Publié le 27 Dec 2017 - 05:40
SIDY BA (CNCR)

‘’Je me demande si les opérateurs ont de l’argent…’’

 

Les huiliers n’ont pas d’argent, les exportateurs sont invisibles pour le moment, en dépit de la levée de la taxe sur l’exportation. Le constat est dressé par Sidy Ba du Conseil national de concertation des ruraux (Cncr) qui  rejette ainsi la responsabilité sur l’Etat et les huiliers. Dans cet entretien,  il  dégage des pistes de solution pour en finir avec les campagnes de commercialisation toujours difficiles.

 

La taxe sur l’exportation a été levée. Est-ce que cette nouvelle mesure a boosté la campagne qui, actuellement, bat de l’aile ?

Nous n’avons pas vu ce que nous espérions. Il n’y a pas encore une réelle opérationnalisation des points de collecte. Les exportateurs avaient dit qu’ils ont de l’argent, ils peuvent acheter toute la production du Sénégal, mais ils ne peuvent pas supporter la taxe sur l’exportation. Maintenant, la taxe a été levée, mais jusqu’ici on ne les sent pas. Ce matin (hier), j’ai reçu un coup de fil des amis du Nioro, mais ils m’ont dit que, jusqu’ici, c’est le statu quo. La campagne est restée morose comme elle a commencé. Il n’y a pas de financement.

Êtes-vous optimiste quant au respect du prix fixé ?

Dans les points de collecte, le kilo est vendu à 210 F Cfa, mais il faut plus d’argent pour acheter toute la production. Les exportateurs soutiennent que les cours mondiaux ont baissé. Ce qui veut dire peut-être qu’ils ne sont pas prêts à aller au-delà du prix fixé, mais ils doivent acheter au moins à 210 F. Ils se sont engagés à acheter, si la taxe est levée. Maintenant c’est fait, ils n’ont plus d’argument. J’ai entendu le président  demander à ces gens de s’engager ; on verra. De toute façon, pour l’instant, on ne les sent pas. Actuellement, je me demande si les opérateurs ont de l’argent. Les huiliers achètent, mais c’est de manière très timide. Est-ce que l’Etat a respecté la lettre d’engagement ? On ne sait pas. Ce qui est clair, c’est que si l’Etat ne respecte pas ses engagements, ils ne pourront pas acheter les graines. Copéol, par exemple, est une organisation assez liquide, mais faudrait-il que l’Etat rembourse la dette de l’année dernière.

Autrement dit, si les choses ne bougent pas, la faute incombe à l’Etat ?

La responsabilité de l’Etat est engagée, dans la mesure où il a pris des engagements vis-à-vis des huiliers et des opérateurs semenciers. Si l’Etat avait dégagé l’argent au mois de novembre, on n’allait pas connaitre cette situation de blocage. Les huiliers disposeraient d’un fonds et les banques accepteraient de leur accorder des prêts pour la campagne de commercialisation de l’arachide. Les responsabilités de l’Etat sont donc fortement engagées.

Peut-on parler de bradage des récoltes, à l’heure actuelle ?

C’est permanent. S’il n’y a pas d’argent dans les points de collecte officiels, les gens vendent leur récolte. L’Etat n’a pas payé les dettes de l’année dernière. Et comme le disent  les wolofs, ‘’bor du am rakk’’ (on ne peut pas contracter une nouvelle dette sans avoir payé la première).

Dans ce cas, ne craignez-vous pas une mévente du côté des  paysans ?

On attend de voir. Les exportateurs avaient dit qu’ils ont de l’argent. Maintenant, la taxe est levée, on verra. La Sonacos, principale huilerie, est dans un état de délabrement regrettable. Elle a été incapable de triturer ce qu’elle a collecté l’année dernière. Elle a été reprise par l’Etat : espérons qu’elle sera restructurée et qu’elle aura les moyens de triturer une bonne partie de la production. L’idéal était que les huileries disposent de moyens pour transformer les graines, afin de proposer aux Sénégalais de l’huile à la hauteur de leur bourse. Ce n’est pas fait. On espère que les exportateurs vont acheter les graines pour les vendre à l’extérieur, même si ce n’est pas la meilleure solution.

Vous pensez que toute la production peut être transformée sur place ?

Les huiliers de la place doivent utiliser les graines d’arachide que nous leur fournissons  au lieu de nous faire manger de l’huile de maïs ou de soja, qui sont les sources de tous nos maux. Ce que nous mangeons n’est-il pas génétiquement modifié ? Qu’ils transforment les tourteaux et qu’ils les donnent aux éleveurs pour engraisser le bétail et aux aviculteurs pour les poules. La coque d’arachide peut servir d’énergie de cuisson, elle peut aussi servir de fertilisant pour le sol. Tout cela, ce sont des choses qui doivent être prises en compte pour encourager la transformation au niveau primaire. C’est aussi des emplois qu’on crée en mettant en place de petites unités de transformation dans les communes rurales. Cela va faire revenir les autres. Pourquoi l’arachide que nous produisons doit-elle être exportée ? C’est ce qui n’est pas bon. Le million de tonnes que nous produisons, nos amis Nigérians le mangent en un jour. Pourquoi nous ne pouvons pas faire la même chose ? Pourquoi tout exporter ? La solution, c’est de transformer sur place, pour créer des emplois, de la valeur ajoutée.

Autrement dit, ce sont les huiliers qui ont failli à leur mission ?

Je ne sais pas si ce sont eux ou si c’est l’Etat qui ne semble pas vouloir entendre le plaidoyer que nous faisons. On a produit le riz, qu’on le transforme et qu’on fasse en sorte que le Sénégalais achète le riz de la vallée et celui qu’on est en train de produire dans les autres régions. Qu’on fasse la même chose pour le maïs, le mil, que le Sénégalais mange le couscous chaque soir et qu’on l’incorpore dans le blé qu’on mange, pour faire la promotion de l’agriculture sénégalaise. C’est ça qu’il faut  faire pour que notre agriculture émerge. Créons des unités de transformation, des unités agricoles en milieu rural ou urbain. Nous sommes dans le segment de la production et si nous produisons, nous nous attendons à ce que ceux qui sont dans le schéma de la transformation aient des outils performants et fassent une transformation qui va profiter aux Sénégalais. Parce que l’utilisateur final de notre produit, c’est le consommateur sénégalais, celui établi au Sénégal.

Vous aviez estimé pourtant que 210 F, c’est minime ?

En tant que producteur, nous pensons qu’il fallait une petite majoration de 15 F Cfa par rapport au prix de l’année dernière, pour couvrir un peu nos coûts de production. Le prix était estimé, il y a de cela 10 ans, à 192 F. Les efforts que nous avons consentis pour fournir un tonnage assez important pour le pays, il est bon qu’ils soient reconnus et ceux qui veulent acheter l’arachide mettent le prix, c’est payer au moins à 225 F pour nous permettre de couvrir ces coûts. Et d’assurer les dépenses d’éducation, de santé, etc., de nos familles. Depuis deux ou trois ans, on a constaté que pendant la commercialisation, les étrangers et huiliers qui viennent acheter les graines, le font au niveau des marchés forains ou bien des villages à 250 ou 240 F le kilo. Nous pensons que le prix est planché, que l’Etat devait leur imposer et valider le prix entre 225 F, pour permettre à ceux qui vendent les graines à le faire sous la campagne, que leurs coûts de production soient couverts et qu’ils engrangent un léger bénéfice. C’est dans ce sens que le Cncr a demandé que ce prix soit à 225 F.

Ils ont parlé du marché mondial ; je pense qu’il ne doit pas constituer une référence. Au niveau des producteurs, nous n’avons pas les moyens de vérifier la véracité de cette information. Ce sont les huiliers qui exportent les graines qui l’ont dit. Eux, ce qui les arrange, c’est que les producteurs vendent à vil prix et qu’ils stockent les graines jusqu’au mois de février. Pour que, quand les coûts grimpent, qu’ils exportent et engrangent beaucoup d’argent. Les éléments les plus lésés, c’est nous. Parce que la tendance, à chaque fois, c’est d’attendre au mois de novembre, décembre, quand les graines d‘arachide au Sénégal sont mûres, pour qu’ils disent que les cours mondiaux ont baissé. Or, ce n’est pas vrai.

Vous voulez dire que les coûts de production ne sont pas couverts ?

Il y a dix ans de cela, le kilo était à 192 F. Nous pensons aujourd’hui qu’il doit être à 225 F si on l’actualise. On dit que le Sénégal a produit un million de tonnes et que l’Etat n’a donné de 55 000 t de semences certifiées. Ce sont ces dernières qui sont censées donner des rendements après. Il faut savoir aussi que si l’Etat donne un, le producteur a donné à côté deux ou trois. L’Etat ne fait que 25 % des efforts et le reste, ce sont les producteurs.

Ce sont les réserves de semences que nous avons, des semences de qualité que nous avons conservées, les engrais que nous avons achetés, qui ont permis d’atteindre ce niveau de production. Là où l’Etat donne 30 000 t d’engrais, les producteurs ont acheté au moins 90 000 t. C’est ce qui fait que les dépenses que les gens font pour produire de l’arachide sont énormes. L’engrais que l’Etat nous donne est à 6100 F le sac, et pour un hectare d’arachide, il nous faut trois sacs. Donc, c’est de l’argent qu’on dépense et de la main d’œuvre familiale qu’on mobilise. Les chevaux qu’on utilise, le temps qu’on consacre pour produire et vendre, s’il était mis ailleurs, on aurait beaucoup plus d’argent. Mais nous l’avons consacré à une grande production et de qualité, et cela a un prix.

Les  agriculteurs ne risquent-ils pas d’être  lésés par les huiliers ?

Je ne le pense pas. Le phénomène des bons impayés est un vieux souvenir. Aujourd’hui, les huiliers qui sont là et qui transforment l’arachide, tout comme les exportateurs, savent que nous les producteurs ne sommes plus prêts à vendre à quelqu’un qui ne nous paie pas sur le champ. Il est de leur devoir d’aller chercher de l’argent pour acheter tout ce dont ils auront besoin. D’autant plus que cette année, nous avons une arachide de qualité. Les graines sont bien remplies. La teneur en huile est élevée. J’espère que ce phénomène des bons impayés est un vieux souvenir pour les paysans du bassin arachidier.

Dans les organisations paysannes, il y a des gens qui ont déjà des unités de transformation d’arachide. La concurrence des Chinois avait un peu plombé leurs activités. Il y en avait qui faisaient la transformation et vendaient l’huile d’arachide à moins de 800 F le litre. Nous, à Taïba Niassène, nous avons eu à mettre sur le marché des bidons de 20 litres d’huile raffinée avec 0,4 % de taux d’aflatoxine à 17 500-18 000 F. Les huiliers ont pris l’engagement d’aller chercher l’argent et d’acheter une bonne partie de la production que nous avons. Il reste l’autoconsommation, les réserves personnelles, etc. J’émets des doutes par rapport au niveau de production annoncé.

Presque chaque année, on note des problèmes de vente. Que faut-il faire pour une bonne commercialisation de l’arachide ?

L’une des voies de salut pour la filière arachide est la contractualisation entre transformateurs et producteurs. Au lieu d’attendre que les graines soient mises en vente pour venir avec leur cartable plein d’argent, ils peuvent procéder autrement. Avec le groupe Copéol, on a eu à contractualiser et ils nous ont donné des semences à des prix plus bas que ceux de l’Etat, de l’engrais à crédit à des prix usine. On a travaillé avec et on va rembourser les crédits et leur vendre le surplus. Voilà une forme de fidélisation entre producteur et transformateur. Il est bon que les autres industries de la place s’inspirent de cet exemple.

PAR BABACAR WILLANE

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