Publié le 21 May 2018 - 23:15
ROSE ANGELE FAYE (EXPERTE DU LUXE - FEMME DE CŒUR)

‘’Ma recette pour devenir femme leader’’

 

On ne sait jamais par quel bout la prendre. La Sérère, fortement influencée par la poésie de Léopold Sédar Senghor ou la rythmique de Yandé Codou Sène ; la ‘’Française’’ très pénétrée par la culture française ; la fille de ‘’Mariama Bâ’’ révoltée par la pauvreté et l’injustice ; la passionnée de bonnes senteurs et créatrice de la marque FayeRose, ambassadrice des causes humanitaires ou la lobbyiste aux talents prouvés ?  Rose Angèle Faye est sans doute un peu de tout cela. Arc tendu entre les cultures sérère et française, cette native de Thiès (en 1980) revient sur son parcours qui rompt d’avec celui de la grande majorité de nos compatriotes ayant expérimenté l’aventure au pays de Marianne. A la fois optimiste et défiante par rapport à un avenir qu’elle espère radieuse pour l’Afrique, Rose Angèle évoque, dans cet entretien à bâtons rompus réalisé depuis le domicile familial à Dakar, des thématiques brûlantes comme l’intégration, le voile, la dépigmentation, le leadership féminin. Mais, surtout, elle lève un coin du voile sur les réalités d’un métier méconnu au Sénégal : l’industrie du luxe.

 

Qu’est-ce qu’une Africaine imbue de sa culture sérère est allée chercher dans l’industrie du luxe chez les Blancs ?

(Rires…) Après avoir fait mes études à Mariama Bâ, une grande école, j’ai eu la chance de bénéficier d’une bourse et de partir poursuivre mes études à l’étranger. Je suis tombée par hasard en France, en Lorraine, parce que je devais me rendre à Paris,  à Neuchâtel en Suisse ou en Lorraine. J’ai, en réalité, suivi le cours du destin. L’université qui m’a répondu en premier est celle de Nancy 2. C’est de là-bas, sans le savoir, que je suis tombée sur une véritable terre de luxe. On a perdu beaucoup dans l’industrie du luxe en Lorraine. Mais avant, toutes les grandes marques y étaient. Au fur et à mesure que je faisais mes études, à l’époque les langues étrangères en anglais et en russe, j’ai baigné dans cet univers-là. Cela m’a beaucoup forgée (…).

Comment avez-vous réussi à vous intégrer dans un milieu aussi élitiste que le luxe, de surcroît en France ? On suppose que cela n’a pas été facile.

En tant qu’étrangère, j’ai voulu m’intégrer dès mon arrivée pour épouser l’autre culture, m’adapter parce que quand on vit dans une cité, on doit s’adapter au mode de vie, si on veut résister. Mais je crois que mon enfance m’a quelque part prédisposée à ce milieu. Quand j’étais toute petite, mon oncle, qui était au département d’Etat aux Etats-Unis pendant une vingtaine d’années, est rentré au village avec un sac sur lequel était noté : Pierre Cardin. Je suis allée voir mon oncle pour lui demander : ‘’Tonton, pourquoi avez-vous changé de nom ?’’ Comme tous les hommes, il m’a à peine répondu en souriant. Je suis allée voir ma mère pour lui dire que je ne comprenais pas pourquoi mon tonton était devenu Pierre Cardin, alors qu’il s’appelle Sing Faye. Maman m’a fait comprendre que Pierre Cardin était quelqu’un qui vendait son nom et qui gagnait beaucoup d’argent. C’est tout ce que j’ai retenu, à l’époque. Quand j’ai vu que beaucoup de gens avaient donné leurs noms à leurs marques, je me suis dit que je pouvais faire la même chose. C’est ainsi que je me suis orientée dans les études sur l’industrie du luxe et de la mode.

Mais d’où, exactement, vous vient cette passion ?

