Publié le 26 Jan 2020 - 22:28
STRATEGIE DE ‘’PROTECTION’’ ET DE SOLUTIONS POUR LES REFUGIES ET DEMANDEURS D’ASILE

67 % des réfugiés veulent obtenir la nationalité sénégalaise, selon le HCR

 

D’après le recensement pour la naturalisation ou le rapatriement des réfugiés mauritaniens déclenché depuis 2017, 67 % d’entre eux ont fait part de leur souhait d’obtenir la nationalité sénégalaise, 24 % optent pour un permis de séjour et 1,5 % veulent rentrer en Mauritanie. C’est ce qu’a révélé le porte-parole pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), Romain Desclous, dans un entretien avec ‘’EnQuête’’.

 

Depuis 2017, le gouvernement du Sénégal, avec l’appui du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), a élaboré une stratégie pluriannuelle et multipartenaire de ‘’protection’’ et de solutions pour les réfugiés et demandeurs d’asile vivant sur son territoire. Cette stratégie est axée sur la recherche de solutions ‘’durables’’, à travers le rapatriement volontaire ou l’intégration locale (naturalisation ou permis de séjour). Le budget global pour cette politique est de 5 254 256 dollars US, soit 3,1 milliards de francs CFA, sur 3 ans. Cette stratégie a été validée en janvier 2019, selon le porte-parole pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Elle a été présentée aux bailleurs de fonds et sa mise en œuvre a commencé.

Lors du dernier exercice de vérification mené avec les autorités sénégalaises afin de confirmer la présence des réfugiés, une enquête a été faite auprès de ces derniers, afin d’identifier la solution durable souhaitée. ‘’1,5 % des réfugiés mauritaniens ont fait part de leur souhait de rentrer en Mauritanie. Le HCR travaille actuellement à réunir les conditions de leur rapatriement, en coopération avec les autorités mauritaniennes. Et 67 % ont fait part de leur souhait d’obtenir la nationalité sénégalaise, là où 24 % souhaitent opter pour un permis de séjour’’, informe Romain Desclous dans un entretien avec ‘’EnQuête’’.

M. Desclous qui est, par ailleurs, administrateur principal en charge de la communication du Bureau régional du HCR à Dakar, indique qu’entre 2008 et 2012, 25 000 réfugiés mauritaniens ont été rapatriés. Ceci, sur la base d’un accord tripartite entre le HCR et les gouvernements du Sénégal et de la Mauritanie. ‘’Cette phase a été clôturée en 2012. Concernant la naturalisation, le gouvernement du Sénégal a donné son accord pour accorder la nationalité à tout réfugié qui le souhaite et remplissant les conditions. Ce processus a déjà commencé et 8 réfugiés ont, à ce jour, obtenu leur nationalité sénégalaise. Une centaine de dossiers sont en instance de traitement’’, dit-il. D’après lui, tout retour volontaire doit se faire de manière ‘’informée, dans la sécurité et la dignité’’, en collaboration avec les autorités du pays d’origine.

Pas de nouvel accord de la part des autorités mauritaniennes

Cependant, depuis la fin de l’opération précédente de rapatriement volontaire à laquelle 25 000 réfugiés ont pris part, M. Desclous signale qu’ils n’ont pas de nouvel accord de la part des autorités mauritaniennes. Or, il souligne que 14 120 Mauritaniens sont, actuellement, réfugiés au Sénégal. Toutefois, le responsable de la communication du HCR nie l’existence de camps de réfugiés. ‘’Il n’y a pas de camps de réfugiés au Sénégal. Ces réfugiés sont globalement bien intégrés au sein de la population sénégalaise : ils vivent dans les mêmes localités, développent les mêmes activités que la population locale et contribuent au développement des communautés qui les accueillent. Ils bénéficient du même accès à la terre ainsi qu’aux services sociaux de base (éducation, santé, etc.) que la population nationale’’, défend-il. Avant d’ajouter que parmi ces réfugiés, 13 604 vivent dans la vallée, dans 244 sites, entre Saint-Louis et Bakel. Les autres 543 vivent en milieu urbain, principalement à Dakar, Thiès et Saint-Louis.

