Publié le 15 Aug 2019 - 09:27
RESTRUCTURATION PDS

Ces refus polis qui inquiètent

 

Après avoir procédé à un profond remaniement du Parti démocratique sénégalais, la semaine dernière, Me Abdoulaye Wade a vu deux de ses fidèles collaborateurs et anciens compagnons décliner leurs nouvelles responsabilités.

 

La lumière est faite sur la nouvelle configuration du Parti démocratique sénégalais (Pds).  Comme il fallait s’y attendre, elle n’a pas fait que des heureux. Les ‘‘éconduits’’ de la nouvelle restructuration ont annoncé, sur leurs pages Facebook, avoir décliné les nouveaux postes auxquels ils ont été nommés par le toujours secrétaire général national Me Abdoulaye Wade. Me El Hadj Amadou Sall, qui en est à plus de quatre décennies dans le parti, ayant même rejoint en prison, en avril 1988, son client Me Abdoulaye Wade, arrêté après le scrutin présidentiel de la même année, a poliment refusé les nouvelles responsabilités dont il a été investies dans cette nouvelle configuration.

‘‘Frère secrétaire général national du Pds, j’ai pris connaissance de votre décision portant réaménagement du Secrétariat national du Pds. Pour des raisons personnelles, je vous remercie de pourvoir à mon remplacement du poste où vous m’avez ‘nommé’. Restant naturellement membre du parti auquel j’ai adhéré en 1974, je vous prie de croire, frère secrétaire général national, à l'assurance de mes sentiments militants’’, a écrit Me Sall le samedi 10 août, soit au lendemain de la publication de la nouvelle Wade-formula.

Le même jour, celui qui occupait jusque-là les fonctions de porte-parole et celles de secrétaire national à l'orientation, aux stratégies, chargé des réformes, Babacar Gaye, a également envoyé une lettre à Me Wade ‘‘afin d’éviter que la confusion ne s’installe dans l’esprit de [ses] militants et sympathisants’’.

‘‘Par voie de presse, j’ai appris que vous avez décidé de remanier le Secrétariat national du Pds (...) A l'attente de plus amples informations sur les motivations d’un tel chamboulement, je vous saurais gré de bien vouloir me libérer des charges de ‘secrétaire national, président du Comité national permanent d’organisation’ que me confère votre dernière décision’’, a-t-il posté sur sa page Facebook, en précisant qu’il demeurait toujours membre du parti. 

Pour mieux asseoir sa légitimité, Babacar Gaye d’avancer qu’il conservait ses fonctions de secrétaire général de la fédération de Kaffrine que lui ont ‘‘confiées les militants du département éponyme’’.

Le problème serait plus grave, à l’en croire, puisqu’avant ce remaniement, il dit avoir demandé, depuis août 2016, à être déchargé de ses responsabilités.

Pour l’enseignant chercheur en sciences politiques à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Pr. Moussa Diaw, ces deux mastodontes des libéraux subissent les contradictions qui surviennent parfois en politique. ‘‘C’est décevant qu’ils fassent les frais de leur engagement politique. C’est le paradoxe de ce parti ; au lieu de faire la promotion aux barons, on les sanctionne négativement, parce que Me Wade n’a pas confiance en eux pour leur donner la direction du parti. Leur refus est la manifestation d’une frustration qu’ils ont ressentie comme telle, car ayant été écartés à la mise en œuvre de la structuration’’, a déclaré hier M. Diaw au téléphone d’’’EnQuête’’. 

L’autre raison qui peut expliquer cette dissidence silencieuse de ces barons libéraux tient au fait, selon l’universitaire, que Me Wade a pris la décision de manière unilatérale. ‘‘Cette restructuration s’est faite sans aucun débat, sans consultation des principaux concernés. C’est normal qu’ils n’en aient pas voulu en dehors de toute discussion. Il a décidé, de façon autoritaire, de les placer à des postes où ils ne se reconnaissent pas. C’est la raison pour laquelle ils ont décliné l’offre. Ça affaiblit davantage cette formation politique. L’enjeu, pour Wade, c’est de préparer le retour de son fils’’.

Baliser la voie à Karim

Dans la soirée de jeudi, Me Wade a procédé à une restructuration du Parti démocratique sénégalais dont le statu quo des instances datait de 2014. La dissolution du Secrétariat national a eu comme conséquences la défenestration du ci-devant coordonnateur et secrétaire général national adjoint, n°2 du parti, Oumar Sarr. Ce dernier n’a pas encore réagi, mais ses postures de plus en plus conciliantes avec le pouvoir, dont la décision de participer au dialogue national contre l’avis du ‘’Pape du Sopi’’, lui ont coûté son poste sans surprise. La charge de coordonnateur est supprimée dans la nouvelle configuration et 11 postes de secrétaire général national adjoint ont été créés dont le secrétaire général national adjoint chargé de l’organisation, de la modernisation et de l’élaboration des stratégies politiques, occupé par Karim Wade.

