Publié le 22 Feb 2020 - 11:04
REVOLTE DES VETERINAIRES

Moi aussi, je suis docteur !

 

Considérés comme des sous-médecins, les docteurs vétérinaires espèrent retrouver leurs lettres de noblesse pour jouer pleinement leur partition dans la prise en charge de la santé publique.

 

Les politiques les ont divisés. La maladie les a rapprochés. Avec l’épidémie de coronavirus qui défraie la chronique partout dans le monde, les vétérinaires, d’habitude oubliés dans la prise en charge des questions sanitaires, sont remis en selle. C’est du moins le cas dans certains pays où le concept ‘’One Heath’’ (une seule santé) si cher à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a encore un sens.

Au Sénégal, les médecins vétérinaires, souvent, se plaignent d’une mise à l’écart, de discrimination. Certains pensant que la santé publique n’intéresserait que le médecin sorti de la faculté de Médecine.

Après 30 ans au service de la santé des animaux, de l’homme par ricochet, Dr Coumba Kébé Guèye n’en peut plus de supporter une telle ségrégation. Elle témoigne : ‘’C’est vraiment le sentiment que nous avons. Vous savez, nous sommes sortis des mêmes universités, avec les mêmes diplômes (Bac+8). Nous pensons donc qu’il est anormal qu’il y ait des différences dans le traitement de ces deux corps. La santé est une et indivisible.’’

Pour la bonne dame, prendre en charge la santé de l’animal, c’est aussi prendre en compte le bien-être de l’homme ; puisque ce dernier consomme des produits d’origine animale ; il vit avec des animaux. La spécialiste donne en exemple le Sras, Ebola et, maintenant, le coronavirus. ‘’Ce sont les animaux qui sont à l’origine de ces maladies. C’est pourquoi les vétérinaires doivent être en première ligne dans la lutte contre ces épidémies, tout comme dans leur prévention. Même si des efforts ont été faits, c’est loin d’être suffisant’’, dénonce-t-elle, non sans préciser qu’il est temps de revenir à l’orthodoxie et de donner à chaque composante la place qui lui revient.

Elle ajoute : ‘’Les vétérinaires continuent de jouer un rôle très important, malgré cette négligence. Si on les implique dans l’impulsion des politiques publiques, ils peuvent valoir beaucoup de satisfaction.’’ Mais l’Etat semble encore réticent dans certains secteurs. Jusque-là, les vétérinaires sont cantonnés aux secteurs de l’élevage, de la pêche dans une moindre mesure, alors qu’ils ont des compétences transversales. L’implication des vétérinaires dans les politiques de santé publique reste encore assez timide, selon les témoignages.

La descente aux enfers

Ainsi, d’année en année, le métier perd de son lustre. Sous le règne du colon, se remémore le secrétaire général du ministère de l’Elevage, Dr Mamadou Ousseynou Sakho, vu que les colonies participaient à l’effort de guerre, notamment par l’envoi de la viande pour le ravitaillement des troupes, les vétérinaires étaient très bien impliqués. Au départ du colon, en 1960, avec le président Léopold Sédar Senghor, la même dynamique a été maintenue. Mais ces dernières années, tout s’est écroulé.

Considérés comme des sous-médecins, ces derniers essaient, bon an mal an, d’apporter leur contribution dans l’effort de lutte contre les maladies. Toutefois, les moyens à eux réservés semblent dérisoires. Vétérinaire, enfant de vétérinaire, Dr Fatou Touré raconte le bon vieux temps : ‘’Les vétérinaires étaient consultés dans toutes les politiques de santé par les pouvoirs publics. C’est de moins en moins le cas. D’autres pays l’ont compris, mais au Sénégal, il y a beaucoup d’efforts à faire dans ce sens.’’ En ces périodes, les membres de cette corporation habitaient dans les plus belles villas, les plus beaux quartiers de Dakar. Beaucoup pouvaient même se permettre d’avoir des passeports diplomatiques ; leurs enfants fréquentant les meilleures écoles et étaient promus à un avenir doré, parfois au cabinet de papa. Aujourd’hui, les vétérinaires, pour leurs enfants, rêvent d’autres horizons.

