Publié le 21 Feb 2014 - 22:20
SERVICES D’URGENCE DANS LES HÔPITAUX DE DAKAR

Dans l'intimité des ''couloirs de la mort''

 

La prise en charge des patients aux urgences dans les hôpitaux publics de Dakar crée beaucoup de frustrations. Un service bondé, une prise en charge tardive, des médecins pas du tout courtois. Bref, un accueil aussi malade que les patients qui ne cessent de se plaindre. Reportage.

 

Hôpital général de Grand Yoff (HOGGY). Il est 20h30mn. Tout est calme. On n'entend que les chants des cigales. La lune éclaire le chemin sombre qui mène aux Urgences. Après une dizaine de minutes de marche, une grande lumière attire l’attention. Nous sommes au service des urgences. Le lieu est noir de monde. Certains sont assis sur les bancs, d'autres sur des briques et d'autres encore préfèrent se tenir debout. Les médecins sont dans la salle d’accueil et de soins.

À 21 heures, deux voitures arrivent. Des mécaniciens descendent. Presque une dizaine avec leur tenue de travail bien tachetée d'encre et d'huile. Ils transportent un malade qu'ils conduisent directement à la salle de soins. Le patient s'est évanoui. ''Il a fait un accident de travail au moment où l'on réparait une voiture. La voiture a pris feu et le fil qu'il tenait l'a électrocuté'', explique indiscrètement son camarade à une dame venue accompagner son fils. ''Oh massa way! (le pauvre !)'', lance la dame.

À leur arrivée, les mécaniciens n'ont pas voulu s’asseoir. Ils font des va-et-vient dans le couloir. A un moment donné l’un d’eux se dirige vers la fenêtre de la salle de soins et surveille son collègue qui est en train d'être pris en charge. L'attente devient de plus en plus longue. Ils sont impatients. Finalement ils se sont tous installés devant la porte de la salle. Le médecin leur demande de quitter les lieux, mais c’est sans compter sur leur détermination.

Les minutes passent. La nuit se prolonge. L’attente anxieuse aussi.

22H05mn. Un homme venant de la salle rompt le silence. Tout le monde se demande ce qui se passe. Djibril se dirige encore vers la fenêtre. Soudain, il prend sa tête dans ses deux mains. ''C'est fini. Il est parti'', soupire-t-il à son groupe. Mais les autres ne le croient pas. Cinq minutes plus tard, un médecin sort de la salle avec un corps couché sur un brancard et couvert d'un drap blanc. Les cris fusent de partout. Aliou ne parvient plus à se tenir sur ses jambes. Deux de ses camarades le soulèvent. Un mort déjà aux Urgences de HOGGY, en ce 18 septembre.

Des médecins pas du tout courtois

Au moment où les mécaniciens pleurent leur ami, une jeune fille tombe de l'autre côté. Les accompagnants qui sont allés la secourir font fait appel à un médecin. Mais personne ne sort de la salle. Un brancardier vient les joindre. C'est après qu'un infirmier arrive et ils l’emmènent dans la salle.

Pendant que l’infirmier en question se dirigeait vers la salle, tenant les béquilles de la dame, un autre malade l'intercepte. Ce dernier a fait une fracture et n'arrive toujours pas à recevoir des soins. ''Ce n'est pas normal. Je souffre et vous ne voulez pas me soigner. J'ai duré ici et j'ai mal'', rouspète-t-il. L'infirmier lui demande d'entrer dans la salle. Quelques minutes après, il ressort avec une main bandée.

Assise sur le banc, Soukeyna Diop n'arrête pas de se plaindre. Même si elle n'a pas voulu donner son âge, elle est d'un âge avancé. ''Tout à l'heure un monsieur est passé, il est entré dans la salle et ils l'ont vite pris en charge. Alors que son cas n'était pas aussi urgent. Il y a des cas plus urgents et on les néglige.  C'est un service d'urgence qui ne l'est que de nom. Au lieu de soigner, ils demandent de l'argent. C'est une grande injustice. En plus, les médecins ne sont pas courtois'', tonne-t-elle.

«Service des lenteurs et non des urgences»

Bien attaché dans le dos de sa maman, Fallou Gallas, un bébé de 14 mois, est venu avec sa maman accompagner sa grande sœur. Le regard innocent, jouant avec le greffage de sa mère, il ne comprend rien du décor. A un moment donné, il arrête tout et essaye d'écouter les lamentations de sa maman qui, depuis 20 heures est arrivée sur les lieux avec sa fille Codou Dieng qui souffre de maux de ventre. Elle n'est toujours pas prise en charge par le personnel médical.

''Depuis qu'on est arrivé, on a juste pris sa tension. Elle est couchée sur le lit et on ne s'occupe pas d'elle.  Le service est très lent. Je crois qu'on doit changer d’appellation pour dire service des lenteurs et non des urgences. On est là depuis 20 heures. Regarde l'heure qu'il est. (Il était 23h 30). Je jure que si quelque chose lui arrive, ils vont le payer très cher même'', menace-t-elle. Seulement, le personnel médical qui est dans la salle ne sait rien de ce qui se passe dehors. Les accompagnants se plaignent, mais personne ne les entend.

A minuit, un pick-up L200 de couleur bleue s'arrête devant l’accueil du service. Deux garçons sortent pour demander là où se trouvent les médecins. Mais il n'y a personne pour les accueillir. Ils sont tous à l’intérieur. Ils ont finalement sorti leur maman paralysée avec l'aide de quelques bonnes volontés se trouvant sur les lieux pour la faire entrer dans la salle des soins. Dans cette salle, tous les patients s'y retrouvent.

Mais selon certaines indiscrétions, on peut passer plus d'une heure dans la salle sans être prise en charge. Une heure du matin et puis deux heures. Quelques infirmiers aidant les médecins pour la prise en charge s’apprêtent à rentrer. Au fur et à mesure que l'heure avance, les urgences se multiplient. Les accompagnants attendent, le personnel médical travaille à son rythme. Un rythme qui ne plaît pas du tout du fait de la lenteur du travail et de la mauvaise prise en charge des patients.

Viviane DIATTA

 

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