Mon grand-père avait un peu de pouvoir. Pour moi, je devais avoir le pouvoir de faire de bonnes odeurs. Quand j’allais en vacances - parce que je n’ai pas eu la chance de grandir au village, j’habitais à Thiès - je cherchais les plantes qui sentaient le mieux, je les pilais et je les mettais dans de l’eau. Après, je les donnais à mon grand-père pour qu’il se parfume avec. Moi aussi, je me parfumais avec. Au fur et à mesure que j’évoluais, je faisais mes stages dans le monde du luxe, dans les parfumeries, à Grâce et tout ça. Au début, je me disais que j’allais créer une ligne de vêtements. Après, je me suis dit qu’il me fallait faire quelque chose qui me passionne. J’ai commencé à créer mon premier parfum, à le porter moi-même pendant un an ou deux. Les gens me disaient : ‘’Aah, vous sentez bon ! Qu’est-ce que vous mettez ? C’est du Dior, du Channel ?’’ Je répondais : ‘’Non, c’est du FayeRose.’’ A l’époque, la marque n’existait pas encore. En 2010, je me suis dit : ‘’On se lance, on crée notre propre marque.’’ Pour me différencier des autres, je me suis spécialisée dans les éditions spéciales, notamment les chefs d’Etat, les institutions et les grands évènements.

Les parfums, du moins les senteurs de votre tendre enfance ont donc bien joué sur votre orientation professionnelle ?

Il y a une senteur qui est ‘’florientale’’ dans ce que je propose. Ici, ce qu’on a l’habitude de sentir, c’est l’encens. A chaque fois que je crée, j’essaie d’avoir cette note. Il y a un arbre sérère dont je ne retiens jamais le nom que j’utilisais toujours dans mes parfums et qui ressemble un peu au musc. Il a fallu que je le recherche dans les senteurs parce que j’ai la chance d’être un nez. Je peux quasiment détecter un millier d’odeurs. Même s’il y a plusieurs personnes là, je peux détecter l’odeur de chacun. Ce qui me fatigue d’ailleurs des fois, parce qu’on a les fragrances qui se mélangent. C’est une forme de ‘’sérérité’’. Souvent, pour me moquer, je dis à mes amis que pour créer, il faut ou être un dieu ou être un fou. Comme j’exclus le fait d’être folle, je réclame ma part de divinité (regard espiègle).

Donc il y a un aspect qui ressort plus du don que d’autre chose ?

Créer vraiment dans le domaine du parfum est quelque chose d’inné. Comment arrive-t-on à savoir que la senteur qu’on va créer va plaire ? Pour cela, il faut que Dieu vous aide. Créer un parfum est ‘’scientifique’’. Mais il faut que Dieu vous aide pour trouver la chose qui va plaire.

Le chemin de la création, dans votre domaine, peut-il permettre de mieux connaître la culture de l’autre ?

C’est un chemin pour intégrer l’autre culture, parce que quand vous arrivez dans un endroit, il y a une ambiance olfactive qui y existe. Cette ambiance parle. Quand on quitte l’Afrique avec toutes ses senteurs, son climat, on arrive en Europe et on retrouve autre chose. Souvent, pour pouvoir intégrer, épouser un milieu, il faut absorber l’ambiance olfactive. Effectivement, le fait de créer et de créer quelque chose qui puisse convenir à cette société-là permet, par la même occasion, de s’intégrer. On rencontre les professionnels du métier. Il faut se faire une place, être acceptée. Tout cela contribue à l'intégration dans un univers.

Vous n’avez jamais rencontré, en tant qu’étrangère, des moments de rejet venant des professionnels de votre secteur ?

Quand on veut créer une structure, on va voir les banques. On est étrangère, jeune et femme. Cela peut ne pas toujours être évident. La chance que j’ai eue est que j’ai eu à faire mes preuves en Lorraine avant la création. Je suis arrivée en 2000. J’ai commencé à travailler une semaine après dans une boite française connue qui s’appelle Darty, même si je n’étais que vendeuse. J’ai commencé à travailler tout de suite, parce que je n’étais partie qu’avec une bourse. Je suis villageoise et j’avais envie de continuer à aider les gens du village. Partant de là, il a fallu que je m’intègre, que je me fasse une vraie place.

