Publié le 13 May 2018 - 21:39
SERIGNE MBAYE THIAM

Le défaut de la souplesse !

 

Compétent, rigoureux, fidèle, sincère… Les adjectifs ne manquent pas, quand il s’agit de lister les qualités de Serigne Mbaye Thiam. Cependant, le tableau est noirci par la rigidité et le manque d’ouverture unanimement reconnus du ministre. Un défaut qui ne passe pas, au bouillonnant département de l’Education.

 

Parmi tous les ministres du gouvernement, Serigne Mbaye Thiam est sans doute celui qui est assis actuellement sur le siège le plus brûlant. Même Aly Ngouille Ndiaye, le très contesté ministre de l’Intérieur, peut s’estimer heureux, comparé à son collègue de l’Education nationale. Longtemps considéré par les enseignants comme le principal obstacle à la paix sociale dans le système éducatif, l’enfant du Saloum est sur la sellette, depuis qu’il a commis la ‘’grosse bourde’’ d’annoncer la levée du mot d’ordre de grève des enseignants à la place des leaders syndicaux. Une pilule apparemment trop grosse pour être avalée par les enseignants et une bonne partie de l’opinion. Même si ce que le ministre avait donné comme information n’avait rien d’imaginaire, sa ‘’précipitation’’ a braqué les enseignants, compromettant ainsi des efforts qui promettaient une issue heureuse.

Depuis, certains l’accusent de manipulation, d’autres le soupçonnent de faire de la concurrence aux organes du dialogue social. Le concerné, lui, n’en à cure. Il pense avoir pris ses responsabilités en fonction de ses charges. Il n’a donc rien à regretter. ‘’J’assume totalement tout ce que j’ai fait dans cette crise’’, s’exclame-t-il, ajoutant avoir agi selon les instructions du président de la République.

Evalué sous l’angle des infrastructures et des réformes sur le capital humain, le ministre de l’Education nationale aurait sans doute une bonne note. Si, par contre, il devait passer le test de la maîtrise du front social, Serigne Mbaye Thiam serait, à coup sûr, parmi les recalés du gouvernement. Encore que, est-ce à lui seul de régler ce problème ?

‘’C’est un homme rigoureux, il a une grande capacité d’adaptation qui lui a permis de comprendre très vite le ministère. Nous lui reconnaissons aussi la volonté de bien faire, mais il manque de souplesse, il ne tient pas compte de la position des autres. Il n’est pas ouvert aux autres idées’’, résume Abdou Faty. Même remarque de la part de Saourou Sène qui regrette ‘’une certaine rigidité’’ et invite la tutelle à être ‘’plus flexible et plus sociale’’.

Le secrétaire général du Saemss apprécie, cependant, la sincérité de l’homme dans tout ce qu’il fait. ‘’Il ne triche pas, il ne porte pas de gants. S’il doit vous égorger, il vous dit : Je vais vous égorger’’, lui reconnait-il.

Ainsi, soulignent nos interlocuteurs, Serigne Mbaye Thiam gagnerait à comprendre davantage ‘’que toutes les décisions au département de l’Education ne lui reviennent pas, à lui seul’’.

Les enseignants ne sont pas d’ailleurs les seuls à ne pas être satisfaits de sa façon de faire. La société civile spécialisée dans l’éducation est tout aussi désolée de ce style de gouvernance. Il suffit de savoir lire entre les lignes pour mesurer tout le mal qu’ils pensent de lui. ‘’Le ministère de l’Education est certes technique, mais aussi social. Il nous faut un autre type de management’’, a déclaré au ‘’Grand Jury’’ de la Rfm Cheikh Mbow, le coordonnateur de la Cosydep, tout en refusant de personnaliser le débat.

‘’On dirait qu’il se croit dans les forces armées’’

En réalité, le ver est dans le fruit du caractère de ce géant de près de 1,90 m. Dès qu’il fonce vers une direction, il n’est plus question de fléchir. ‘’C’est un homme têtu dans ses convictions’’, témoigne son ami d’enfance Baba Dramé. ‘’Déterminé’’, rectifie le concerné. Mais qu’importe, les témoignages sont les mêmes et presque unanimes. ‘’S’il est sûr de quelque chose, il ne lâche pas. Il ne connait pas la négociation et il n’y a pas beaucoup de personnes qui peuvent agir sur lui’’, renchérit une source anonyme. Serigne Mbaye Thiam lui-même ne dit pas le contraire. Lorsqu’il est convaincu de la justesse d’une cause, dit-il, il s’engage. Par contre, s’il a un avis contraire, il le dit haut et fort.

