Publié le 3 Jun 2020 - 23:12
RIPOSTE COMMUNAUTAIRE CONTRE LA COVID-19 AU SÉNÉGAL

Un sur-dispositif communautaire sans pré-disposition communautaire

 

Aucune guerre ne s’est jamais gagnée par, seulement, des soldats fortement mobilisés sur le terrain mais faiblement armés au niveau stratégie. : L’histoire de la seconde guerre mondiale est là pour nous le rappeler. En 1942 alors que la 6ième armée contrôle 90 % de Stalingrad, il est lancé la bataille de  la ville, en hiver.
 
Les soldats allemands vivent alors une situation extrême. Ils ont faim, ils ont très froid car leur équipement est prévu pour une guerre en Europe, et non pas en URSS, là où il fait très froid en hiver.  En effet, « le froid a gelé les marécages et les chars et unités motorisées allemands » le général hiver a littéralement encerclé les troupes allemandes. Malgré qu’Hitler oblige le général Paulus à rester à Stalingrad et à la défendre coûte que coûte. Le 3 février 1943, Paulus capitule. 
 
Aucune partie de football ne s’est jamais gagnée par, seulement, une constellation de joueurs de qualité mais sans fond de jeu véritable. Le palmarès sportif de l’équipe nationale du Sénégal en est une illustration parfaite. Papa Diouf (Ancien Président de l’OM et première victime de la COVID-19 au Sénégal) s’en interrogeait en ces termes : « La question qui mérite une réflexion est : pourquoi au Sénégal on ne gagne rien du tout en football malgré le potentiel qui est le nôtre (…) Au vu de la qualité des joueurs qui se sont succédé en équipe nationale » (Contenu  publié le 11/09/2017 à 19:07 dans  SeneNews Sport). En guise de réponse le coach Zdravko Logarusic, entraineur du Soudan équipe adversaire du Sénégal lors des éliminatoire de a coupe du monde 2018, avance « qu'ils n'ont pas de problèmes de joueurs, mais plutôt de tactique de jeu, c'est tout ». (Dans le journal "Les Echos" Vendredi 19 Octobre 2018 - 11:06).
 
En parallélisme sur la forme et sur le fond, la riposte communautaire sénégalaise contre la COVID-19 se (re)trouve exactement dans la même configuration que les scenarii sus-présentés. C’est-à-dire Beaucoup de communautaires de tous genres ; légitimes ou légitimés, trop d’activités communautaires intéressantes ou intéressées, mais le tout sans un plan de riposte stratégique pensé, réfléchi et clairement défini De ce point de vue le résultat ne saurait être que le même, suivant la logique de l’harmonie imitative. Un échec programmé de la riposte communautaire avec pour élément annonciateur l’évolution exponentielle des cas communautaires à Dakar.
 
Le Ministre de la Santé et de l’Action sociale en arrive à la triste conclusion par (re)connaître que : « la transmission communautaire est clairement établie et se traduit par une augmentation des cas issus de la transmission communautaire mais aussi des décès communautaires (…) Force est de constater que la Région de Dakar constitue l’épicentre de l’épidémie au Sénégal (…) A la date du 29 mai 2020, la région de Dakar totalisait 2525 cas dans notre pays sur les 3429 dépistés au Sénégal soit un taux de 73,6 ». Pourtant c’est sur ce terrain de Dakar précisément que se côtoie,  se télescope, voire se confronte ou s’affronte une multiplicité de discours autour du coronavirus. L’on assiste, ainsi, à une mise en société d’un jeu de voix d’acteurs mobilisées qui dérive sur une cacophonie qui rappelle Babel. Face à cette multiplication de voix communautaires peu compréhensibles, que nous préférons plutôt qualifier d’activisme communautaire, je me permets d’adresser aux autorités de la lutte contre la COVID-19 la question, à la fois, interpellaive et accusatrice suivante : 
 
Y a-t-il quelqu’un, quelque part qui décide de quelle riposte communautaire le Sénégal doit-il mettre en œuvre ? `
 
Car ne nous y méprenons pas, ce ne sera ni la multiplicité des acteurs communautaires en sur-présence sur le terrain, ni leur enthousiasme débordant encore moins leur qualité intrinsèque, qui ne fait aucun doute, qui suffiront à eux seuls pour remporter la riposte communautaire contre la COVID-19. Il faut impérativement une stratégie communautaire globale, officielle et adaptée à la situation sous forme de ligne directive. Une feuille de route officielle proposable et opposable à tout acteur communautaire engagé, pour une riposte coordonnée et efficace. Conçue par qui de droit et non par qui de loi. Ou du moins, que les officiels renforcés que par une légalité décrétale associent dans la définition de leur politique communautaire les spécialistes confortés par une légitimité scientifique, au lieu de les scier du programme comme cela semble être présentement le cas. 
 
