Publié le 5 Feb 2020 - 00:23
SECURITE ALIMENTAIRE

L’agriculture sénégalaise à l’épreuve des changements climatiques

 

La sécurité alimentaire est loin d’être une réalité au Sénégal. Pis, les changements climatiques se chargent d’accentuer la problématique. Que faut-il faire ? Pour répondre à cette question, l’Association des diplômés de l’Institut des sciences de l’environnement a organisé un panel, samedi dernier, autour du thème ‘’Le secteur de l’agriculture face aux défis de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition dans un contexte de changements climatiques’’.

 

A l’horizon 2035, la production céréalière du Sénégal va baisser de 30 %, du fait des changements climatiques. Pourtant, cette même année, le Plan Sénégal émergent est censé éradiquer l’insécurité alimentaire. Pour réussir ce pari, le pays devra changer de paradigmes, dans la mise en œuvre de ses politiques publiques.

Mais est-il prêt, en termes de dispositif pratique et juridique ? Y a-t-il une cohérence entre les différents programmes et projets ? Le Sénégal opte-t-il pour une agriculture durable ou rapide ? Autant de questions qui ont animé les échanges, quant à l’impact des perturbations climatiques sur l’agriculture et la sécurité alimentaire, entre experts environnementalistes, universitaires et agents de l’Etat. Ces dernières concernent trois variantes : la température (en hausse), la pluviométrie (en baisse) et la hausse du niveau de la mer.

Et les conséquences sur l’agriculture sont aussi diverses que néfastes. Ce sont, entre autres, la diminution des rendements, l’augmentation des pertes post-récolte, la baisse de la fertilité des sols ainsi que la vulnérabilité des écosystèmes. ‘’La carte variétale du Sénégal se trouve perturbée, de même que le calendrier culturel. De plus, la ressource eau en ressort menacée, avec l’intrusion saline et aussi à cause de sa raréfaction’’, renseigne Madeleine Diouf de la Division des changements climatiques de la Direction de l’environnement et des établissements classés.

De son analyse, la maitrise de l’eau parait plus qu’importante pour la bonne marche de l’agriculture. Pour résoudre la problématique, l’irrigation d’appoint (collecter les eaux en temps de pluie et procéder à une micro irrigation en temps de pause) s’avère salutaire.

Toutefois, comme si cela ne suffisait pas, l’utilisation à grande échelle des pesticides accentue l’émission des gaz à effet de serre et impacte négativement la qualité de l’eau et des sols. Selon le professeur Cheikh Mbow, Directeur de Futur Africa, il urge de passer à une approche désagrégée de l’impact des changements climatiques sur la production alimentaire, en étudiant chaque paramètre et ses conséquences. ‘’La chose la plus importante est de savoir combien cette production alimentaire va être compromise sur les 30 ans à venir. D’ici 2050, l’Afrique va perdre près de 60 % de sa production. Ça fait peur, parce qu’au même moment, la population augmente, la demande en nourriture devient forte.

J’estime qu’il n’y a pas d’agriculture qui n’émet pas de gaz à effet de serre. Le problème essentiel est de savoir comment compenser ces émissions de gaz, les réduire en plantant des arbres. La science toute seule ne peut pas régler ces problèmes, de même que les politiques seuls. Il faudrait un travail d’ensemble. Le Sénégal présente des climats différents en fonction des zones. Sans une approche holistique entre le climat, la sécurité alimentaire et le changement climatique, décideurs et chercheurs n’y arriveront pas’’, soutient-il.

Sur ce point, experts et enseignants s’accordent sur le fait que la question de la sécurité alimentaire n’est pas due à un déficit de recherches, mais plutôt à la mise en œuvre de leurs résultats.

Un stockage non adapté

La problématique de stockage des produits alimentaires est toujours d’actualité et la température n’aidant pas, les pertes sont de plus en plus importantes. ‘’Il faut des innovations en matière de conservation. Déjà qu’on observe des pertes pendant les récoltes, la mauvaise conservation nous retire le peu qui est récolté’’, ajoute-t-il. Il est clair que la sécurité alimentaire, que le Sénégal peine à atteindre, exige non seulement une quantité suffisante de nourriture, mais également la qualité des aliments.

Cependant, l’Etat semble concentrer ses efforts dans la distribution de riz dans les territoires les plus touchés par l’insécurité alimentaire. Une aide qui, d’ailleurs, connait son lot de malversations.

