Publié le 28 Dec 2019 - 21:57
SITUATION ECONOMIQUE ET POLITIQUE

Abdoul Mbaye ‘’dé-Macky’’ le régime

 

Le président de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (Act) est monté, hier, au créneau pour brûler tous les chiffres vantés par le régime et sur lesquels repose essentiellement le taux de croissance économique soutenu du Sénégal, depuis des années. L’ancien Premier ministre, banquier de renom, en appelle à un débat sérieux autour des productions agricoles supposées record, de la monnaie, du taux de croissance, entre autres.

 

La République est-elle en péril ? On serait tenté de le croire, à entendre le président de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (Act), Abdoul Mbaye. Le banquier est largement revenu, hier, sur la situation économique nationale qu’il juge catastrophique. A l’en croire, c’est comme si le Sénégal était au bord du gouffre. En atteste, selon ses mots, le plan d’ajustement structurel déguisé en Instrument de coopération de politique économique (Icpe) que le peuple serait en train de subir. Et les signaux ne manquent pas : resserrement du déficit budgétaire, règlement en priorité des échéances des dettes extérieures, ponctions sur le pouvoir d’achat des ménages, recherche, par tous les moyens, de recettes, harcèlement fiscal des entreprises et des ménages… Pourtant, rappelle Abdoul Mbaye, pour s’en désoler, l’Etat disait compter sur ces mêmes entreprises pour la relance économique, puisque sa capacité d’intervention économique a été dilapidée par de mauvais choix économique, une mauvaise gestion et de l’incompétence.

Pièce par pièce, l’ancien Premier ministre démonte carrément les chiffres de la croissance. ‘’Où sont donc passées toutes ces quantités de céréales qui auraient été produites et qui ont porté la croissance du Sénégal, durant ces dernières années ? L’autosuffisance en riz avait été annoncée pour 2017. On l’a ensuite reportée pour 2018. Maintenant, on n’en parle plus’’, fulmine-t-il, invoquant des statistiques truquées sur des productions agricoles jamais atteintes, un taux de croissance s’emballant et devenant l’un des plus réguliers au monde, nonobstant le vécu, chaque jour, plus difficile des populations…

Mais pour M. Mbaye, il ne fallait surtout pas s’attendre à autre chose, de la part d’un président ‘’dont le monde entier a retenu sa capacité de ne pas respecter les engagements pris’’.

Le président de l’Act tourne ainsi en dérision le bilan reluisant, tant vanté par les tenants du régime. Un tissu de mensonges, si on l’en croit. ‘’Le mensonge, souligne-t-il, est celui de l’émergence inéluctable de notre pays, avec un maintien de son taux de croissance à un niveau élevé porté par une compétitivité des facteurs de production, un renforcement du capital humain, une amélioration des soins de santé et des efforts d’éducation et de formation, une diversification des exportations, une amélioration de l’accès au crédit avec, bien entendu, comme corolaire, un recul constant et significatif de la pauvreté’’. Et ‘’ils osent encore soutenir que la croissance aurait été maintenue à 6 %, en 2019’’, lâche l’ancien numéro deux du régime.

A l’entendre parler, c’est comme si le règne du régime actuel rime avec mensonge. Ce qui ne saurait durer ad vitam aeternam, semble-t-il se convaincre. ‘’Les mensonges les plus patents ne peuvent plus être cachés. La production d’arachide de 1,400 million de tonnes n’a même pas permis la collecte de 300 mille tonnes en 2018-2019. Et les prévisions sont encore plus pessimistes pour la campagne en cours. Elles sont le résultat d’une stratégie ignoble, visant l’enrichissement de politiciens, vendeurs de mauvaises semences dites sélectionnées et subventionnées, aux dépends des paysans et du contribuable sénégalais’’.

Ainsi, le temps économique des prochaines années risque d’être lourd, si on en croit le leader politique doublé de banquier. Ce, non par la faute d’un environnement extérieur, mais comme conséquence de l’attitude de ceux que les Sénégalais ont choisi pour diriger la barque. A l’en croire, l’année 2020 sera une année de tensions économiques et sociales. ‘’La dépense publique, fait-il savoir, sera resserrée au détriment du fonctionnement de l’Administration, de l’éducation et de la santé, lorsque le gaspillage en voitures et voyages pourrait être poursuivi. La dépense sociale souffrira également des priorités accordées à quelques grands projets à terminer dont des immeubles administratifs inoccupés’’.