Vaut mieux tard que jamais, le Ministre Abdoulaye Diouf Sarr semble enfin en prendre conscience lorsqu’il dit : « L’endiguement de l’épidémie doit mobiliser toutes les énergies. Cela passe par un renforcement de nos stratégies à l’échelle locale et un engagement fort de l’ensemble des communautés (…) J’ai demandé au Comité National de Lutte contre la gestion des épidémies de formuler dans les meilleurs délais, des recommandations pour freiner la propagation de l’épidémie dans la région de Dakar (…) parce que si on perd la main à Dakar, la lutte risque d’être perdue au niveau du pays. »  
 
Mais irez-vous M. le Président de la République, M. le Ministre de la Santé et de l’Action sociale, jusqu’au bout de cette logique en allant à la rencontre et à l’écoute de ces anonymes, qui ont fait leur vie sur la recherche de solutions communautaires, et non les renommées, dont leur vie se fait par la gestion communautaire. 
 
Car, cette dernière catégorie de personnalités jusque-là plébiscitées, n’a pas encore su mettre à profit le bon dispositif communautaire dont dispose le pays, brillante par leur absence, silence et initiative. Pour toute démarche (non)proposée, il est laissé à quiconque se réclamant communautaire la latitude de dérouler son approche communautaire. Ainsi au lieu d’une réponse communautaire, on en décompte une multitude. Encore que même si on est communautaire, son rôle se situerait, davantage, au niveau opérationnel de la mise en œuvre, plutôt, que du niveau stratégique de la conception. C’est là toute l’origine de ce pilotage à vue constaté dans toutes ces réponses communautaires sur-proposées, génératrices de beaucoup de bruits et de pas mal de confusions ?
 
Comment le protocole de riposte communautaire fort sur la forme est-il inopérant à cause de sa faiblesse sur le fond ?
 
Constitué d’agents formels comme d’agent informels tels, les agents de santé communautaire, les assistants sociaux, les Badienne Gox, les relais communautaires, les ASC, les associations locales, les leaders d’opinion (artistes, sportifs, notables, religieux, personnes de bonne volonté, politiques…)... Le dispositif communautaire est fort d’hommes et de femmes de terrain, et fiers de le revendiquer. A juste titre, ils sont formés ou formatés pour  être proches de la population, la connaître et pouvoir l’influencer.
 
Vaste et exaltant programme qui recoupe largement leur fonction. Mais la direction vers laquelle influencer la communauté, dans un sens ou dans un autre, cette prérogative n’est pas du ressort du communautaire. Dont le rôle est spécialisé dans la prise en charge de l’individu et non dans la manipulation de ses idées. Sa vocation n’est pas de concevoir, par lui-même, ni les messages ni la stratégie de la riposte. Une mission dévolue à un responsable dédié qui n’est pas un acteur opérationnel de terrain mais un agent de conception. 
 
Dans cette situation où ceux qui sont censés rédiger la feuille de route de la réponse communautaire restent improductifs, par ignorance de leurs prérogatives ou par déficit de compétences pour leur tâche, les acteurs communautaires se retrouvent laissés à eux-mêmes. Sans contenus et orientations, ils s’improvisent, devant la communauté en interrogation de quelle direction prendre, officieusement stratèges en plus de leur statut officiel de maîtres d’œuvre. Bien présents sur l’étendue des terrains du pays et contraints ou désireux d’occuper tous les postes en même temps, les acteurs communautaires se mettent alors à dire et à faire. A ce rythme effréné, ils finissent par répéter les mêmes messages et exécuter les mêmes tâches, qui consistent respectivement à :
 
 - (Re)parler, encore et toujours, des fameux gestes barrières : un discours rodé et même, à la limite, un disque raillé qui a besoin à l’occasion d’être renforcé et d’être renouvelé ;
- (Re)distribuer, encore et toujours, des masques, des gels, de la nourriture : des actions d’appoint qui ne sont d’ailleurs, pas totalement, au point. 
 