A propos des statistiques, il convient de noter que le chargé de projets dans la vallée de l’Office africain pour le développement et la coopération (Ofadec), Mamadou Ba, a relevé, dans un autre entretien, que, sur ces réfugiés au nombre de 14 114, 13 604 vivent dans la vallée, dans les départements de Dagana (1 050), Podor (5 408), Matam (1 953), Kanel (3 858), Bakel (1 335) et Thiès (510). Que 5 379 réfugiés âgés de 16 ans et plus ont opté pour la naturalisation et 239 pour rentrer en Mauritanie.

Concernant la rupture dans la fourniture de vivres ou de ravitaillements aux réfugiés, M. Desclous précise que l’assistance directe, telle que la distribution de vivres, est habituellement donnée aux réfugiés pendant la phase d’urgence. Ce qui correspond aux cinq premières années après leur l’arrivée. Et cette assistance directe aux réfugiés mauritaniens a pris fin en 1998. ‘’Et eux-mêmes reconnaissent avoir été bien assistés pendant cette phase. Au-delà de cette phase d’urgence, l’appui se fait en vue d’assurer l’autonomisation des réfugiés par des activités génératrices de revenus. Dans ce cadre, de nombreux projets ont été financés dans la vallée : des projets rizicoles ont ainsi été mis en œuvre, bénéficiant de l’aménagement de périmètres, l’achat de motopompes ou d’équipements, de semences… Des projets maraichers ont également été financés pour les femmes, des écoles, des dispensaires, etc.’’, affirme-t-il.

22 périmètres rizicoles réalisés depuis 2010

Ainsi, M. Ba a rapporté qu’au cours de la période 2010-2019, l’Ofadec a appuyé plusieurs activités dans beaucoup de secteurs. Pour la riziculture, 22 périmètres ont été réalisés, avec un appui en aménagement, en dotation de motopompes et d’intrants. Certains de ces périmètres ont bénéficié de magasins de stockage. Mais aussi la dotation de 22 équipements de transformation à des groupements de producteurs et de transformateurs. ‘’Pour le maraichage, il y a eu un appui à la création de 14 périmètres maraîchers. Dans l’artisanat, 45 artisans appuyés en équipements de démarrage ou en renforcement de moyens pour le microcrédit, 31 groupements ont été appuyés pour le démarrage de crédit revolving. Concernant la santé, on a construit et équipé 8 structures’’, liste-t-il.

Dans le domaine de l’éducation, 15 salles de classe ont été bâties ou réhabilitées et pour l’hydraulique, ajoute-t-il, 16 fonçages de puits et d’adductions d’eau installés. ‘’L’ensemble de ces activités et interventions mérite d’être partagé avec les services de l’Etat et les collectivités locales pour une intégration et capitalisation des réalisations. (…) Les appuis sont octroyés en fonction de la contribution des donateurs. Moins il y a de fonds, moins il y a d’appui. En outre, les réfugiés mauritaniens ayant fait déjà 30 ans au Sénégal sont considérés comme des exilés de longue durée. Les donateurs et le HCR privilégient les nouveaux réfugiés dont la précarité est plus aigüe’’, renchérit Mamadou Ba.

Par ailleurs, l’administrateur principal en charge de la communication du HCR confie que les réfugiés continuent de ‘’bénéficier’’ d’un appui pour l’accès à la santé et à l’éducation. Ceci, à travers le renforcement des services de santé dans les zones qui les accueillent. ‘’Dans le cadre du plan stratégique validé par le gouvernement sénégalais, les réfugiés pourront accéder aux mêmes services que ceux offerts à la population, à savoir l’assurance santé (Couverture maladie universelle), allocations familiales, accès au travail, au crédit, etc. ‘’, atteste-t-il.

Sur le plan social, M. Desclous admet que la méconnaissance de cette carte, par certains services de l’Etat ou des acteurs du secteur privé, s’est effectivement posée.

Mais, assure-t-il, ‘’des efforts sont menés’’ pour sensibiliser ces interlocuteurs quant à la reconnaissance de ce document d’identité et son acceptation pour les démarches administratives ou autres. ‘’Une circulaire du ministère de l’Intérieur, envoyée à tous ses services déconcentrés, demande ainsi l’acceptation de la carte de réfugié au même titre que la carte nationale d’identité sénégalaise. Le directeur national de la BCEAO en a fait de même avec les établissements financiers.