Abdoul Mbaye brûle également certains grands projets du gouvernement ainsi que ceux qu’il qualifie de politiciens professionnels qui ne vivent que de la politique.

Le dialogue, une diversion

D’après Abdoul Mbaye, il ne faudrait pas trop s’enflammer avec le dialogue national, organisé juste pour faire diversion. La grande qualité de certains de ses administrateurs, argue-t-il, ne contredira pas le vrai dessein de son initiateur, devenu spécialiste dans le gâchis de compétences. ‘’Je pense à Ahmadou Makhtar Mbow, Jacques Diouf, entre autres’’, soutient-il avant de renchérir : ‘’Pour l’année qui s’ouvre, nous refuserons la sujétion au temps politique que Macky Sall, en bon politicien professionnel, cherche à imposer avec son dialogue national. Nous opterons pour une attitude de sentinelle, poursuivant notre rôle d’éveil des consciences, afin qu’un jour, les Sénégalais connaissent mieux les raisons du non-développement de leur pays et choisissent mieux leurs dirigeants à l’occasion d’élections. C’est le sens que nous donnons et donnerons à notre action politique.’’

En plus de s’ériger en sentinelle, Abdoul Mbaye ne manque pas, non plus, d’idées pour faire avancer le Sénégal. Parmi ses grandes ambitions qu’il compte dérouler avec son parti, bien que n’étant pas aux affaires, il y a le projet ‘’Rexodus’’. Ce dernier consiste à organiser le retour, dans leur pays d’origine, des émigrés de première et de deuxième génération, dans le secteur productif, grâce à leurs employeurs, Pme européennes délocalisant ou dupliquant une partie de leurs activités, en co-investissant avec leurs employés émigrés et des nationaux du pays de retour’’.

L’Act ne compte pas non plus négliger la formation des femmes à la production de savon, eau de javel, vinaigre et autres petites productions, à la tenue de caisses de micro-crédits... ‘’Cette posture résolument citoyenne, dira-t-il, sera nôtre dans le cadre de l’espace déjà élargi que constitue le Congrès de la renaissance démocratique (Crd), mais qui reste ouvert à d’autres mouvements et forces citoyennes et politiques, toutes conscientes que les alliances ne doivent pas se nouer et se dénouer pour ‘aller à la soupe’, mais autour de valeurs partagées pour la recherche du progrès de notre cher Sénégal’’.

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DEBAT SUR LE F CFA

Un patronat fantôme, un Exécutif aphone

Dans le débat autour de la question cruciale de la monnaie, activistes et universitaires mènent le combat, pendant que le patronat et l’Exécutif se font désirer. Baidy Agne, Mbagnick Diop, Mansour Kama, Babacar Ngom… sont ainsi interpellés.

Mais où sont donc passés les opérateurs économiques ? Depuis quelques jours, le débat crucial sur le franc Cfa fait rage, entre défenseurs et pourfendeurs de la monnaie commune. Pendant ce temps, eux, principaux concernés, rasent les murs. Une attitude qu’Abdoul Mbaye, Président de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail, n’arrive pas du tout à comprendre.

En conférence de presse, il peste : ‘’Mais quel est ce pays où, sur un sujet aussi technique et important, les véritables acteurs n’en parlent pas ? Il est temps qu’eux aussi s’expriment et montrent leur position. Qu’ils disent les aspects qui les conviennent et ceux qui ne les conviennent pas dans ce débat autour du franc Cfa. Ce débat appartient, avant tout, aux opérateurs économiques, à ceux qui font l’économie, aux patrons d’entreprise, aux patrons de banque. Mais on ne les entend pas, malheureusement.’’