Ce trait de caractère permet donc de comprendre ses relations conflictuelles avec les enseignants.

Enfant de troupe, ex-président de l’Amicale des anciens du prytanée, le fils d’Ousmane Thiam, à travers ses sorties, donne l’impression d’être persuadé que les enseignants exagèrent dans leurs revendications et la manière de le faire. Du coup, à défaut de les mettre au pas, il engage un bras de fer. Régulièrement, il profère des menaces à peine voilées à l’encontre des syndicalistes. Une attitude qui a creusé le fossé entre lui et ses vis-à-vis. ‘’Il doit savoir qu’il dirige un ministère d’intellectuels. On dirait qu’il se croit dans les forces armées’’, regrette Saourou Sène.

Les hommes de la craie l’accusent aussi de les traiter avec mépris et de les ‘’jeter en pâture à l’opinion’’. Une affirmation balayée d’un revers de main par son ancien instituteur à Rufisque, El Hadj Malick Ndoye, avec qui il a gardé des rapports privilégiés. ‘’Voilà quelqu’un qui voue un respect immense aux enseignants. Il m’a rendu hommage publiquement. Chaque Tabaski, il m’amène un mouton. Il ne m’appelle jamais par mon nom, il est comme un fils pour moi. Tout cela, il le fait, parce que je suis son enseignant’’, témoigne M. Ndoye. Celui-ci pense que le ministre est plutôt incompris. En tous cas, Serigne Mbaye Thiam lui-même déclare que sa plus grande réussite à son poste actuel, c’est d’avoir institué le Grand Prix du chef de l’Etat pour l’enseignant, une manière de rendre à ce dernier tout le mérite qui lui est dû.

Teint clair, grand gabarit, style raffiné, les yeux toujours couverts de lunettes et généralement habillé en tenue traditionnelle, cet amoureux de tous les plats du pays a toujours eu des relations difficiles avec les syndicalistes. Son passage au Port autonome de Dakar en tant que directeur financier, à l’âge de 30 ans, a été ponctué par les mêmes rapports conflictuels. Fraichement débarqué de la France, après ses études et un stage de 3 ans dans un cabinet d’expertise comptable, il prend fonction, le 2 avril 1987.  Débutent alors des réformes. L’intrus ne tarde pas à se mettre à dos une frange importante des travailleurs. Aujourd’hui encore, le prince de Ngoné Ndoye se rappelle, sourire aux lèvres, que le slogan contre l’apartheid a été détourné par les syndicalistes du port pour s’attaquer à sa gestion. ‘’Le maintien de Serigne Mbaye Thiam au port est un crime contre l’humanité’’, disaient les travailleurs.

Foncer, les doigts dans les oreilles

Seulement, ce genre de discours n’ébranle guère le socialiste. L’homme qui débute sa journée avec du couscous arrosé de lait ne veut pas souffrir du courage de ses idées. Il aborde les questions d’actualité de manière décontractée. Sa philosophie de la gestion est simple : il faut toujours arbitrer en faveur de l’intérêt général et après… mettre les doigts dans les oreilles. Pourtant, au port de Dakar, il a failli démissionner, parce qu’affecté par tout ce qui se disait sur sa personne. Mais, lorsqu’il s’en est ouvert à son oncle, ce dernier lui a demandé s’il préfère qu’on parle de lui ou qu’on lui jette des pièces de monnaie en guise d’offrande, pendant qu’il est assis sur les escaliers poussiéreux du port, vêtu de haillons. Ces mots sans équivoque ont eu raison de sa lassitude. Et il décide de faire face à tous les aquilons sociaux.

Trois décennies plus tard, en ce jeudi 3 février 2018, c’est un homme sûr de lui que l’équipe du journal ‘’EnQuête’’ a trouvé dans ce bureau spacieux du ministère de l’Education. Costume bleu marine, chemise bleu clair assortie d’une cravate qui épouse les deux couleurs, il dégage une élégance sobre. Cet ancien parachutiste pense que s’il a eu le courage de sauter dans les airs au prytanée et plier sans rompre face aux vagues du port, tel le roseau de La Fontaine, il ne doit plus avoir peur de l’adversité. ‘’Si, à 30 ans déjà, j’ai vécu une telle expérience au port, à 60 ans, je dois être vacciné’’, déclare-t-il d’un ton ironique. Il s’y ajoute qu’en bon politique, ce fidèle d’Oumane Tanor Dieng pense que les luttes syndicales ne sont pas que sociales, elles cachent aussi des ‘’interconnexions (sic)’’.

