Publié le 29 Jul 2018 - 15:04
SANOU GNING, DIRECTRICE PAYS DE MARIE STOPES INTERNATIONAL

‘’On ne peut pas continuer à penser nos stratégies en s’appuyant sur les bailleurs de fonds’’

 

Les pays africains sont exposés à de sérieux problèmes, avec ‘’la règle du bâillon mondial’’ qui refuse aux Ong qui travaillent sur la santé de la reproduction de bénéficier de financements du gouvernement américain. Dans cet entretien, la directrice pays de Marie Stopes International se prononce sur les conséquences encourues par les populations d’ici fin 2018. Elle demande aux gouvernements du continent de faire preuve de leadership et d’arrêter de penser leurs stratégies en s’appuyant sur les bailleurs de fonds. Entretien.

 

Vous œuvrez beaucoup dans le domaine de la planification familiale. Comment se passe votre travail au Sénégal ?

Marie Stopes International s’est installé au Sénégal depuis 2011. Nous sommes un partenaire d’appui pour le ministère de la Santé et de l’Action sociale que nous aidons dans l’offre de services, en allant combler les gaps là où ils se trouvent. Cela peut être géographiquement ou techniquement parlant. Cela peut être aussi au niveau des produits, du matériel nécessaire pour faire cette offre de services. Depuis que nous avons démarré, la collaboration se passe très bien avec le ministère, et plus spécifiquement avec la Direction de la santé de la mère et de l’enfant qui nous a beaucoup aidé dans cette démarche, afin d’offrir les services de planification aux populations les plus vulnérables.

Quel est l’impact de votre travail sur le terrain ?

Nous avons servi beaucoup de femmes. En 2017, par exemple, on a servi près de 180 000 femmes en méthodes de planification familiale de leur choix. Sachant que nous avons une certaine expertise et apportons une valeur ajoutée sur les méthodes à longue durée d’action. Notamment tout ce qui est du dispositif intra-utérin, les implants de 3 à 5 ans, parce que c’est généralement là où on constate qu’il y a un gap dans l’offre de services, avec des prestataires qui ne sont pas encore formés sur cela. Parce que le matériel nécessaire, les produits ne sont pas disponibles ou parce qu’il n’y a pas une structure sanitaire à proximité. C’est la raison pour laquelle nous allons dans les zones les plus reculées pour apporter cette offre de services et que ces populations puissent en disposer comme celles qui sont en ville à côté des services publics.

On sait que, depuis son élection, le président Donald Trump a remis sur la table la ‘’règle du bâillon mondial’’ qui fait qu’aujourd’hui, certaines organisations internationales dont Marie Stopes n’ont plus accès aux financements américains. Quel est son impact sur votre travail au Sénégal ?

Le nom de cette politique veut vraiment tout dire : ‘’Règle du bâillon mondial.’’ Quand on bâillonne quelqu’un ou quelque chose, cela veut dire l’empêcher de s’exprimer. Nous, en tant que Marie Stopes International, cela fait plus d’une quarantaine d’années que nous travaillons sur la santé de la reproduction et plus particulièrement sur la planification familiale. Nous sommes impactés de plein fouet par la remise en vigueur de cette politique. Cette politique remet en cause nos principes de base, nos valeurs profondes qui disent que les soins d’avortement sécurisés ne peuvent pas être enlevés du paquet de services de la santé maternelle.

Parce qu’aujourd’hui, l’avortement clandestin est une des causes de la mortalité maternelle. Et cela se passe dans les pays les plus pauvres, les pays où on a les communautés les plus vulnérables. C’est notre mission, parce que notre devise, c’est d’avoir des enfants par choix et non par hasard. C’est donner à la femme l’autonomie, la possibilité de choisir quand avoir un enfant. Quand nous disons non à cette règle qui interdit la prestation de services, qui interdit de donner ne serait-ce que l’information sur les services de planification, c’est noble. Mais cela veut dire également que nous ne pourrons plus faire fonctionner une partie de notre réseau de franchise sociale. Cela veut dire que nous allons fermer certains de nos espaces jeunes, ne plus supporter certaines de nos sages-femmes mobiles.

C’est globalement la moitié de notre programme pays qui est aujourd’hui très à risque. Nous sommes sortis des financements des Etats-Unis, depuis le début de l’année. Nous avons aujourd’hui, grâce au fonds Shedecide qui a été mis en place pour faire face à la ‘’règle du bâillon mondial’’ par les pays européens, un financement qui nous permet de continuer à prester ces services pour ces femmes vulnérables, jusqu’à la fin de l’année 2018. L’Usaid est un bailleur incontournable. Il nous sera très difficile de mobiliser des fonds venant d’autres bailleurs pour pouvoir combler le gap que va laisser le financement perdu de l’Usaid. L’une des manières qui pourrait aider les partenaires, comme Marie Stopes International, c’est que les gouvernements prennent le relais sur ces financements perdus.

