Publié le 4 Jul 2020 - 19:03

Statue de Faidherbe : Non au déni mémoriel !

 

Elu pour assumer les plus hautes charges de l'État, le Président de la République est devenu le  dépositaire d'une espérance. Aussi, Macky SALL avait-il décidé de placer ce septennat, entre autres priorités, sous le signe de la dignité, de la simplicité et de la fidélité aux valeurs essentielles de la République. Son ambition déclarée était de rendre les Sénégalais plus unis, plus égaux, et le Sénégal plus rayonnant, toujours fier de son histoire.

 

Jamais auparavant, nos compatriotes n’ont eu à manifester autant de liberté d’expression ou de manifestation, la démocratie étant devenu[1] e plus affermie et mieux équilibrée, même si l’expression de certains droits est à améliorer. Dès lors, nous estimons opportun d’alerter les pouvoirs publics sur un danger rampant qui menace notre vivre ensemble. Cette invite à l’anticipation s’adresse au-delà du Président de la République, au Ministre de la Culture et à celui en charge de l’Education nationale. Car, laisser les détracteurs de Macky SALL organiser le débat et prendre les initiatives autour de la remise en cause d’un pan de notre passé commun, serait une erreur irréparable, [2] sans précédent. Ce serait ouvrir la boîte de Pandore, dans l’inconscience totale des conséquences. S’y ajoute que lorsque nous avons lu dans une certaine presse quelqu’un comme Moustapha Diakhaté, ancien collaborateur du Président de la République éjecté du Palais, revendiquant l’exclusivité des surenchères démagogiques, saisir  l’opportunité au rebond pour en rajouter à la doléance, nous nous sommes dit qu’il était temps d’agir. Il s’agit bien entendu, du déboulonnage de la statue de Louis Faidherbe à Saint-Louis.

En ce moment, un curieux vent de contestation souffle dans le globe. Et, à défaut de pouvoir faire déboulonner les statues des personnalités historiques qui ne sont plus à la mode, ses animateurs créent les troubles auxquels nous assistons à travers le monde. Le geste en soi n’est pas nouveau. Déjà dans l’ancienne Egypte, les statues d’Akhénaton furent brisées et sa mémoire réduite à néant. Et plus récemment, nous nous souvenons des débuts de la perestroïka en Russie où des statues de Staline étaient terrassées, à Moscou.

Ici, chez nous, déjà en 1978, l’écrivain et cinéaste Sembene Ousmane avait adressé une lettre au Président de la République Senghor, pour déplorer la présence de la statue de Faidherbe dans notre pays. Il écrivait : « N’est-ce pas une provocation, un délit, une atteinte à la dignité morale de notre histoire nationale que de chanter l’hymne de Lat Joor sous le socle de la statue de Faidherbe... Notre pays n’a-t-il pas donné des femmes et des hommes qui méritent l’honneur d’occuper les frontons de nos lycées, collèges, théâtre, université[3] , rues et avenues ? ». En son temps, Sembène n’avait pas reçu le soutien de l’éminent professeur d’Histoire Iba Der Thiam (qui rue sur les brancards, en ce moment).

Et plus actuel encore, en 2014, Thierno Dicko, un blogueur connu pour son opposition aux symboles coloniaux français présents dans la vieille ville, avait lancé une campagne en ligne pour demander le déboulonnage de cette statue de Faidherbe. Aujourd’hui, nous sommes en mi-2020, et la revendication a ressurgi avec force. Et ce n’est qu’en « ce moment précis de l’Histoire », que le professeur Iba Der Thiam, agrégé d’Histoire dès le début des années 70, nous demande de « dégager la statue du criminel Faidherbe », tel qu’on peut le lire dans la presse. Et pourtant, cette opinion ne prévalait pas dans le manuel « Histoire du Sénégal et de l’Afrique » (publié aux Nouvelles Editions Africaines du Sénégal) qui aura marqué notre passage au Cours Moyen 2ème année du primaire, co-écrit par Iba Der Thiam et Nadiour Ndiaye. Mais, pourquoi tout ce branlebas, précisément, maintenant ?

En évoquant tous ces exemples aussi bien au niveau international que local, nous savons que l’humain est ainsi structuré, entre besoin de mémoire et désir de  revanche. Mais, dans quel but construit-on les statues à effigie humaine ? Plus que pour la beauté d’un paysage, l’érection d’une statue représente un acte civique. Ainsi, dans le double objectif d’honorer une personnalité et de l’offrir en modèle à la descendance[4] , les pouvoirs publics prennent souvent la décision de statufier une figure emblématique.

Il y a donc là une nécessité d’action de la part de l’Etat du Sénégal avant que la contestation ne finisse par l’éclabousser. Ce vent de remise en cause de la dignité de certaines figures du passé à trôner dans les places publiques est entré dans notre pays. Il n’est pas utile de chercher à l’occulter, d’autant plus que le simple fait de déboulonner une statue ne saurait s’inscrire dans une perspective de réécriture de l’histoire. Nous estimons que cette énième vague de contestation venue d’Outre-mer relève d’un projet politique certain obéissant à une logique de satisfaction de groupes de pression ou de lobbies favorables à l’instauration d’un « nouvel ordre mondial ». Elle donne l’illusion d’éliminer un problème alors qu’en réalité, de façon inavouée, elle vise autre chose de plus profond. Allez savoir !