J’ai commencé à fréquenter les associations, à travailler avec les communautés et quand il a fallu créer FayeRose, j’étais déjà nommée ‘’Femme de l’année’’ en Lorraine. J’ai eu la chance donc de ne pas souffrir de ce rejet, parce que c’était évident qu’on ne pouvait plus me rejeter. Cela avait facilité les choses. Toutes les démarches ont été, de fait, facilitées. Mon parfum étant un produit innovant, a gagné le prix de l’Innovation en 2011. Cela dit, j’ai beaucoup d’amis ou de connaissances qui ont rencontré énormément de difficultés dans le cadre de la création, parce qu’il n’y a pas cette intégration initiale ou cette chance. J’appelle ça chance, parce que j’aurais pu être en Lorraine, désirer créer une chose, et ne pas pouvoir faire les études qu’il faut ou juste travailler pour m’intégrer. Tout cela a fait, heureusement ou malheureusement pour moi, que je n’ai pas eu de frein à la création.

Mais il n’y a pas eu que la chance quand même…

(Rires) Oui, mon père dit souvent qu’il faut suffisamment de talent pour attirer la chance. J’ai bossé, je me suis bagarrée. Je me suis appropriée les préceptes de Léopold Sédar Senghor, cette notion de rencontre avec les autres. Je voulais que la France me donne, mais je ne pouvais prendre de la France sans donner. Je suis allée à la rencontre de la France et elle m’a acceptée. Des fois, quand les gens me disent : ‘’Ah, tu vis à Paris. Ça doit être très compliqué, métro-boulot-dodo.’’ Malheureusement non, parce que j’ai la chance de pouvoir vivre dans des quartiers très agréables, de ne pas prendre le métro, donc à faire comme si j’étais une Française de souche. Quel que soit l’endroit du monde où on est, on doit savoir intégrer le milieu et surtout ne pas accepter. Quand on est dans un milieu qui n’est pas le nôtre, on doit exceller, sinon on va disparaître. Mon père, à chaque fois que j’amenais mon bulletin de notes et que j’étais première, il y mettait ‘’Peut mieux faire’’. Je lui ai dit un jour : ‘’Papa, est-ce qu’il y a mieux que premier ?’’ Je ne comprenais pas quand j’étais à l’école primaire. C’est après qu’il m’a expliqué qu’à chaque fois qu’il mettait cela, je revenais avec une meilleure note.

Comme Senghor disait, au rendez-vous du donner et du recevoir, on perd toujours quelque chose. Vous avez évidemment reçu, mais qu’avez donné ou sacrifié en retour ?

(Regard sec) On ne m’a rien volé. J’ai les pieds sur terre. Je suis très ancrée dans ma culture, parce que ce sont mes racines qui font ce que je suis. Je puise dans le pays sérère, dans ce qu’on m’a inculqué, ma force vient de là-bas. En réalité, quand vous n’avez pas une identité, vous ne pouvez pas exister. Ceux qui ont du mal à exister sont ceux qui deviennent assimilés. Je ne suis pas assimilée, du tout. Je suis une vraie Sérère, mais qui a eu la chance d’aller à la rencontre de l’Occident et qui d’ailleurs a donné une partie de sa ‘’sérérité’’ à l’Occident. Je pense que c’est ce côté-là de moi que la Lorraine a accepté parce que quand on a fait de moi ‘’Femme de l’année’’, on savait que j’étais sérère, que je venais de Yenguélé. Je n’ai jamais caché mon histoire, mes traditions. A chaque fois que j’organisais un gala, je m’organisais pour qu’il ait une scène de théâtre où on montre la culture sérère. Quand il y avait des dîners de gala, les gens s’habillaient en tenue sérère et wolof à telle enseigne qu’on m’appelle ‘’Yenguélé’’. Quand j’ai décidé faire le dispensaire dans mon village, ils se sont tous mobilisés en disant ‘’Tous pour Yenguélé, une pièce pour un dispensaire’’.

Mais dites-nous ce qui a vraiment facilité votre entrée dans le monde du luxe, parce que c’est un milieu très élitiste ?

