Publié le 8 Nov 2019 - 20:36
SÉCURITÉ ROUTIÈRE

Quand le Permis de conduire devient « Permis de tuer »  

 

Nous ne sommes pas faiseur d’utopie, mais nous avons le droit de rêver d’une société suffisamment émancipée pour se sortir de cette impasse de défaitisme et de fatalisme qui ne cesse de la dégénérer. Notre pays n’est pas constructeur de voitures, mais nos routes sont pleines de carcasses roulantes et enregistrent un nombre d’accidents de la circulation exponentiel. Dans un pays éclairé par l’esprit de la planification et de la prévention, des études systématiques auraient été faites pour déterminer avec précision le rapport entre les accidents, les différents types de voiture, les chauffeurs (relativement à leur âge ou à leur qualification) l’état des routes, la discipline des usagers, la divagation animale, etc. Mais nous préférons laisser libre cours à nos émotions et nous contenter d’explications irrationnelles pour qu’en fin de compte personne ne soit responsable.

Nos compatriotes meurent comme de vulgaires bêtes dans des accidents absurdes et absolument évitables, du moins si la volonté politique, le civisme et le professionnalisme étaient de rigueur dans ce pays. Combien d’innocents ont été brutalement et injustement arrachés à l’affection de leurs proches par la simple étourderie ou l’indiscipline notoire de personnes qui n’ont rien à faire au volant d’un véhicule ? Combien de carrières prometteuses ont été brisées par un handicap suite à un accident de circulation qui n’a rien d’accidentel. Aucun accident n’arrive seul, la responsabilité des hommes y toujours engagée. Aux États-Unis cette problématique avait été soulevée par les assureurs qui entendaient lutter contre le laxisme souvent responsable de beaucoup d’accidents. C’est dire que la lutte contre les accidents doit actionner plusieurs leviers pour espérer trouver un début de solution.

Malheureusement chez nous, on adore l’improvisation car la paresse de la rationalisation y est devenue culturelle. La gouvernement s’est empressé d’instituer un nouveau permis (à points ?) sans avoir été au préalable capable de justifier économiquement, techniquement, et sociologiquement, cette trouvaille. Il se susurre même que c’est uniquement pour renflouer les caisses du trésor gravement éplorées qu’on a précipité ce projet. Il est clair que le changement de permis ne saurait être envisagé comme solution à cette funeste pandémie d’accidents. Il faut aller plus loin et plus profondément dans le diagnostic de la situation pour régler ce problème.

On construit des routes et des autoroutes, on importe des véhicules, mais quid de la formation des travailleurs dans le domaine des transports ? Des routes et des autoroutes ; des permis à point et de nouvelle cartes grises : ce n’est pas par là qu’il fallait commencer. L’homme est, comme toujours, le problème et, par conséquent, la solution : on a beau avoir le meilleur réseau routier et la meilleure législation en matière de transport, si les hommes ne sont pas formés, c’est comme mettre la charrue avant les bœufs. Comment le permis de conduire est-il obtenu au Sénégal ? Dans chaque coin de rue à Dakar et dans les capitales régionales, il y a une autoécole ; et on ne sait pas comment sont formés tous ces gens ni quelle forme d’inspection permet d’évaluer leur business.

La facilité avec laquelle on obtient le permis de conduire au Sénégal est devenue à la fois comique et tragique. Comique, parce qu’on rapporte que des recalés au passage réussissent quand-même à décrocher le sésame ! Tragique parce que les faux permis sont devenus, parait-il incalculables, avec des conséquences forcément désastreuses. Ça ne peut pas continuer, la vie humaine est trop précieuse pour être si banalement abandonnée aux caprices et à la cupidité de gens dépourvus de formation et d’éthique. On néglige trop la formation théorique ; on a même réussi à convaincre les Sénégalais qu’en matière de transport terrestre, aucune formation théorique n’est requise. On se contente d’incriminer les agents de la circulation, mais on se garde de mettre le doigt sur le déficit de formation des chauffeurs : l’indiscipline est souvent la conséquence de l’ignorance comme l’exprime bien le mot wolof XAMADI.

Nous autoroutes sont confiées à des multinationales qui viennent se faire de milliards sur le dos du peuple sans consentir les sacrifices qu’elles auraient dû faire. Comment comprendre qu’une firme bénéficie d’un bail de plusieurs décennies d’exploitation d’une autoroute sans qu’aucune obligation ne lui soit faite en matière de formation des usagers de ces autoroutes ? Ces firmes font payer aux contrevenants qui se font remorquer sur l’autoroute, infligent des peines d’amende à ceux qui se trompent de niveau de péage, etc., mais sont frileuses dès qu’il s’agit d’investir dans la formation ! L’État devrait avoir le courage et la fermeté de leur faire signer un Avenant les obligeant à participer selon un taux raisonnable à la formation des chauffeurs et techniciens des transports. Une convention avec des autoécoles sérieuses et réputées expertes devrait permettre d’améliorer la capacitation de ces structures et de promouvoir une formation continue. Pour que le Permis de conduire ne devienne pas un permis de tuer, il faut lui redonner sa dignité, sa valeur scientifique et technique.

Le permis de conduire doit être gradué : il faudrait pour obtenir le permis (même poids léger) passer par différentes étapes, par plusieurs examens avec des équipes différentes, mobiles. Le service des mines doit également être vidé de tous ces rabatteurs qui travaillent dans l’illégalité la plus absolue sans qu’aucune instance ne soit décidée à arrêter leur manège. Bref, si nous voulons lutter contre les accidents et l’insécurité routière, il faut certes agir sur l’état des routes, mais la priorité reste l’intrant de tous les intrants : l’homme. La formation doit être continue et rigoureusement assise sur une dimension théorique.

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Président du Mouvement LABEL-Sénégal

 

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