrole et le gaz

 

Rouvertes dans un contexte national assez confus, les concertations autour du processus électoral sont parties pour être altérées par le scandale sur la signature des contrats pétroliers et gaziers au cœur duquel le frère du président de la République Aliou Sall est cité.

 

Pour la troisième fois, les acteurs du jeu politique sénégalais vont se rencontrer, aujourd’hui, dans le cadre des concertations sur le processus électoral. Prévue dans la matinée à la Direction générale des élections, la rencontre devra entériner les termes de référence du dialogue politique engagé dans le cadre du dialogue national et définir, in fine, les missions du Comité national paritaire mis en place à la suite d’une doléance posée dans ce sens par l’opposition dite significative.

Seulement, à la différence des réunions précédentes, celle d’aujourd’hui se tient dans un contexte national assez particulier, dominé par le scandale financier ébruité par la Bbc et qui porte sur 10 milliards de dollars qu’aurait perdus le Sénégal dans des transactions illégales impliquant le frère du président de la République, Aliou Sall.

Alors que le pouvoir tente, par tous les moyens, de circonscrire les dégâts que pourrait occasionner une telle affaire, l’opposition, jusqu’ici réfractaire au dialogue national, s’en donne à cœur joie. Dans de telles circonstances, peut-il y avoir un dialogue sincère ? D’ores et déjà, une bonne frange de l’opposition dite radicale se braque. ‘’Macky Sall fait ce que bon lui semble avec les ressources du pays. Il a endetté le pays presque partout à travers le monde. C’est parce qu’il est aujourd’hui dos au mur qu’il appelle à un dialogue national. Au niveau du Congrès républicain démocratique (Crd), nous n’avons rien à dialoguer avec lui’’, martèle le leader de Tekki Mamadou Lamine Diallo, membre dudit congrès avec les Abdoul Mbaye, Thierno Alassane Sall, Ibrahima Hamidou Dème, entre autres détracteurs du régime en place.

Pour le coordonnateur du pôle des non-alignés Déthié Faye, ce scandale sur la signature des contrats pétroliers et gaziers est déjà parti pour impacter le déroulement du dialogue national entamé depuis le 28 mai dernier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il préconise des concertations inclusives sur la question afin de situer les responsabilités des uns et des autres, et prendre les mesures qui s’imposent. ‘’Tout ce bruit autour du pétrole et du gaz est tellement préoccupant que le peuple sénégalais a besoin d’être édifié sur la question. Dans ce cadre, des concertations inclusives devraient pouvoir permettre aux différents acteurs de savoir à quoi ça retourne. Quand le dialogue national prendra son départ, il est évident que cette question pourrait être abordée pour que les gens puissent avoir les informations qu’il faut pour éclairer l’opinion’’, soutient-il.

Pr. Moussa Diaw : ‘’Cette affaire arrive au mauvais moment’’

Selon Déthié Faye, dès l’instant que le pouvoir est dans les dispositions de poursuivre le dialogue, les gens vont poser tous les problèmes qui préoccupent les Sénégalais et cela devra faire l’objet d’échanges sincères. Car, estime-t-il, personne n’a intérêt à ce qu’on en arrive à ce que les Sénégalais regrettent la découverte de cette ressource.

‘’Nous avons tous intérêt à voir les choses de manière très claire pour que, s’il y a des fautifs, qui qu’ils soient et de quelques bords qu’ils puissent appartenir, qu’ils soient punis à la hauteur de la forfaiture commise’’, déclare-t-il.   

Dans un sens comme dans un autre, ce sera difficile d’entamer un dialogue dans ce contexte. Selon Moussa Diaw, enseignant-chercheur en science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, l’atmosphère est polluée par cette affaire de pétrole et de gaz. ‘’Cela m’étonnerait que les acteurs fassent l’effort de dépasser cette situation rapidement. Puisque ça arrive au mauvais moment, il y a des risques qu’elle compromette le dialogue’’, analyse notre interlocuteur. Il estime que même s’il y a une volonté de maintenir le dialogue, l’esprit n’y sera pas.

‘’Cette affaire vient bloquer toutes les idées qui auraient pu être utilisées pour faire en sorte que le dialogue puisse se dérouler dans de bonnes conditions. Même ceux qui doutaient de la sincérité de l’appel du président de la République avaient fait une déclaration pour se joindre au dialogue. Tout le monde avait montré sa bonne volonté de participer au dialogue, même s’il y avait des réserves, les plus exigeants ayant finalement accepté de participer à ce dialogue. Mais, aujourd’hui, compte tenu de ce contexte difficile, la situation risque d’être compromise’’, déclare l’analyste politique pour qui, ce scandale est la grande surprise qui a créé des inquiétudes et aussi l’absence de sérénité dans la gestion de cette histoire.

‘’Depuis que le documentaire est diffusé sur Bbc, tout le monde a abordé la question de façon dispersée’’, note-t-il.

‘’Si le Pm était là…’’

Par ailleurs, Moussa Diaw relève que la posture du président de la République est complètement fragilisée par la suppression du poste de Premier ministre. ‘’Si le Pm était là, il serait en première ligne. Le président de la République est maintenant exposé, d’autant plus que lui-même a pris en charge cette affaire pour s’exprimer dans ce contexte qui n’était pas du tout approprié et ça a créé un tollé’’. Normalement, il pense que le président de la République devrait être le dernier à intervenir dans cette affaire, pour permettre, par exemple, aux services qui sont spécialisés comme le ministère du Pétrole, par exemple, d’intervenir et d’apporter les réponses appropriées par rapport aux accusations.

‘’Le président est maintenant en première ligne et ça va le fragiliser, parce qu’il n’a plus de structure qui lui sert d’écran. C’est ça l’intérêt du poste de Pm. Ça a été une erreur de supprimer le poste de Pm et maintenant, il en ressent les contrecoups’’, souligne-t-il.

Intervenu au moment où tout le monde s’y attendait le moins, ce scandale à milliards de dollars est une situation inespérée pour l’opposition. Celle-ci, selon le Pr. Moussa Diaw, a saisi cette opportunité d’attaquer davantage le président de la République ou toutes les personnalités qui sont concernées par cette affaire. Ainsi, si le dialogue politique avait donné une chance au président de la République de rebondir dans un contexte politique difficile et d’apaiser le climat, il a été rattrapé par cette histoire. ‘’Cela permet à l’opposition de se ressourcer, de se mobiliser et de se regrouper pour se repositionner’’.

Maintenant, est-ce que cette opposition a aujourd’hui intérêt à poursuivre le dialogue ? Pour Moussa Diaw, elle peut jouer sur les deux tableaux, c’est-à-dire mener le dialogue et en même temps continuer à presser le gouvernement pour des éclairages sur une situation qui n’est pas claire.

Deux appréciations politiques

Cependant, au-delà des considérations politiques, cette affaire soulève, selon Moussa Diaw, deux appréciations politiques. D’une part, sur les pratiques politiques relativement à ce qu’on observe dans les pays africains, c’est-à-dire le fait de placer des membres de la famille dans des positions de pouvoir. Et, d’autre part, la question de la transparence dans la gouvernance des ressources naturelles. ‘’Toute la problématique de la gouvernance transparait dans cette affaire et ça pose un problème dans le fonctionnement du système politique dans un pays africain comme le nôtre’’, estime l’enseignant-chercheur en science politique à l’Ugb.   

ASSANE MBAYE

 

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