Je dirais qu’il y a eu une combinaison de plusieurs facteurs. Le premier est que je suis une femme ouverte qui n’a pas peur d’aller à la rencontre des autres. J’ai aussi ce côté américain. Je n’ai pas peur de tomber. Je n’avais pas peur d’être rejetée en allant vers les autres. Dès ma Licence, je savais ce que je voulais faire. Je voulais travailler dans le cosmétique et je suis allée chez Lorraine Cosmétique qui fabriquait pour Dior, Channel, Yves Saint-Laurent, etc. J’y suis allée au culot en leur disant que je voulais devenir assistante directeur export. Ils étaient sceptiques parce que je venais d’une université et pas d’une école de commerce, mais j’ai su les convaincre. J’ai appris à avoir des réseaux, à échanger avec les fournisseurs. Je suis retournée après à l’école pour faire cadre en gestion. Avec cette boite, j’ai beaucoup voyagé. Je faisais tous les salons du luxe. J’ai pu parce que je suis allée à leur rencontre comme je suis.

Je ne suis pas la fille d’untel, mais la petite fille de Yenguélé à qui ses parents ne peuvent pas envoyer de l’argent. C’est elle, au contraire, qui est obligée de travailler pour leur en envoyer. Après mon cadre en gestion, je pouvais m’arrêter et créer ma boite. Mais je me demandais où serait ma légitimité. J’ai arrêté pendant trois ans, j’ai travaillé à temps plein et j’ai financé moi-même un Master en marketing et management des industries du luxe et de la mode. Je suis restée à Nancy où j’ai un grand appartement. Je me réveillais tous les jours à 4 h pour aller étudier à Paris et je rentrais à 20 h. Au fur et à mesure que je faisais mon Master, j’ai eu la chance de rencontrer le président du comité Montaigne, Jean-Claude Catalhan, qui est le parrain de 65 entreprises de luxe. Quand il a vu mon projet et qu’on a discuté ensemble, je m’en souviendrai toujours, c’était à un défilé de Dior, il m’a dit : ‘’N’attendez pas, lancez-vous maintenant et je serai votre parrain dans le monde du luxe.’’

Pourquoi FayeRose ?

Au début, j’ai pensé à tous les noms imaginables, mais Pierre Cardin, ce nom qui m’a parlé dès mon enfance, est revenu dans ma tête. Les grandes marques portent les noms de leurs créateurs. Que cela soit Dior, Channel, Yves St Laurent, etc. J’avais envie aussi, au niveau international, d’imprégner un nom sénégalais. J’aurais pu utiliser l’un des deux noms, Angèle ou Rose tout court. Cela sonnerait peut-être mieux français. Mais j’ai choisi FayeRose.

Pourquoi avoir opté pour les éditions spéciales ?

Quand on arrive dans un milieu, le marché est souvent occupé. Il était plus simple, pour moi, d’avoir un produit de niche et d’opter, au début, pour des éditions spéciales. Cela a été très facile, parce qu’avec un marché, on couvre quasiment quelques mois de travail. Cela permettait aussi, au début, de faire du cash. J’avais envie aussi de faire des choses qui me différenciaient des personnes présentes déjà sur la place. Mais je vais m’ouvrir au grand public de toute façon. Parce que je vends dans les aéroports, les hôtels. Pour le moment, je ne fais pas de la communication.

Qu’est-ce que le luxe et la mode vous ont personnellement appris dans la vie ?

J’ai eu des ouvertures, la connaissance du monde. On apprend aussi à faire la différence entre le bien et le mal, les bons, ceux qui ont un esprit solidaire des mauvais. Dans le monde du luxe, on a  souvent tendance à perdre la tête. Le luxe, contrairement à ce qu’on peut imaginer, m’a permis de garder les pieds sur terre. Je dis souvent que le luxe est ma passion et le social ma vie. Ce qui me fait vivre, c’est quand je sais que je peux gagner quelque chose et que je peux me servir de mes amis qui ont les moyens pour pouvoir venir en aide aux autres. Le luxe m’a apporté cette chose que je faisais déjà quand j’étais à Mariama Bâ. Je prenais tout l’argent que me donnait mon père pour le redistribuer aux filles du village. Je trouvais injuste que moi je sois à Mariama Bâ et que elles, elles se marient à 17 ans, qu’elles aient des enfants et pas de l’argent pour acheter des couches (...). Le luxe m’a rendue plus humaine.