‘’Le programme d’autosuffisance en riz n’est pas le programme de sécurité alimentaire. La diversité de la production alimentaire et les préférences alimentaires doivent être prises en compte. Il y a des zones où le mil, par exemple, n’est pas la préférence alimentaire. Donc, l’Etat doit tenir compte de la spécificité des contextes de production alimentaire. On doit identifier les activités de production alimentaire qui se déroulent dans chaque zone et voir comment les aider à s’adapter. C’est ce que j’appelle l’appropriation des espaces’’, explique le Pr. Mbow.

Tout comme ses collègues, il est convaincu que l’intégration des espèces pérennes est une solution à envisager, surtout que la production des trois mois (période hivernale) ne saurait, à elle seule, couvrir les besoins alimentaires des neuf autres mois de l'année.

Face à la problématique, le ministère de l’Agriculture et de l’Equipement rural affirme avoir posé plusieurs actions. En effet, cinq milliards sont injectés depuis 2013, chaque année, dans la reconstitution du capital semencier. A cela s’ajoute les programmes d’adaptation et de stockage. Il entend redéfinir la carte variétale, mettre en place des services climatiques adaptés et intégrer la dimension changements climatiques dans les politiques publiques.

Selon la représentante dudit ministère, l’ingénieur agronome Mame Salimata Fall, il urge de proposer des alternatives aux fertilisants chimiques et développer l’agriculture biologique limitant ainsi l’utilisation des produits chimiques.

JEAN-PIERRE SENGHOR, SECRETAIRE EXECUTIF DU CONSEIL NATIONAL POUR LA SECURITE ALIMENTAIRE

‘’Ce n’est pas en atomisant nos actions qu’on va y arriver’’

‘’On a parfois l’impression de prêcher dans le désert. L’Afrique est le seul continent où nous avons 60 % de nos terres qui sont arables et qui ne sont pas exploitées. Au Conseil national pour la sécurité alimentaire, il y a une quinzaine de départements ministériels impliqués dans plus de 212 projets. Ce ne sont pas les projets qui vont résoudre le problème, mais une approche intégrée qui doit concerner les questions de production, de santé, de commerce, d’écologie. C’est cet effort de travailler ensemble qui ne doit pas juste être un discours, mais doit se traduire sur le terrain. Le Sénégal devra répondre présent à deux agendas. Celui du PSE en 2035 et celui des ODD, particulièrement l’ODD2 en 2030. Ce n’est pas en atomisant nos actions qu’on va y arriver et la FAO a lancé une alerte nous faisant savoir qu’à ce rythme, ce serait impossible.

‘’A notre niveau, nous avons créé une direction changement climatique et résilience pour déconstruire la question de la sécurité alimentaire que nous limitions à la disponibilité seule des aliments. Dans cette nouvelle perspective, nous ajoutons l’accessibilité physique et financière des aliments et l’utilisation qui, d’ailleurs, impacte notre santé. Car l’ignorance nous tue. A cet effet, un forum se tiendra très prochainement, avec une quarantaine d’experts et des démembrements de l’Etat. Le plaidoyer constituera le plan d’action du Secrétariat exécutif du Conseil national pour la sécurité alimentaire (SECNSA). Quand je suis arrivé, j’ai dit que je ne crois pas à la distribution de riz, car chaque année, nous voyons qu’il y a des départements qui sont touchés. On les a identifiés, ce sont des zones où l’insécurité est presque chronique et la réponse n’est pas de distribuer chaque année du riz ou du cash.’’

‘’La science a les réponses’’

‘’Notre potentiel en eau est inexploité. Nous recevons 37 milliards de mètres cubes d’eau, chaque année, et elle est utilisée à moins de 4 %. C’est scandaleux. Au Nord, 1 700 km de brousse, 250 000 hectares de terre, rien que sur la rive gauche, sont inexploités. Pendant qu’ailleurs, certains font sept à dix tonnes à l’hectare, nous on se contente de trois ou quatre tonnes et on est content. C’est scandaleux ! La science est universelle ; des raccourcis existent ; la science a les réponses. Il faut que nous investissions dans la recherche. J’ai eu à gérer 30 milliards de francs CFA dans la subvention des intrants agricoles. Mais lorsque vous étudiez le sou, de l’opérateur au paysan, il n’y a que 11 % qui arrivent à destination. Tout le reste est siphonné en amont. Nous essayons d’apporter des réponses structurelles à une problématique sociale et humanitaire, et demandons aux bailleurs humanitaires d’investir les milliards de l’aide alimentaire dans le redressement de l’agriculture, plus particulièrement les exploitations familiales qui constituent la base.’’

EMMANUELLA MARAME FAYE

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