Les gouvernements doivent agir. Mais est-ce que vous avez cet espoir ?

Je l’espère beaucoup. Il faut une prise de conscience. Parce que, dans les faits, le financement américain est toujours là. C’est juste dans la manière dont c’est en train d’être donné qu’il y a un flou. Ce qu’on n’a pas saisi, c’est que ça limite la capacité d’agir. Cela touche essentiellement les groupes prestataires des services de planification familiale qui sont connus pour avoir cette expertise et cet impact.

Il faut que nous prenions, maintenant, de plus en plus de leadership sur la manière dont nos populations vont pouvoir accéder aux services. Au Sénégal, l’Usaid a déjà dit qu’il faut commencer à se préparer à l’achat des produits contraceptifs, qu’il ne va plus donner gratuitement au gouvernement du Sénégal. Le message est très clair. Il faut que nous commencions nous-mêmes à nous aider, en démontrant que nous avons la volonté. Ce n’est plus une question de qu’est-ce qu’il faut faire, parce qu’on n’a plus le choix. Nos gouvernements ont pris beaucoup d’engagements qui n’ont jamais été, malheureusement, respectés. C’est, par exemple, le financement accordé aux produits contraceptifs. Rien n’a été fait par beaucoup de pays africains.

On ne peut pas continuer à penser nos stratégies en nous appuyant sur les bailleurs de fonds. Parce qu’à un moment, le bailleur va se retirer. Quand on regarde un pays comme le Sénégal, comparé à ses voisins du Sahel, il n’est pas le pays le plus attractif, aujourd’hui, pour les bailleurs de fonds. Ces fonds ont tendance à partir dans des zones comme le Niger, le Mali, parce que c’est là où il y a des zones à risque, une insécurité alimentaire, une croissance démographique galopante. Dans quelques années, le pays ne sera pas une priorité pour les bailleurs de fonds. Maintenant, c’est au gouvernement de voir s’il va augmenter ses lignes budgétaires ou augmenter le budget de la santé. Cela va devenir une obligation, prochainement. Sinon, les populations les plus vulnérables vont en payer le prix.

On peut dire que les fonds vont être donnés à des non expérimentés ?

C’est ce que beaucoup d’experts pensent. Tout le monde spécule que les fonds vont être tournés vers d’autres activités qui n’auront aucun impact et qui ne toucheront pas autant de femmes. Quand on regarde aujourd’hui nos indicateurs en santé maternelle, nos objectifs et l’ambition que nous avons à l’horizon 2020, c’est une grande perte que de ne pas pouvoir exercer, donner ces services à ces femmes. Aujourd’hui, cela ne concerne pas seulement les fonds américains, mais touche même les fonds des autres bailleurs. Parce que nous n’avons jamais utilisé les fonds américains pour faire autre chose que la planification familiale.

Même quand cette politique n’était pas en vigueur. Mais cette politique interdit même aux Ong financées par le gouvernement américain d’accepter de prendre des fonds d’un autre bailleur pour faire le plaidoyer sur l’avortement. C’est inadmissible. On peut comprendre qu’il nous interdise de prendre leur financement pour continuer à offrir des services de la planification, mais quant à nous demander de ne pas accepter l’argent d’un autre bailleur, parce que lui aussi nous finance, c’est anormal. Cela bloque non seulement l’Ong, mais tous les autres bailleurs qui ont des intentions. Le choix est simple : soit on l’accepte ou on ne l’accepte pas. Cela va à l’encontre des principes de Marie Stopes International. C’est pour cette raison que nous sommes sortis du consortium et, de ce fait, nous sommes libres à dérouler nos activités.

Avec cette politique, 80 000 femmes n’auront plus accès aux services de planification familiale, tous les ans. Quelles sont les stratégies que vous préconisez pour résorber ce gap ?

C’est un gap financier sans précédent pour nous. Mais c’est quelque chose qu’on avait senti venir, même si la probabilité était très faible. Nous avons un support, un front qui s’est mis en place, immédiatement, dès que la règle a été mise en vigueur. Ce front s’appelle ‘’Shedecide’’ (elle décide). C’est la femme qui décide. Ce fonds est le financement de tous les pays européens pour faire face à l’impact de la ‘’règle du bâillon mondial’’. C’est beaucoup d’argent qu’on a débloqué assez vite. Mais, tout cela, c’est sur du court terme.

VIVIANE DIATTA

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