Est-ce que cet élan social n’est pas plutôt une prédisposition de l’enfance ?

C’est possible. J’ai la chance d’avoir des parents, une famille exceptionnelle. Ce n’est pas pour rien que mes parfums s’appellent Union sacrée. C’est le symbole de ce que je voyais à la maison et de l’amour qui unissait mon père et ma mère. Souvent, quand on vit dans le monde rural, on n’a pas tendance à être romantique. Mon père est instituteur et quand je partais en France, il avait déjà mis une assurance-vie sur laquelle il mettait beaucoup d’argent qui m’a permis d’obtenir ma première année en France, à payer mon billet, en sachant qu’on était quand même six dans la famille et qu’il était soutien de famille. Je pense qu’avec tout cet amour-là, j’avais cette prédisposition. Mais on peut perdre la tête. Des fois, quand on évolue loin de la famille, dans un monde où tout est beau, tout est luxe, tout es volupté, peut-être que cette prédisposition a permis de garder les pieds sur terre. L’ancrage familial, les racines font qu’on tienne debout.

Qu’est-ce que vous ressentez quand vous voyez les femmes rurales vivre dans des conditions assez difficiles ?

Je ressens beaucoup de peine et de colère. Quand je vais dans ces villages-là, je me dis que j’aurais pu être à leur place. C’est là que je dis qu’il y a ce facteur chance. Si j’étais encore au village, je serais peut-être mariée à 17 ans avec plein de gamins maintenant. Je n’aurais pas eu la chance de partir, ni d’avoir de quoi soigner mes enfants. J’ai cette colère parce que je me rends compte qu’avec 2 % de la richesse mondiale, on aurait pu éradiquer cette faim. J’en parlais, il y a quelques jours, sur un plateau télé. Avant d’y aller, j’avais contacté tous mes amis de la Ligue française contre le cancer et des amis médecins. Eux sont dans le même combat que moi (…).

Que pensez-vous de la Sénégalaise, de l’Africaine d’une manière générale ?

Je pense que la Sénégalaise, l’Africaine en général, a beaucoup de talent. Il nous manque la possibilité de réaliser nos rêves, d’oser plus. Les femmes ont été pendant longtemps confinées à de seconds rôles avec plein de pesanteurs sociales. Les femmes africaines, dès qu’elles se mettent ensemble comme quand elles sont en Gie, arrivent à faire des choses extraordinaires. La seule chose qui nous manque, c’est le raffinement. Je ne dis pas que la Sénégalaise n’est pas raffinée. Au quotidien, la femme sénégalaise est très raffinée et belle. Le raffinement, ici, c’est dans la notion de finition. Une fois, je disais au chef de l’Etat que ce qui manquait au Sénégal, c’est cette notion de comité du luxe. Cette notion de comité qui accompagne dans tous les corps de métier pour faire des produits qui soient au niveau des standards internationaux. Je prends le cas du ‘’Pémé’’ qui est un produit tout simple. Le diamant n’est pas plus cher que le ‘’Pémé’’.

Sauf que pour le diamant, ils ont réussi à trouver des unités qui permettent de le qualifier. Lorsqu’une pierre est taillée, elle prend tout de suite de la valeur. Si on arrivait à trouver une taille, une forme spéciale pour nos ‘’Pémés’’ et dire qu’ils sont des produits de luxe, je vous assure qu’ils en deviennent un demain et seront vendus dans les grandes places. Il faut juste qu’on n’ait pas peur de faire de nos produits des produits de luxe. C’est très compliqué parce que même en Occident, on ne parlait pas avant de produit de luxe. Le luxe va avec la notion de luxure. Dans la mentalité africaine est restée cette notion de luxure quand on parle de produits chers. Quand on dépense comme ça, on dit qu’on gaspille de l’argent, alors qu’aujourd’hui on est dans des périodes de survie. On arrivera à un moment donné à la pyramide Maslow, à être dans un besoin d’estime de soi tous ensembles. Quand on se développera mieux, les mentalités évolueront en même temps et les Sénégalaises qui ont des talents et qui sont dans la création arriveront à ce niveau de raffinement dans la création.