Le sourire en coin, Coumba Kébé rétorque : ‘’Ah non, je ne souhaiterais pas que mon enfant devienne vétérinaire. Le métier est aujourd’hui un peu dévalorisé. Ailleurs, les vétérinaires sont très respectés, mais au Sénégal, je suis désolée, mais ce n’est pas le cas.’’

De l’avis des docteurs vétérinaires, il urge d’œuvrer pour que la profession retrouve ses lettres de noblesse. ‘’C’est fondamental, puisque ce métier est essentiel, non seulement, pour la santé des animaux, mais aussi pour la santé des hommes’’, renchérit le SG du ministère de l’Elevage.

En attendant, ils sont nombreux, les Sénégalais, qui ignorent tout de cette profession. Certains prenant les agents techniques, avec qui ils sont en contact, pour des vétérinaires. Pourtant, n’est vétérinaire que le titulaire du doctorat, tiennent à préciser les professionnels de la santé animale. Pour relever le défi du développement, fulminent-ils, le métier est incontournable.

Les défis des vétérinaires

A en croire les acteurs, les enjeux qui interpellent le secteur sont énormes. En plus de veiller sur la protection géo-sanitaire du cheptel, les vétérinaires contribuent à aider l’Etat à atteindre les objectifs de production en matière d’élevage, notamment. Dans ce cadre, depuis des décennies, ces blouses blanches ont permis de maitriser certaines maladies très dangereuses pour le bétail comme la peste bovine. ‘’Beaucoup d’efforts ont été faits, rapporte Dr Sakho. Il est arrivé, par exemple, dans l’histoire de notre pays, des moments où l’éleveur qui partait avec son troupeau ne revenait qu’avec son bâton. Voilà une image qui renseigne à merveille sur le niveau de ravage de ces maladies, autrefois. Cela montre aussi que les vétérinaires ont fait et continuent de faire de très bonnes choses’’.

Malgré ces avancées, les défis à relever restent encore très nombreux. Parmi ces défis, il y a la peste des petits ruminants qui continuent de faire de nombreuses victimes chez les éleveurs. Selon les vétérinaires, l’Etat doit hâter davantage le pas pour atteindre, à l’horizon 2025, l’objectif de vacciner au moins 80 % du cheptel. Aujourd’hui, le pays est loin du compte. ‘’Nous sommes entre 30 et 35 % de taux de vaccination. Il y a un déficit dans l’approvisionnement qui fait que les évolutions sont encore un peu timides. Mais des efforts sont en train d’être mis en œuvre pour juguler le problème’’.

Le secrétaire général rappelle que le Sénégal s’est engagé dans la stratégie mondiale pour le contrôle et l’éradication de la peste des petits ruminants. Un plan national stratégique a été élaboré à cet effet pour l’éradication de la maladie à l’horizon 2025. Aussi, informe-t-il, dans l’optique d’accompagner les pouvoirs publics dans la mise en œuvre des politiques pour augmenter la production d’aliments d’origine animale. Pour ce faire, il indique que la qualité hygiénique du bétail ainsi que son alimentation correcte sont indispensables.

FATOU TOURE, PRESIDENTE DE L’ASSOCIATION DES FEMMES VETERINAIRES

‘’Nous avons tous failli !’’

Pendant ce temps, les femmes docteurs vétérinaires s’organisent pour mieux prendre en charge leurs préoccupations ainsi que celles de la corporation. Après son diagnostic sans complaisance sur la situation que traverse le secteur, particulièrement les femmes, Fatou Touré, la présidente de l’Association des femmes vétérinaires du Sénégal (AFVS) déclare : ‘’Nous avons tous failli, en laissant la place vide. Nous avons estimé qu’il fallait réagir, prendre conscience de notre devoir, mettre en œuvre nos capacités pour faire bouger les choses.’’ De l’avis de la présidente, les femmes membres de profession doivent se mobiliser pour une meilleure défense de leurs intérêts. D’où la mise en place de l’AFVS.

Présidant l’assemblée générale constitutive qui a eu lieu le samedi 8 février dernier, le secrétaire général du ministère de l’Elevage, Mamadou Sakho, a estimé que cette structure est venue à son heure. Il a ainsi assuré que la tutelle fera tout ce qui est en son pouvoir pour l’accompagner dans son développement.  

MOR AMAR

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