Publié le 8 Mar 2020 - 01:58
STATUT MONOPARENTAL AU SENEGAL

Dans l’univers de femmes ‘’mères-pères’’

 

Elles sont instruites ou analphabètes. Elles sont citadines ou campagnardes. Elles sont simplement femmes, mères, mais aussi… pères. En l’absence des ex-conjoints qui ont décidé tout bonnement de fuir leurs responsabilités, elles assurent seules. Ces braves dames prennent en charge toutes les dépenses de la famille. Cela va de la scolarité à la prise en charge médicale des enfants, en passant par la dépense quotidienne.  Trois d’entre elles ont accepté de partager leur vécu avec ‘’EnQuête’’.

 

Les souvenirs restent vivaces dans la tête d’Aida Faye. Elle les aborde péniblement et peine à aligner correctement des phrases. Si la naissance d’un enfant est, pour beaucoup de couples, un évènement heureux, pour elle, les circonstances de la venue au monde de sa fille cadette, en 2018, sont pénibles et inoubliables.

‘’J’ai travaillé comme lavandière durant toute ma grossesse, pour payer mes ordonnances et les échographies’’, se remémore-t-elle, le regard vide, un brin de tristesse dans la voix.  

Et pourtant Aida était toujours dans les liens du mariage, mais ne ressentait nullement la présence de son époux qui s’est détourné d’elle et de ses enfants. ‘’Mon mari disait qu’il n’avait pas les moyens de subvenir à nos besoins, alors que c’était faux. Il était toujours absent, durant mes grossesses, particulièrement les deux dernières. Je continuais à travailler et à garder un peu d’argent de côté pour les frais d’accouchement et les petites dépenses qui l’accompagnent’’.

Le coup a été encore plus dur à encaisser, après la naissance de sa fille. La mère de 3 enfants gardait encore l’espoir de célébrer cet évènement heureux auprès de son époux. Elle attendra en vain… ‘’Il n’est même pas venu au baptême et n’a rien donné pour les préparatifs. Il a juste délégué une de ses sœurs’’, regrette-t-elle.

Cet épisode était comme un halo de lumière. Elle a décidé de ne plus continuer à vivre dans ce ménage qui n’en était que de nom. Elle a demandé le divorce et continué à prendre en charge sa famille, comme elle le faisait si bien jusque-là. ‘’C’est difficile de supporter seule tous les frais. Je prends en charge la scolarité, les fournitures, je prévois l’argent pour les fêtes et, quelquefois, des ordonnances ne manquent pas’’. Elle est encore lavandière et se désole que l’argent qu’elle gagne couvre à peine ses nombreuses charges. Elle a d’ailleurs décidé, depuis quelque temps, de s’investir dans un petit business de produits cosmétiques et autres literies.

Mais le manque d’argent n’est qu’une partie des problèmes que cette mère-père rencontre. C’est la croix et la bannière, quand il s’agit d’obtenir des papiers pour ses enfants. ‘’Mon deuxième enfant n’a pas eu d’extrait de naissance, jusqu’en classe de 6e. A chaque fois que je demandais à son père de lui en faire, puisque, juridiquement, il est le seul apte à le faire, il refusait. Il disait que les enfants ne vivaient pas sous son toit, donc il n’avait aucune obligation envers eux’’, se souvient-elle.

Vêtue d’une taille-basse en brodé marron, un voile sur la tête, Aida enchaine son récit teinté de déceptions et d’amertumes. ‘’Pour se donner bonne conscience, mon ex disait à qui voulait l’entendre que j’ai toujours refusé son aide, ce qui n’est pas vrai. Il se targue même de m’offrir à chaque Tabaski la somme de 10 000 F et un gigot, alors que j’ai trois enfants en charge. Ce geste ne représente rien pour moi’’, clame la jeune dame. 