Que pensez-vous de la dépigmentation ?

Cela a été l’un de mes premiers combats, quand je créais mes produits. J’ai une deuxième ligne qui s’appelle Rosaluxe qui est une base de soins lumières à base totalement d’actifs naturels sans paraben, sans hydroquinone. J’ai voulu aider à l’éducation des femmes. Il y a une loi de l’Union européenne qui a interdit la dépigmentation. Partant de là, tous les produits à base d’hydroquinone ont été envoyés en Afrique. J’ai trouvé cela scandaleux et personne ne dit rien. Aujourd’hui, les femmes mettent des produits à base d’acide, personne ne descend sur le marché pour condamner ces commerçants qui les vendent. Cela devrait être inacceptable. Des gens contrefont aussi des produits qui sont bons en y mettant de l’acide ou de l’hydroquinone. Quand je vois une maman qui veut s’éclaircir la peau parce qu’elle a un évènement, je me dis qu’elle ne sait pas qu’elle est en train d’agresser sa peau. Quand on le fait avec des produits toxiques, on a forcément un cancer. Elles ne s’en rendent pas compte, mais personne ne le leur dit. Les hommes y ont joué un rôle important.

Quand on dit qu’une femme est belle, c’est pour dire qu’elle est claire. Cela a poussé les femmes, pendant des années, à vouloir devenir claires. La majorité des femmes, malheureusement, ne sont pas instruites à un niveau leur permettant de s’affirmer telles qu’elles sont et de se dire ‘’je préfère rester noire quitte à ne pas être mariée et pas abîmée ma peau’’. On a créé des femmes malades. Elles ont un cancer de la peau, elles ne le savent pas. Elles ne pourront pas se soigner parce que le niveau de vie ne le permet pas et surtout le moment où elles s’en rendent compte peut être tardif. C’est un combat qui doit être public. Je crois que j’en parlerai au ministre de la Santé pour qu’on essaie de faire des spots.

Les gens en parlent pourtant, mais rien n’a changé…

On en fait un phénomène de mode. Souvent, on prend une semaine ou un mois pour parler d’une chose avant de l’oublier. Alors qu’un combat se mène sur la durée.

Le voile est aussi un phénomène de mode lié à différents facteurs. Pensez-vous que cette tendance est propice à l’éclosion de l’idéal que vous prônez pour la femme ?

La perfection peut se trouver dans le voile. Moi, je suis toujours pour le choix. Si une femme décide de se voiler parce qu’elle trouve cela esthétiquement jolie, que cela lui permet d’être mieux acceptée dans le milieu dans lequel elle évolue et qu’elle a choisi de le faire, je suis pour le voile. Mais, comme dans toute chose, je suis contre la contrainte. Quand on contraint quelqu’un à faire quelque chose qui n’est pas vital, cela devient dramatique. En France, c’est un débat compliqué. Il y a une question de sécurité. Dans la religion catholique, avant, les femmes devaient se voiler. La Vierge Marie était tout le temps voilée. Elle le faisait parce qu’estimant qu’elle devait toujours être sainte quand elle est devant Dieu. Comme on est tout le temps devant Dieu, elle gardait tout le temps son foulard.

Dans la religion musulmane, je pense que la notion de voile, c’est pour protéger quelque chose afin que les hommes ne les voient pas. Quand on est un pays laïc comme la France, on devrait accepter que chacun fasse ce qu’il veut. Je ne parle pas de la ‘’burka’’ parce qu’on ne voit plus rien, parce que ça pose des problèmes de sécurité en sachant que cela n’a rien à voir avec l’islam. Parce que c’est une religion très pacifique. J’ai appris un peu du Coran à Mariama Bâ en allant suivre les cours d’oustaz et ce que j’en ai appris se rapproche de la religion catholique. On a exactement les mêmes valeurs. Les religions sont toutes les mêmes. Ce sont les prophètes qui sont différents. Le Saint Père ne peut pas envoyer des choses qui le concernent et qui soient contradictoires. Après, chacun a eu l’interprétation du message du Dieu par un Prophète.

Quel message donnez-vous aux femmes qui veulent incarner un certain leadership ?