Génération 2.0

Avec une telle conception des choses, il est évident que ceux qui réclament sa démission ont peu de chance d’obtenir gain de cause. Ce représentant du Parti socialiste dans le gouvernement n’entend absolument pas quitter son poste, fruit d’une coalition avec l’Apr, le parti présidentiel.  Nez épaté, le regard perçant et la tête toujours rasée, ce jeune vieux est de la génération 2.0, avec une tablette connectée toujours à la main. Malgré cette ouverture aux technologies, cet ancien député de la 9e législature est décrit comme un homme méfiant et fermé. Arrivé dans le Parti socialiste en 1994, il est aujourd’hui membre du Bureau politique, bien que n’ayant pas de base affective. La distance qu’il aime garder vis-à-vis des inconnus y est peut-être pour quelque chose. ‘’S’il ne vous connait pas, il ne vous connait pas. Avec les amis, par contre, il n’a pas de limite, il est taquin et drôle’’, souffle son ami d’enfance Baba Dramé. Le concerné se défend d’être fermé, reconnaissant tout de même une certaine froideur. Il refuse, en fait, de se plier à cette manière bien sénégalaise de se donner des tapes amicales en public, tout en se promettant des appels téléphoniques ou des visites, alors qu’on n’est pas si proches. Avec lui, chacun ne peut pas être un ami ou un frère. ‘’Je me méfie des gens qui sont l’ami de tout le monde’’, assume-t-il.

Né à Keur Madiabel le 28 décembre 1957, Serigne Mbaye Thiam a été envoyé à Rufisque chez sa grand-mère maternelle pour les besoins du sevrage. Cette opération temporaire va finalement durer une éternité. Son père avait choisi de faire de lui ce fils que son oncle maternel Mamadou Thiam n’a jamais eu. C’est à partir de 8 ans qu’il a fait son retour au village natal, durant les vacances scolaires. C’est à la même occasion qu’il découvre que celle qu’il prenait pour sa mère était en réalité sa tante. Ainsi, même s’il a goûté aux ‘’délices’’ des travaux champêtres, ce ‘’boy Dakar’’ était plus disposé à aider sa maman à porter le repas aux champs, quand celle-ci était de tour, qu’à courber l’échine et retourner la terre sous des rayons impitoyables, à près de 45°. 

A quartier Dangou de la vieille ville, par contre, il va se révéler un génie. Très vite, son intelligence va faire l’unanimité. Elève à l’école Thiokho, il a été très brillant, sérieux, discret, timide à la limite, un livre toujours à la main, même dans la cour de récréation. Aujourd’hui encore, l’instituteur Ndoye ne cesse de s’émerveiller de la qualité de ses rédactions. ‘’Lors de la cérémonie de l’école de base, quand j’en ai lu une, l’assistance était ébahie et on me demandait si c’est lui qui l’avait réellement écrite’’. L’auteur lui-même n’arrive pas à croire que les lignes couchées à l’époque sur sa feuille jaunâtre sont bien le fruit de son imagination. Une rédaction au Prytanée militaire semble annoncer le naufrage du ‘’Joola’’, alors même que le bateau n’existait pas encore.

Si l’on en croit son maître, le petit excellait dans toutes les matières, excepté l’éducation physique. Pourtant, le gamin aimait éperdument le football, mais il n’a jamais été un bon sportif. Il était de ces portiers qui, à l’image de David James (surnommé ‘’Calamity James’’), n’assuraient presque aucune garantie derrière. ‘’Quand on le voyait dans sa tenue de gardien, il était tellement élégant qu’on pense pouvoir compter sur lui, mais toutes les frappes atterrissaient au fond des filets, même celles tirées de loin’’, se rappelle avec humour Baba Dramé. Ce sont peut-être ses piètres qualités de sportif qui l’ont poussé à vouloir prendre sa revanche sur l’histoire et la discipline, en créant le ‘’12e Gaïndé’’, en 1992, alors qu’il était membre de la Fédération sénégalaise de football.

Scolarité tumultueuse au prytanée

Au-delà d’être brillant, le potache a aussi été méthodique. Sa tenue n’est jamais froissée, ses cahiers jamais écornés. Un jour, dans les rues serpentées de Rufisque, il croise un ancien camarade d’école dans un bel uniforme militaire. Celui-là n’est personne d’autre que Mamadou Guèye Faye qui deviendra plus tard haut commandant de la gendarmerie. Il s’étonne de voir ce ‘’petit’’ dans une telle tenue et le presse de questions. Information prise, le garçon dégourdi va accomplir lui-même toutes les formalités. La première tentative sera la bonne. Bonjour Charles N’tchoréré !