‘’Un jour, vos enfants essuieront vos larmes’’

La situation d’Aida Faye n’est pas un cas isolé. Elle est le quotidien de plusieurs femmes sénégalaises qui, en l’absence d’un ex-mari, prennent seules en charge leurs enfants. Sur Facebook, elles se signalent, dans l’anonymat, à travers de tristes témoignages dans des groupes exclusivement réservés à des femmes. Si d’aucunes, en quête de soutiens, racontent leur calvaire, d’autres se vantent d’avoir traversé le désert, seules, en assurant une éducation exemplaire à leurs enfants. ‘’Courage aux femmes qui sont obligées de jouer aussi le rôle du père. Croyez-moi, un jour, vos enfants essuieront vos larmes’’, avait posté une dame dans un groupe de femmes, en guise de réconfort.

D’après les juristes, ces femmes sont dans ce qu’on appelle ‘’une famille monoparentale’’.  Au Sénégal, ces femmes ont décidé de se battre pour que leurs enfants aient un minimum de bien-être. C’est le cas de Bineta Diallo, la maman d’une jeune fille de 15 ans. Elle l’élève seule, depuis sa naissance. Elle, au moins, a un salaire net qu’elle perçoit tous les mois. La quarantaine bien sonnée, Bineta est enseignante.

 ‘’Je n’ai pas demandé à naitre. Le jour qu’on t’annoncera ma mort…’’ 

Dans cette matinée du 27 février, Bineta Diallo nous reçoit dans l’école où elle sert. Son syndicat est en débrayage et elle a suivi le mot d’ordre. Dans une robe en tissu voile de couleur blanche aux motifs multicolores, un large sourire aux lèvres, elle explique fièrement à ses collègues la raison de notre visite. ‘’Elle est venue pour un entretien dans le cadre du 8 Mars. C’est pour parler du statut des femmes-mères, femmes-pères’’, lance-t-elle sur un ton taquin. Dans le bureau de la directrice où elle nous invite, Mme Diallo est très à l’aise pour revenir sur son histoire.

Si Aida Faye pose surtout le problème financier, Bineta est, quant à elle, plus préoccupée par la présence d’une autorité masculine pour l’éducation de sa fille. 

‘’Le père a plus de rigueur dans l’éducation, alors qu’entre la mère et l’enfant, il y a de la complicité et de la compassion. Les femmes sont dociles.  Au plan financier, je n’ai pas de problème, même s’il faut reconnaître quand même que, quand on est deux, il est plus facile de joindre les deux bouts. Je suis obligée de me sacrifier pour faire plaisir à ma fille et la mettre à l’abri du besoin. Une manière pour moi de l’aider à ne pas ressentir l’absence de son père’’, confie-t-elle.

Mais l’argent ne peut nullement remplacer l’affection d’un père. Malgré tous les efforts de Bineta, sa fille paraît être en manque de quelque chose. ‘’C’est à travers ses comportements que je peux lire sa tristesse. Elle essaye peut-être de m’épargner ses états émotionnels, mais c’est perceptible’’, se désole l’institutrice au teint clair.

Pis, dit-elle, la jeune fille envoie quelquefois des messages pas des plus gentils à son père pour se plaindre de cette distance. Ce dernier, dit-elle, n’appelle même pas pour prendre de ses nouvelles. ‘’Sa fille lui envoie des messages, des fois, pour se plaindre. Elle lui dit : «Pourtant, je n’ai pas demandé à naitre. Je suis sûre que mes frères sont dans de bonnes conditions. Est-ce que tu te soucies de mon existence ? On risque de t’appeler un jour pour te dire que ta fille est morte et là tu ne sauras pas quoi dire», raconte la maman désespérée par l’attitude de sa fille.

Face à cette situation, le papa rejette la faute sur son ex-femme qu’elle soupçonne de monter sa fille contre lui. Après son divorce, Bineta Diallo n’a pas voulu aller au tribunal pour faire au moins bénéficier à sa fille d’une pension alimentaire. Elle ne voulait compter que sur elle-même. Seulement, la mère de famille ne pensait pas que son ex-mari allait définitivement tourner le dos à sa fille, qui n’a jamais connu l’amour d’un père. 