La première chose, ce sont les valeurs. Il faut en avoir et les conserver. Quand on n’a pas de valeurs, on ne peut rien faire. Essayez tout ce que vous voulez, si vous n’avez pas de valeurs, vous n’y arriverez pas. A un moment donné, la seule chose qui vous empêche de faire n’importe quoi, ce sont les valeurs. A partir du moment où vous les avez, vous attirez les autres vers vous. Quelle que soit la qualité de l’individu, il ressent les ondes que vous dégagez. Vous ne pouvez pas tricher avec les valeurs. La deuxième chose, c’est qu’il faut aller à la rencontre des autres. La troisième est que, quoi que vous entrepreniez, allez jusqu’au bout et osez.

On vous a vu à Gorée avec Mme Macron. De quoi parliez-vous ?

C’était à Mariama Bâ. On parlait de l’éducation des jeunes filles.

Que pensez-vous des relations entre le Sénégal et la France, eu égard à l’actualité ici ?

Je pense  qu’il n’y a pas d’inquiétudes à avoir quand il s’agit des relations entre la France et l’Afrique. La seule chose, c’est que n’étant pas chef d’Etat, ni diplomate, je ne peux juger de la relation entre la France et l’Afrique. De mon point de vue, l’Afrique, le Sénégal en particulier, a joué un rôle très important dans le développement de la France. J’échangeais, il y a quelques jours, avec un de mes amis qui est spécialiste des questions africaines et surtout des Usa, sur Bfm et qui a fait un propos sur France24 sur la colonisation. Je lui disais que l’Afrique avait beaucoup donné à la France et que cette dernière doit aujourd’hui regarder l’Afrique avec beaucoup de bienveillance, parce qu’on a voulu dire que la dette coloniale n’avait pas de prix. Soit, sachant que toute chose a un prix. Les erreurs du passé doivent être compensées d’une manière ou d’une autre. Je pense que même symboliquement, on aurait pu trouver les moyens de dédommager l’Afrique.

Vous êtes pour un dédommagement financier ?

On ne refera pas l’histoire à partir du moment où nos dirigeants ont accepté une autre forme de compensation. On en reste là. Mais sur le principe, en Occident, quand on tue quelqu’un, on sait combien ça coûte en argent et en années de prison. Je ne demande pas la prison pour la France. De toute façon, ce n’est pas possible. Mais avoir une forme de compassion et de compensation pour l’Afrique qui soit un peu à la hauteur de ce qu’on a perdu. On a perdu un retard dans le développement économique. On a perdu des hommes. Je donne toujours un exemple parce que cela me ramène au luxe. Quand on achète un sac contrefait, ça coûte 750 mille euros d’amende et 5 ans de prison. Aujourd’hui, même si on dédommageait l’Afrique au prix d’un sac contrefait par tête perdue, je pense que cela aurait aidé dans le développement des localités. Le Sénégal et la France ont un lien si fort. Le Sénégal a besoin de la France et vice-versa. On a beau dire, mais le continent de demain, c’est l’Afrique. On va se réveiller comme la Chine il y a quelques années. L’Occident aura besoin de nous. Les quelques querelles qu’on a dans la presse restent diplomatiques.

Vous croyez au réveil de l’Afrique ?

Oui, j’y crois fermement. Dans les 10 ans à venir, je pense qu’on aura un essor extraordinaire (…).

Comment appréhendez-vous votre avenir ?

L’avenir, pour moi, c’est continuer à développer le village de Yenguélé. On a fait le dispensaire, la bibliothèque, l’école. On va continuer avec une maison des femmes. On va faire beaucoup d’autres choses pour permettre aux gens de s’épanouir. J’ai siégé pendant longtemps au Conseil du développement durable du Grand Nancy. On pense mettre un conseil de développement pareil à Yenguélé horizon 2019. Au niveau national, je vais continuer à faire mes actions humanitaires. Je vais mettre en place, au-delà de mes activités actuelles avec les Ong françaises et l’association Lorraine pour Yenguélé, une fondation. Beaucoup de gens qui veulent m’accompagner en France ne peuvent pas passer par d’autres associations.

PAR MAMOUDOU WANE et BIGUE BOB

 

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