En ne reposant que sur ces deux leviers largement éprouvés, la machine de la riposte communautaire de la COVID-19 du Sénégal déraille vers deux dérives : emballement et enraillement. Faute, non pas, de bras communautaires mais, plutôt, par défaut de tête communautaire. Alors face à ce cas grave, l’opération chirurgicale qu’il urge de réaliser est celle, à la fois, délicate et technique de greffer au corps communautaire, qui est déjà bien bâti, un esprit communautaire encore inexistant. Mais comment procéder ?
 
Quelques gestes précis pour insuffler une âme réfléchie à ce corps communautaire  sur-animé  
 
Pour ce faire la riposte communautaire, jusque-là simple slogan communautaire, gagnerait à être transformée en produit communautaire. Correspondant concrètement à l’acte d’engagement communautaire qui reste, pour le moment, dans les esprits, en l’état de théorie. En attendant que le concept se traduise concrètement, dans les faits, en conduite communautaire. La seule  manière de rendre  efficace l’engagement communautaire dans la trajectoire de la transformation communautaire qui est la finalité  de la riposte communautaire pour arriver à bout de la pandémie de la COVID-19. Mais pour cela, le processus doit se construire en se débarrassant de tous les équivoques autour de la notion clé d’engagement communautaire surtout chez les responsables du CNDE et du CRDE.
 
Ceux-là mêmes que le Ministre invite à nous proposer encore sans délai, une démarche accentuée de la réponse communautaire, en dépit des amalgames qu’ils traînent encore autour de l’approche communautaire. Ne vaudrait-il pas, donc, mieux les inciter d’abord à se départir des amalgames qui les empêchent, de bonne foi, de bâtir une stratégie communautaire qui fait jusque-là défaut. Parmi les nombreuses nuances autours de l’engagement communautaire qu’ils doivent apprendre  à discerner,  nous retiendrons à tout hasard les suivantes :
 
- L’engagement communautaire se co-construit entre spécialistes communautaires concepteurs et agents communautaires exécuteurs ; chacun bien ancré à sa place ;
 
- L’engagement communautaire s’acquiert par la communication interactive et non par la communication linéaire et la communication circulaire ; loin du schéma de up-down imposé aux publics ;
 
- L’engagement communautaire se (dé)compte par le nombre de publics impliqués dans le programme et non par le nombre d’acteurs déployés sur le terrain ; 
 
- L’engagement communautaire se traduit, dans la réalité, par des actions concrètes posées et non par des cognitions théoriques restituées ; privilégiant plus le faire que le savoir ;
 
- L’engagement communautaire mesure son efficacité par la baisse de la courbe de la transmission communautaire et non par la hausse exponentielle ; ainsi que c’est le cas aujourd’hui.   
 
Le protocole de riposte communautaire ne s’improvise pas donc, il se maîtrise dans ses grades idées, il se conçoit dans son architecture globale, il se met en œuvre dans une démarche opérationnelle et son efficacité s’apprécie par des résultats de nature sommative. Soumis à ce protocole, les clignotants de la riposte communautaire contre la COVID-19 au Sénégal sont, pour le moment, au rouge.
 
D’où l’urgence de mesures correctives pour freiner la dangereuse ascension de cette courbe de transmission communautaire. C’est une question de volonté politique à faire montre de la part des autorités pour faire enfin appel à  une expertise scientifique disponible pour une cause d’utilité communautaire. N’est-ce pas là l’exigence communautaire à laquelle nous appelle le coronavirus, une pandémie d’envergure, de nature et de couleur communautaires. Car si on n’y prend pas garde, par un effet contraire la riposte communautaire contre la COVID-19, telle qu’elle est (é)conduite à l’heure actuelle risque de se muer en cas communautaire pour aggraver la contamination communautaire. Urgence signalée. 
 
Mobilisons-nous plus et surtout mieux, ensemble nous vaincrons !
 
Falilou Bâ
Enseignant-chercheur à l’ESEA ex ENEA ;
Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication d’Aix-Marseille Université ;
Spécialiste en communication de changement de comportement
Lauréat du Prix de la meilleure recherche en Protection de l’Enfance 2019 de France
 

 

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