Publié le 16 Apr 2024 - 15:23
SCANDALE FONCIER À KEUR MOUSSA

Une ferme agricole de 90 ha, avec 1 000 emplois, menacée de disparition

 

L’existence d’une ferme agricole de 90 ha, avec un millier d’emplois, dans le village de Thiambokhe, dans la commune de Keur Moussa (département de Thiès), est menacée de disparition par l’entreprise immobilière Société nouvelle ville (SNV), sur le point de délester de ses terres la Société qualité végétale (QVS).

 

Depuis près de cinq ans, la Société qualité végétale (QVS) exploite 110 ha de terres agricoles qui constituent une ferme agricole qui emploie plus de 1 000 personnes et contribue à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire, après avoir obéi à toutes les normes administratives. Cela repose sur un protocole d’accord en date du 7 juin 2019, entre la Direction des eaux et forêts, chasses et de la conservation des sols (DEFCCS), pour la mise en valeur agroforestière d’une partie de la forêt classée de Thiès et valable pour une durée de cinq ans renouvelables. ‘’Ce délai nous a permis d’aller chercher des partenaires, pour pouvoir mener à bien l’exploitation de ces terres. C’est ainsi qu’un investissement de plus de 4,8 milliards de francs CFA a été consenti, pour la construction de forages, de bassins de rétention pour permettre l’irrigation’’, explique le directeur technique de la ferme Mbaye Seck.

Mais un conflit foncier entre QVS et la SNV risque de tout remettre en cause. En effet, la SNV réclame, sur la base d’un décret d’attribution qui date de 2022, la paternité de 90 ha sur les 110 exploités par QVS, pour y ériger des logements sociaux, alors que la zone est classée non aedificandi par une étude technique. Il signale que ledit décret ne contient aucune coordonnée, quant à l’appartenance administrative du site en question et c’est sur cette base qu’elle a paradoxalement obtenu une autorisation de lotir. Il s’y ajoute que selon le décret, le site est logé dans le département de Mbour, alors qu’il se situe en réalité dans la commune de Keur Moussa, dans le département de Thiès, précisément dans la zone du village de Thiambokhe. Il renseigne que c’est d’ailleurs l’Agence nationale de l’aménagement du territoire (Anat), qui a établi la carte de localisation du site et a ainsi confirmé qu’il se trouve effectivement dans la commune de Keur Moussa, ce qui a été attesté par le schéma cadastral, avec le numéro d’identification cadastral 0722030312300001.

Il renseigne que la SNV a déjà usé d’un forcing, avec l’assistance des forces de l’ordre, pour accaparer 45 des 90 ha en question, alors que les semis avaient commencé et une pépinière a même été détruite lors de cette opération. Et la superficie déjà prise s’est traduite par une répercussion négative sur le rendement de cette année et une diminution drastique du personnel. En clair, il y a eu d’énormes pertes d’emplois. Et si la Société nouvelle ville met à exécution sa menace de prendre les 45 autres hectares, se désole-t-il, cela se traduira par la perte d’environ un millier d’emplois. ‘’Il appartient maintenant à l’État d’arbitrer, pour qu’une solution pérenne soit trouvée, d’autant plus que c’est l’État lui-même qui a, en toute transparence, mis ces terres à la disposition de QVS, pour une durée de 25 ans. Et s’il donne les mêmes terres à un autre, cela veut dire que c’est lui qui doit arbitrer. Nous avions lancé un appel à l’endroit du président de la République sortant, pour qu’il contribue à la clarification de cette situation’’, a-t-on ajouté.

Les populations riveraines, fortement mobilisées pour dire non à la disparition de la ferme qui constitue leur gagne-pain au quotidien, par la voix de Malick Ciss, chef du village de Thiambokh, conseiller municipal à Keur Moussa, président de la commission agriculture et élevage, sont catégoriques : ‘’Nous n’avons que l’agriculture pour vivre et voulons, d’ailleurs, que ce périmètre soit pérennisé. Nous n’accepterons jamais qu’un individu vienne s’approprier tout ce patrimoine commun. Nous refuserons jusqu’à la dernière énergie.’’ Elles lancent un appel solennel à l’endroit du président de la République Bassirou Diomaye Faye sur qui elles comptent beaucoup.

Les éclaircissements de la Société nouvelle ville

La Société nouvelle ville a apporté, au cours d’un point de presse, quelques précisions et éclaircissements dans ce litige foncier qui l’oppose à QVS, accusant cette dernière de se livrer à ‘’une campagne de désinformation, d'intoxication et de dénigrement’’ à son égard.

Pour l’avocat de la SNV, Me Cheikh Amadou Ndiaye, ‘’il y a deux parties, l’une administrative et l’autre judiciaire. Pour la partie administrative, il est important d’informer de la manière dont la Société nouvelle ville a pu disposer d'un titre pour revendiquer un droit réel sur le terrain dont il s'agit. Il faut d'abord dire que la Société nouvelle ville a bénéficié, dans un premier temps, d'un décret qui a déclassifié la forêt classée de Diass. Ensuite, il y a eu un deuxième décret qui, après étude du projet immobilier de la Société nouvelle ville, l'a déclarée d'utilité publique’’.

Il explique aussi qu’’’il s'agit d'un projet immobilier et c'est la création, presque, d’une nouvelle ville, après Diamniadio, à savoir celle de Diass qui est une ville aéroportuaire. Par la suite, l’autorité compétente, le 13 mars 2021, a donné un avis favorable pour l'attribution, par voie de bail, de 210 ha au profit de la Société nouvelle ville. Le chef du bureau des domaines de Mbour,  qui est compétent, en a été informé et a pris toutes les mesures administratives et techniques pour que le bail soit signé. C’est ainsi qu'il a envoyé le service du cadastre sur les lieux pour délimiter le terrain et établir un plan. Ensuite, il a octroyé un nicad au terrain et, à la fin, un bail a été signé entre la Société nouvelle ville et les autorités compétentes’’. Suite à ce bail, poursuit Me Cheikh Amadou Ndiaye, ‘’un certificat d'inscription a été délivré et un état de droit réel qui fait ressortir que le terrain a été attribué à la Société nouvelle ville pour un droit d'usage à temps’’.

C'est donc, dit-il, ‘’sur la base de ce titre que nous avons mis en demeure, dans un premier temps, la société QVS, qui exploitait les lieux, en vertu d'une convention qu'elle a signée avec la Direction des eaux et forêts’’.

Toutefois, le juriste précise que ‘’la Direction des eaux et forêts n'a pas la compétence pour attribuer un terrain à quiconque’’ et que  ‘’ce contrat qui a été signé avec la société QVS, c'est juste une occupation précaire qui ne peut pas faire échec au bail et qui a été attribué à la Société nouvelle ville. C'est donc fort de cela que nous l'avons mise en demeure. Après cette mise en demeure, elle ne s'est pas retirée. Nous avons saisi donc les juridictions compétentes pour arbitrer. C'est ainsi que nous avons, en janvier 2023, saisi le président du tribunal de grande instance de Mbour pour statuer en matière de référé. Le tribunal, dans une décision (ordonnance) en date du 4 mai 2023, a ordonné l'expulsion de la société QVS de la parcelle de 110 ha attribuée à la Société nouvelle ville. Cette décision a donc été régulièrement signifiée à la société QVS qui a révélé appel, lequel a été jugé, contradictoirement, le 16 août 2023, par la Cour d'appel de Thiès, qui a confirmé le premier jugement rendu par le tribunal de Mbour’’.

 

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