Par ailleurs, le Comité national chargé de la gestion des réfugiés, rapatriés et personnes déplacées (CNRRPD) intervient à la demande du HCR, chaque fois qu’un réfugié est confronté à la non reconnaissance de sa carte’’, dit le responsable onusien.

Aujourd’hui, le porte-parole pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre du HCR pense que le principal défi est celui de la ‘’mise en œuvre effective’’ des options de solutions durables choisies par les réfugiés eux-mêmes. Il s’agit notamment d’assurer le rapatriement, pour ceux qui veulent rentrer en Mauritanie ou d’intégrer localement ceux qui ont choisi de rester au Sénégal. Un autre challenge est celui de la documentation, notamment la question des passeports des réfugiés qui, jusqu’à ce jour, ne sont pas encore disponibles. Cependant, Romain Desclous fait savoir que les discussions sont en cours pour commencer la production de ces documents par les autorités sénégalaises. Même si la reconnaissance des papiers ou des cartes de réfugiés au Sénégal pose toujours problème.

TEMOIGNAGE DE FATOU SEYE, LA CINQUANTAINE

 ‘‘Les hommes en tenue nous ont regroupés sous des arbres, en proférant des insultes’’

La cinquantaine révolue, Fatou Sèye habite à Thiabakh. Sa hutte est installée de l’autre côté de la concession de Hamet Dia. Habillée d’un grand boubou, un voile à la main, son mouchoir de tête bien attaché, elle se dirige lentement vers la cour. Interpelée sur la crise et leur arrivée au Sénégal, cette vieille dame se confie : ‘’On a vécu beaucoup d’atrocités, d’animosités à la limite. Mais nous rendons grâce à Dieu et nous nous remettons à Lui en tant que croyants. C’est difficile, quand on s’est sacrifié depuis tout jeune pour construire une maison, fonder une famille et que, du jour au lendemain, on est chassé de chez soi de la pire des manières. Ils ne nous ont même pas laissé le temps de ramasser nos sandales. Une fois sorti de la chambre, on ne nous laissait même plus le temps d’y retourner pour prendre nos affaires, même la plus petite chaussure.’’

Elle poursuit : ‘’Nous étions vraiment fatigués, c’était horrible. Mais, aujourd’hui, nous rendons grâce à Dieu, parce que nous avons survécu. Certaines personnes y ont laissé leur vie. Ma mère est décédée au Sénégal. Mon grand frère et mes deux sœurs sont aussi morts ici. Donc, nous devons rendre grâce à Dieu de nous avoir laissés en vie jusqu’à présent. Même si nous avons frôlé le pire’’, poursuit-elle.

La dame raconte qu’ils ont été regroupés sous des arbres, hommes et femmes. Les hommes en tenue qui les expulsaient leur ‘’proféraient des insultes’’. ‘’On est resté là-bas. Au bout d’un moment, des véhicules sont venus nous amener ici. Certains parmi nous n’avaient jamais mis les pieds au Sénégal. A cet instant, nous nous demandions où est-ce qu’ils allaient nous amener ? Comment allions-nous faire pour vivre ? Les enfants pleuraient et s’agrippaient à nos boubous. C’était vraiment horrible’’, témoigne la dame.

‘’Il arrive des jours où on n’a même pas de quoi manger, le soir’’

A l’instar de Hamet Dia, sa voisine est aussi désemparée. Car, dit-elle, les gens viennent souvent chez eux faire des recensements et leur promettre des financements. ‘’Mais après, on ne les revoit plus. C’est juste des paroles en l’air. Certains parmi nous ont réussi à se construire des toits en ciment et d’autres sont encore dans les huttes. Il arrive des jours où on n’a même pas de quoi manger, le soir. Mais on s’en remet au Tout-Puissant. Franchement, nous lui rendons grâce. Alhamdoulillah’’, conclut-elle.

Malgré cette détresse, la commune de Richard Toll compte un nombre important de ressortissants mauritaniens. On y dénombre six sites de recasement des réfugiés. Thiabakh regroupe 5 sites avec 287 personnes, d’après le recensement effectué par le président de la Coordination départementale des réfugiés de Dagana, en 2011. A la même période, le site de Richard Toll regroupait 34 réfugiés. Dans le département de Dagana, le président départemental a dénombré 24 sites de recasement.

MARIAMA DIÉMÉ

 

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