‘‘Les principaux leaders qui ont milité dans ce parti ont milité grâce au charisme de Wade-père. Maintenant que ces gens ont voulu remplir ce vide, lui n’en a pas voulu, parce qu’il a préservé ce fauteuil là pour son fils, alors que les autres ne veulent pas se soumettre à la position de pouvoir de Karim. Ce sont des gens qui ont été là pratiquement à la naissance du parti, qui l’ont accompagné dans des épreuves très difficiles jusqu’à la victoire finale de 2000. Tous ces gens sont marginalisés, aujourd’hui. Wade a fait l’erreur de conserver la tête du parti, après avoir conquis le pouvoir’’, analyse Moussa Diaw.

Ce dernier d’attribuer la posture de l’ancien président de la République par une déception qui serait née d’une attente non concrétisée.

Pendant la campagne, le ‘’Pape du Sopi’’ était dans une logique de négociations plutôt que de confrontations et ‘‘elles n’ont pas abouties, a priori’’. ‘‘L’arbitrage’’ du président guinéen, Alpha Condé, a été bien suivie, mais la teneur de ces négociations n’a pas été révélée jusque-là. S’agissait-il des conditions de retour de Karim Wade après la Présidentielle ? ‘‘Personne ne connait l’objet des discussions, les conditionnalités, les échanges ou les résultats. Le président Wade ne peut pas s’autoriser à les révéler, car il est en face de quelqu’un qu’il a formé. Manifestement, il n’a pas eu gain de cause. Il n’a rien eu en retour. Comme il a beaucoup attendu et que le temps politique passe, c’est pour cela qu’il a voulu relancer. Par calcul politique pour son fils, il n’a soutenu aucun candidat à la Présidentielle. Il est dans les manœuvres politiques. Donc, Me Wade est dans une perspective de relance du parti’’, commente Moussa Diaw.

S’il existe beaucoup de spéculations sur cette rencontre à Conakry, l’universitaire est sûr d’une chose, par contre, concernant ce regain d’activité de Wade. ‘‘L’une des finalités est justement de déblayer le terrain à Karim de telle sorte que s’il revient, il ne sera pas en position de faiblesse interne. Tout tourne autour de l’objectif final de placer son fils à la tête du Pds. Rien d’autre’’, avance le professeur.

Nouveaux profils

A l’image d’un congrès sans débat, cette restructuration sans débat risque de provoquer des troubles dans le parti, quand bien même les ‘‘proscrits’’ disent toujours rester militants du Pds. Pour le moment, les caciques libéraux ont été très conventionnels dans la forme. Ce qui est tout à fait normal, pour Moussa Diaw. ‘‘Ils ont dit qu’ils restaient dans le parti, mais c’est plutôt une façon polie de répondre à Me Wade. Quoiqu’on dise, ils lui vouent encore beaucoup d’égards’’. Mais le professeur est au regret de constater qu’Abdoulaye Wade ‘‘risque de créer un vide autour de Karim, car en croyant renforcer ce parti, il pousse les autres à envisager de quitter pour créer des mouvements ou rejoindre la majorité éventuellement’’.

La nouvelle mue du Pds propulse d’autres personnalités au-devant de la scène, mais leur profil laisse l’enseignant-chercheur un peu perplexe. Si elles sont rompues à la tâche (Bara Gaye, Toussaint Manga, Woré Sarr, Tafsir Thioye, Ndèye Gaye Cissé), elles ont un très grand défi à relever.

Cette ‘‘refonte’’ du parti avec la Génération du concret comme l’un des éléments stabilisateurs, ne devrait pas régler les problèmes libéraux dans l’immédiat. ‘‘Il bâtit le parti autour d’une nouvelle génération qui va se cristalliser autour de Karim. C’est la renaissance de la Génération du concret. Mais peut-elle rebondir, alors que son leader est absent du territoire ? Va-t-il bénéficier d’une amnistie, car c’est la seule issue qui puisse lui permettre de rebondir politiquement, la grâce n’étant pas suffisante ?’’, se demande le professeur à l’Ugb.

L’autre détenu politicien, Khalifa Sall, est aussi suspendu à la décision d’un président tout-puissant qui détient tous les fils d’Ariane de ce labyrinthe politico-judiciaire. 

OUSMANE LAYE DIOP

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