Très prompts à se plaindre, à pleurnicher contre l’accaparement des marchés par les entreprises étrangères, ces derniers brillent souvent par leur absence dans le débat public. Si ce n’est les rencontres où ils espèrent trouver les autorités publiques, afin d’étaler leurs charmes, ils sont rarement présents. Très souvent, ils ont peur même de s’exprimer en public, par crainte de représailles. En leur lieu et place, ce sont les universitaires, les activistes, voire même les profanes qui mènent le débat. Avec tous ses dangers. Abdoul Mbaye, lui, prend bel et bien position. A ceux qui pensent que la réforme actuelle est insignifiante, il rétorque : ‘’Moi, je pense que c’est une réforme importante et historique. Elle donne satisfaction à notre réclamation de dignité, exprimée surtout par notre jeunesse. Mais la réforme doit se poursuivre, parce qu’il y a des aspects qui ne sont pas encore abordés…’’

Le président de l’Act est aussi étonné par le silence de l’Exécutif face à une réforme aussi importante. Pour lui, des pistes de réflexion doivent maintenant s’ouvrir pour en moderniser la gestion sans l’affaiblir et en renforçant son caractère de monnaie africaine par son évolution vers l’Eco en partage avec d’autres pays de la Cedeao. 

Abdoul Mbaye regrette, cependant, la longue attente avant d’entamer la réforme. ‘’Attendre 46 ans pour faire une réforme, c’est trop. Il y a eu du temps de réforme dépassé. C’est incompréhensible d’avoir attendu tout ce temps. Pourtant, certaines avancées étaient techniquement aisées. Sauf à avoir peur des velléités de représailles des éventuels mentors. Il en est ainsi du nom qui aurait pu être changé depuis longtemps’’.

Parité fixe

Sur la parité fixe avec l’euro, Abdoul Mbaye minimise et se dit ouvert au débat. A l’en croire, c’est un débat technique. ‘’Le Maroc a une sorte de fixité par rapport à l’euro, sans même avoir besoin de le formaliser. Ils gèrent au jour le jour, en fonction des transactions économiques du Maroc. Ce n’est pas un débat majeur. Mais c’est un débat ouvert. Le débat s’étend même sur la nécessité ou non de rechercher une faible inflation… Est-ce que cela cadre avec les objectifs de croissance soutenue ? Il y a beaucoup de questions qui méritent d’être posées’’.

Quant à ce qui concerne la garantie française qui défraie la chronique, il pense que ce n’est pas si essentiel. ‘’C’est aussi un sujet de crispation. Mais c’est une garantie qui ne fonctionne pas. Ou qui n’a fonctionné qu’une fois. Donc, même si c’est important sur le plan psychologique pour certains, ce n’est pas essentiel, puisque ce n’est pas utilisé. D’ailleurs, l’accord de coopération de 1973 ne parlait même plus de garantie. Il parle plutôt de concours’’.

En bon financier, le banquier explique ce que cela renferme : ‘’C’est-à-dire, quand la Banque centrale a besoin de devises pour une opération commerciale, elle peut recourir au Trésor français.’’ Se voulant plus explicite, il entre dans les détails : ‘’Vous êtes importateur ; vous voulez acheter une voiture aux Etats-Unis ; vous avez besoin de dollars pour les envoyer aux Etats-Unis. Vous vous adressez à votre banque qui s’adresse à la Banque centrale. Celle-ci prend des dollars sur l’argent qu’elle garde. L’accord prévoit que, si un jour, la Banque centrale n’a plus de dollars, elle peut recourir au Trésor français pour qu’il lui en prête.’’

Comme pour démontrer que cette garantie a peu de chance d’être mise en œuvre, il rappelle toutes les conditions à remplir pour pouvoir l’invoquer. D’abord, il faut utiliser toutes les devises en sa possession. En deuxième lieu, si la Bceao n’en n’a plus, elle doit d’abord aller au Fmi pour voir ce qu’elle peut obtenir. Si aucun de ces deux mécanismes n’est satisfaisant, il faut faire le ratissage. Ce n’est que par la suite qu’elle peut invoquer la garantie.

‘’Je pense qu’on peut bien s’en passer. Ce qui s’est passé est une victoire de la jeunesse, qui a mené le combat avant-gardiste. La jeunesse a obtenu gain de cause, parce que leur objectif principal était la sortie de la France.

La France est sortie ; elle ne siège plus dans les instances de direction et de gestion de l’Uemoa et du franc Cfa ; la dénomination va changer ; et il n’y a plus d’obligation de déposer une partie des réserves de la Bceao au Trésor français. C’était là une contrepartie par rapport à la garantie’’, défend l’ancien Premier ministre, non sans qualifier de polémistes qui ne sont jamais satisfaits, certains pourfendeurs de la monnaie.

MOR AMAR

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