Nous voyons bien qu’en ce moment les priorités sont au niveau de la gestion de la pandémie de la Covid-19 corrélée aux dégâts économiques et sociaux qu’elle engendre dans notre pays. Compte tenu de la catégorie de personnes ou de groupes porteurs de cette revendication, cet exercice n’obéit pas à une logique démocratique. Cela relève d’un forcing destiné à faciliter l’agenda des vrais commanditaires à intervenir dans notre pays et partout ailleurs où existerait une situation similaire. Toutefois, il faut le constater, ce souffle nouveau a de l’avance sur tous les gouvernements ; d’abord parce que dans presque tous les pays du monde, des édifices peuvent être visés et combattus pour les mêmes motifs, mais ensuite, parce que de plus en plus ils sont phasés au vent qui souffle depuis les réseaux sociaux.

Pour rappel, l’inauguration de ce monument consacré à Louis Faidherbe (par le sculpteur G. Crauk) a eu lieu le 20 mars 1887 à Saint-Louis. Mais, depuis l’accession de notre pays à l’indépendance politique, il a été plusieurs fois contesté. C’est un fait. Et nul ne peut nier la légitimité de cette exigence. Mais, le bon sens commande de tenir compte, dans notre façon de penser et d’anticiper les évènements, que le monde a beaucoup évolué et que nous sommes au 21ème siècle, ère où règne une sorte de diktat du numérique. Les réseaux sociaux sont devenus une véritable puissance au service des lobbies et des groupes de pressions. Ils sont tellement puissants que certains observateurs leur ont attribué[5]  (à tort ou à raison) la victoire du Brexit en Grande Bretagne et l’élection du Président américain.

Ainsi, la mouvance sociale qui réclame le déboulonnage de la statue de Faidherbe à Saint-Louis veut réécrire l'histoire dans le but de rétablir la vérité sur un personnage qui, en ce moment même est largement décrié chez lui à Lille, sa ville d’origine. L’administration coloniale, en érigeant la statue de Faidherbe, une année après avoir défait Lat Dior notre héros national et son armée, a aussi voulu réécrire l’histoire. Le colon a voulu donner au Général Faidherbe, une place au panthéon des grands hommes dignes du respect et de l’admiration des Sénégalais, tel qu’inscrit au piédestal de la statue : « A son Gouverneur Faidherbe, le Sénégal reconnaissant ». Cependant, ceux qui manifestent pour le déboulonnage de la statue ont bien raison, puisque Faidherbe représentait et travaillait pour les intérêts de la métropole.

Dès lors, l’Etat a un rôle extrêmement important à jouer et sa posture est d’autant plus intéressante qu’elle lui permet d’être dans l’anticipation. Si nous ne sommes pas inquiétés par la nature de cette demande virale dont la propagation à l’intérieur de nos frontières enfle de jour en jour, c’est parce qu’il y a un problème quelque part. Et, nul n’a le droit de laisser ce phénomène prendre de l’ampleur et devenir la porte d’entrée du chaos dans notre pays. Des discussions d’envergure nationale sur cette question doivent être provoquées, car seul un débat serein et dépassionné pourrait amortir ce choc qui se profile à l’horizon. Tous les grands hommes que l’humanité a connus ont eu leurs phases lumineuses et brillantes mais aussi leurs phases sombres ou obscures. Les personnalités qui ont été statufiées l’ont sûrement été sur la base des démonstrations singulières de leur grandeur et non sur leurs frasques éventuelles. Dans un pays qui a vu naître sur son sol, des créatures comme Cheikh Oumar Foutiyou, Cheikh Ahmadou Bamba, Seydi El hadji Malick Sy, pour ne citer que ceux-là, les parrains ne manquent pas pour honorer ses places, ses rues ou ses édifices publics.

Finalement, il est arrivé le temps où l’ancien « gouverneur du Sénégal » doit partir rejoindre les siens. Le déboulonnage de sa statue est  devenu une demande sociale forte exprimée par une grande majorité silencieuse des Sénégalais. L’Etat pourrait, pour les besoins d’une sauvegarde de mémoire, installer cette statue de la polémique au Musée des civilisations noires ou à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). Quoi qu’il en soit, Faidherbe fait partie de notre histoire commune et déboulonner la statue à son effigie ne saurait le rayer de notre mémoire collective.

C’est aussi un fait. Mais, derrière cette revendication populaire pourrait se cacher une féroce volonté de changer le monde au profit de forces « obscures ». Cette demande, la seule capable de fédérer l’ensemble des forces patriotiques sénégalaises, est l’arbre susceptible de cacher une forêt de stratégies politiques dont le dessein ultime est de déstabiliser nos institutions. Mais en tous les cas, l’exil de Cheikh Ahmadou Bamba, d’Aline Sitoé, d’Alboury et la mort de tant d’autres durant la colonisation devaient marquer, pour de bon, les fondements du retrait de notre liste de modèles à promouvoir toutes ces références à l’ère coloniale. Nos rues, nos places publiques et nos édifices doivent revenir aux figures emblématiques et aux héros relevant de notre patrimoine historique et qui sont reconnus par le peuple Sénégalais.

Lamine Aysa FALL

Inspecteur de l’Education et de la Formation

Citoyen de Thiès-Ville

lamineaysa@gmail.com

 

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