Cependant, le prytanée est tout sauf un long fleuve tranquille, pour cet écolier décrit pourtant comme un élève discipliné. Une qualité qui résiste difficilement à l’épreuve, bien qu’il ait été toujours major. En classe de 3e, il sera mis aux arrêts pour une affaire pour le moins rocambolesque. En fait, malgré son sérieux dans le travail, il ne s’empêchait pas de goûter à quelques mondanités de la vie citadine. Lui et ses camarades avaient donc décidé d’organiser une soirée dansante, le samedi soir. Or, les pensionnaires de l’internat ne pouvaient quitter leur logement que le dimanche, du matin au coucher du soleil. Pour une telle initiative, il fallait donc découcher. Les taies d’oreillers placées sous les draps, les jeunes soldats sont partis faire la fête avec des jeunes filles du lycée Ameth Fall, croyant avoir trompé la vigilance du surveillant qui fait la ronde, chaque jour, à 21 h.

Le lendemain, ils seront mis aux arrêts et tabassés par l’adjoint au commandant, le capitaine Traoré. Lorsque, dans l’après-midi, par le trou du mur, ils l’ont vu venir, ils ont compris qu’il allait à nouveau leur tanner la peau. Faisant semblant de n’avoir pas remarqué sa présence, Birima Fall, qui travaille aujourd’hui à la Bceao, s’est mis, avec sa belle voix, à chanter les louanges de ce capitaine orgueilleux qui aimait raconter à qui voulait l’écouter qu’il a traversé le canal de Suez et fait la guerre d’Algérie et d’Indochine. Flatté comme jamais, il a renoncé à sa visite punitive pour aller dire au rassemblement : ‘’Vous ne me connaissez pas, mais vos camarades en prison eux savent qui suis-je.’’

Il faut dire qu’entre Serigne Mbaye Thiam et les soirées dansantes, il y a une longue histoire. Son ami d’enfance, Baba Dramé, se rappelle qu’il était toujours le trésorier, dès qu’il était question d’en organiser une. Non seulement les comptes étaient toujours bons, mais il rendait toujours les mêmes coupures de billets qu’on lui remettait. Mais  autant il savait garder les sous, autant il savait choisir ses cavalières, et ce n’est pas pour prendre les plus moches.

En réalité, en matière d’argent, Serigne Mbaye Thiam bénéficie d’une bonne réputation. Evidement, telle que la politique est conçue au Sénégal, il serait hasardeux de décréter l’innocence d’un homme politique à l’égard de l’argent du contribuable. Cependant, il est reconnu à l’homme de ne pas avoir la propension de s’enrichir avec les deniers publics. ‘’Si vous voyez bien, il n’y a jamais eu de scandale lié à son nom. Vous n’entendrez jamais de marché de gré à gré dont il est complice’’, assure une connaissance. Ce dernier s’empresse de révéler qu’il a renoncé au logement de fonction, préférant garder sa maison personnelle à Sacré-Cœur 3.

Galons contre grades

Au prytanée, la deuxième mésaventure a eu lieu en classe de 1re. Pour avoir refusé de dénoncer un camarade de classe ayant commis une bêtise, lui le major et responsable de la classe va séjourner pendant une semaine au camp El Hadj Omar, loin de l’établissement. Le dernier cas est sans doute le plus difficile à raconter. Non seulement, le ministre a passé sous silence cette épisode dans son récit (il a fallu lui poser la question), mais il a perdu l’humour qu’il avait en relatant son histoire au prytanée. C’était toujours en classe de première : Serigne Mbaye Thiam figurait dans le trio qui a dirigé une grève, cette année-là. Pour une école où on enseigne à obéir les yeux fermés, une telle attitude est impardonnable. Ainsi, à la fin de l’année, malgré ses bonnes notes, il va devoir faire ses valises, contre son gré. Sur son bulletin, la mention suivante : ‘’Très bon élèves, mais exclu de l’école pour participation à un mouvement d’insubordination collective.’’

La suite de l’histoire sera écrite au lycée Van vo et dans quelques écoles prestigieuses en France, comme l’École supérieure de commerce et d'administration des entreprises de Rouen et la Classe préparatoire Hec au lycée Corneille.

Ainsi, à défaut de collectionner les grades dans l’armée, l’homme s’est payé deux galons dans la vie matrimoniale, en attendant…

BABACAR WILLANE ET AIDA DIENE

Section: