Publié le 23 Apr 2015 - 00:09
SITUATION DES TALIBES

Un statu quo inquiétant

 

Le Sénégal a célébré, ce 25 avril, la journée internationale dédiée aux talibés qui vivent dans des conditions inhumaines et donnent, de l’extérieur, une image dégradante du pays de la Teranga.

 

Rue 19 x 6 de la Médina. Une petite ruelle sablonneuse mène vers le bâtiment qui a servi d’internat à des talibés dont neuf d’entre eux ont été emportés par un incendie, il y a deux ans. Ils séjournaient dans ce taudis, avec plus d’une trentaine d’enfants qui ont pu s’échapper. Ce quartier, une véritable niche de pauvreté, donne des frissons au visiteur. Ses habitants y vivent en toute quiétude, mais la pauvreté ambiante se dégage de mille lieux dans ce secteur. Un sentiment d’insécurité s’empare d’une personne étrangère à cet endroit.

Dans ce quartier, les maisons sont en état de délabrement avancé, même si elles sont du reste occupées par des Sénégalais. D’ailleurs, c’est une quarantaine d’enfants qui dormaient entassés dans ce hangar.  Le périmètre est aujourd’hui clôturé par des tôles en zinc. Les décombres du bâtiment tapissent encore le sol. Le site rappelle des souvenirs assez cruels, mais les voisins ne sont pas prolixes sur le sujet, ils nous orientent vers une autre adresse. Le ‘’daara’’ aurait déménagé à la rue 8 de la Médina.

Sur place, une constance : la promiscuité est frappante. Des effluves d’urine accueillent le visiteur. Trois chambres, avec des nattes servent de dortoir aux talibés. Difficile de connaître le nombre d’enfants talibés qui y logent. Les gardiens du temple refusent de s’entretenir avec la presse. ‘’Leur marabout est absent, il faut revenir demain, les enfants sont allés quémander, ils ne seront de retour que vers 20h’’. Il n’était que 17 heures.

Selon l’Unicef, ce sont 100 000 enfants talibés qui sont enregistrés à Dakar, suite à l’exode rural. Chaque année, depuis l’institution de la journée internationale, il y a 29 ans, l’Etat sénégalais manifeste une volonté d’éradiquer ce fléau mais le statu quo est toujours au beau fixe.

Député Hèlene Tine : ‘’on doit se souvenir du 3 mars’’

Le sort des talibés laisse-t-il les Sénégalais de marbre ? ‘’On est choqués. J’ai les larmes aux yeux, quand je parle de la situation de ces enfants. J’ai l’impression que personne ne veut plus se souvenir de la mort atroce des neufs enfants emportés par le feu. C’est une situation choquante, inhumaine, qui nous interpelle en tant que mère, épouse, député. Elle interpelle tous les segments de la société’’, souligne la parlementaire Mme Hélène Tine, jointe au téléphone.

Mais, elle tient à préciser qu’au niveau du Parlement, des actions sont menées de part et d’autre pour restaurer à ces enfants leurs droits à la dignité, l’éducation et la santé. C’est dans ce sens que le réseau des parlementaires qui s’occupe des violences faites aux enfants est en train de bâtir des stratégies qui puissent asseoir des solutions durables. Ce, en synergie avec des structures nationales et internationales qui œuvrent pour la défense des droits de l’enfant. ‘’C’est inacceptable, car c’est l’une des pires violences faites aux enfants. Nous avons tendance à minimiser ce phénomène, alors qu’il fait peur aux enfants qui viennent passer leurs vacances à Dakar.’’

En termes plus précis, bon nombre d’enfants sénégalais rechignent à séjourner à Dakar choqués qu’ils sont par la maltraitance de ces enfants de la rue. Ils ont peur de vivre la même situation. A cet effet, une jeune Française actuellement en vacances à Dakar prend la balle au rebond. Elle pense que cette inertie des autorités étatiques impacte sur la croissance économique du pays. ‘’C’est horrible, inhumain. Un pays qui prétend à l’émergence ne doit pas cautionner de telles pratiques. Des enfants, en âge de s’amuser, laissés à eux-mêmes, ce sont des images qui nous fendent le cœur en tant qu’étranger. Cette situation est à même de briser l’envol du secteur touristique, car elle fait fuir plus d’un. Un pays qui foule au pied les droits les plus élémentaires de l’enfant ne peut lustrer son image.’’

Elle ne manque pas de remettre en cause, comme d’autres, le sens de la teranga sénégalaise de même que la solidarité mise en valeur par les guides religieux. ‘’J’ai été choquée de voir une somptueuse mosquée à Mbour avec aux alentours des enfants crevant de faim qui rôdent autour. C’est une image paradoxale. Pourquoi injecter tant d’argent pour la construction de mosquée, alors que des enfants meurent de faim… ?’’

‘’Il faut appliquer les solutions préconisées’’

Mais pour le professeur Khadim Mbacké, ancien chercheur à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), il urge de faire la distinction entre un enfant de la rue et un ‘’talibé’’. ‘’On ne rencontre ce dernier que dans un daara’’. Et d’ajouter que ‘’les guides religieux sont en train de faire beaucoup d’efforts pour assainir le secteur. Ils prennent entièrement en charge les écoles coraniques qui respectent les normes requises, c'est-à-dire qui répondent aux besoins formulés par les populations locales.’’ L’islamologue cite à cet effet l’exemple des daara modèles qui servent de transition à l’école classique.

Pour prendre à bras le corps cette lancinante question, le professeur Khadim Mbacké pense qu’il y a lieu de ressusciter un legs de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade.  ‘’Il faut renforcer les capacités d’accueil de ces daara modernes. Il ne faut pas perdre de vue que l’ancien chef de l’Etat sénégalais en avait créés sous son magistère, dans les différents foyers religieux, en vue de lutter contre la mendicité infantile. Cela aidera à réduire le nombre d’enfants qui errent dans les rues. Ce serait bien d’en créer d’autres dans les différentes zones de concentration’’. ‘’Des solutions ont toujours été préconisées, mais elles doivent être mises en application. J’avais proposé, il y a presque deux décennies, la création de ‘’daara’’ modernes dans chaque communauté rurale. Ce sont des daara qui assurent l’éducation religieuse de l’enfant et lui permettent d’avoir un parcours académique’’, précise l’islamologue.                                                  

Si des enfants talibés ont fini par se fondre dans le décor des Sénégalais, la parlementaire Hèlène Tine juge que les Sénégalais n’ont plus le droit de rester insensibles à leur sort. Ces enfants issus pour la plupart de la sous-région constituent une main d’œuvre pour des faux marabouts. Pour les différents observateurs, l’actuel régime doit au aller au-delà des déclarations d’intention et en faire une de ses préoccupations. 

Matel BOCOUM

 

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