Mery Badiane : ‘’Je sens qu’il lui manque quelque chose que je ne peux lui donner’’

Il en est de même pour les deux jeunes garçons de Mery Badiane. Le plus âgé a 14 ans et l’autre 11 ans. Ce dernier ne connaît pas son père qui pourtant vit à Dakar comme lui. Le père étant absent depuis sa naissance, il n’appelle que de très rares fois. Mery croit que son ex-mari lui en veut, parce qu’il ne voulait pas divorcer, mais ne comprend pas qu’il tourne le dos à ses fils.

‘’Je vis avec mes enfants chez ma mère. Mon père étant décédé, il n’y a pas de figure paternelle à la maison. Il n’est pas facile, pour une femme, de devoir éduquer seule deux garçons. Mais j’y arrive tant bien que mal. Quand j’ai des problèmes, des fois, pour les corriger, j’appelle mon frère. Ils l’écoutent et font ce qu’il leur demande souvent’’, partage-t-elle. ‘’J’ai une chance que beaucoup de femmes vivant dans des familles monoparentales n’ont pas. J’ai pu avoir, avant mon divorce, la puissance maternelle. Je suis celle qui, légalement, décide de tout pour mes enfants. S’ils doivent voyager ou avoir un passeport, je n’ai pas besoin d’aller voir le père. C’est moi qui leur donne les autorisations’’, se réjouit-elle.

‘’Mon seul problème, aujourd’hui, et que je ne peux résoudre, est cette affection qui leur manque. Je remarque souvent que le plus petit de mes deux fils semble absent. Même son maître à l’école l’a remarqué. Je sens qu’il lui manque quelque chose que je ne peux lui donner, mais je n’y peux rien’’, se désole-t-elle.

Lors du divorce, devant le juge, elle n’a pas voulu d’une pension alimentaire pour ses enfants. Malgré tout, le juge a décidé d’une somme que le père devait verser. Jusque-là, l’ex-époux de Mery Badiane ne s’en est jamais acquitté.

Qu’elle s’appelle Aida, Bineta, Mery ou autre, le plus important, pour ces femmes qui élèvent des enfants dans la monoparentalité, est leur bien-être. Elles disent s’acquitter de leur devoir sans s’occuper du reste. Les pères fuyards, le tribunal de l’histoire jugera leur comportement. Elles appréhendent l’avenir différemment, mais restent toutes marquées par leur vécu.

‘’Je prendrai ma revanche’’

L’on se demande où sont les familles de ces pères déserteurs. Bineta Diallo considère que la famille de son ex-mari est complice des agissements de ce dernier. ‘’Le jour où ma fille devra se marier, je prendrai ma revanche sur sa famille paternelle qui devait être là, en l’absence du père. Elle saura que j’ai été seule à prendre soin d’elle’’, promet-elle.

Mery Badiane, elle, attend juste que ses enfants grandissent et réussissent. ‘’C’est là que je prendrai ma revanche. Leur père et sa famille sauront que, dans la vie, il faut toujours penser à ce qui va arriver demain. Je suis certaine qu’un jour, ils voudront renouer avec ses enfants qu’ils ignorent aujourd’hui’’.

Pendant ce temps, Aida Faye a choisi de mettre une croix sur tous les hommes. Son vécu ne l’encourage guère à contracter un nouveau mariage. Elle a été déçue et touchée dans son amour-propre. ‘’Je ne vais pas souffrir dans mon coin. J’ai choisi plutôt de continuer à vivre et à travailler pour mes enfants. Je considère que cela faisait partie de mon destin et qu’il me fallait le vivre’’, relativise la jeune dame, le sourire au coin.

Mais comme dit le slameur français Grand Corps Malade dans un de ses morceaux contenu dans son album ‘’Enfants de la ville’’, ‘’Pères et mères’’ : ‘’Il y a des pères nuls et des mères extra. Or, dix mères ne valent pas un père.’’

Ainsi, la présence d’un père est importante. Mais, quoi qu’il en soit, ‘’si la mère tue l’amertume, la magie s’éveille’’, assure Grand Corps Malade.

HABIBATOU TRAORE 

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