Publié le 7 Jul 2020 - 19:51
SUPPRESSION PRIMATURE

Le gouvernement sans berger

 

Mis à nu par la pandémie de Covid-19, le gouvernement du Sénégal se cherche, se contredit, ralentit… Comme un troupeau sans berger, il se perd dans le vaste champ des affaires publiques.

 

Il jouait au génie, il est plutôt échec. Lui, c’est Macky Sall. En supprimant le poste de Premier ministre au lendemain de sa réélection, il était peut-être loin de s’imaginer que son gouvernement pourrait se transformer en un véritable capharnaüm. Chaque ministre donnant l’impression d’en faire comme bon lui semble. Sachant que l’unique patron, débordé de dossiers les uns plus brûlants que les autres, ne saurait être toujours présent pour mettre la pression qu’il faut, corriger les possibles manques de coordination. Et c’est surtout de là que vient l’échec, selon nombre d’observateurs.

Député membre de la majorité, Théodore Chérif Monteil apprécie : ‘’En vérité, il n’y a plus de coordinateur. Prenons, par exemple, la gestion de la pandémie. Regardez le volet résilience sous ses différentes formes : résilience santé, résilience sociale, résilience économique… Avec un Premier ministre, il aurait pu tout coordonner. Le président de la République ne peut pas le faire. Ce qui se passe, c’est que chaque ministre tire de son côté. Et après, il faut un arbitrage du ministre des Finances. C’est un désordre absolu, à mon avis. La conséquence directe est le manque d’efficience total. Le coût risque d’être beaucoup plus exorbitant. Et le résultat moindre.’’  

Ainsi, le gouvernement est comme un grand troupeau sans berger. Pourtant, cette coordination semble indispensable pour une action efficace. Même s’il ne veut pas se hasarder dans des commentaires du fait de son devoir de réserve, Moubarack Lô revient sur les principes. ‘’Il faut savoir que dans l’organisation institutionnelle, plusieurs options sont possibles. Le plus important, c’est d’assurer la coordination interministérielle, d’avoir à tout moment une pression sur les ministres et d’avoir un bon suivi, une bonne évaluation’’, explique-t-il. Avant d’ajouter : ‘’Cela peut se faire au niveau de la primature, comme ça peut se faire au niveau de la présidence. Sous Abdou Diouf, quand le poste de PM a été supprimé, il y avait un secrétaire du Conseil des ministres qui jouait ce rôle. Comme son nom l’indique, il coordonnait l’activité des ministres.’’

Dans la nouvelle formule, d’aucuns croyaient que c’est le Secrétariat général du gouvernement qui assure cette mission. Mais, à en croire M. Lô, le SG assure une coordination administrative. ‘’C’est le président de la République qui est le patron direct des ministres. Le secrétariat assure une coordination administrative. C’est la coordination des textes, leur préparation... Maintenant, la coordination politique, c’est le chef de l’Etat. C’est donc à lui de veiller à ce que ça fonctionne’’. Mais celui-ci joue-t-il pleinement son rôle ? Moubarack Lô donne sa langue au chat. ‘’Ce n’est pas à moi d’en juger. C’est au président, qui a nommé les ministres, d’apprécier leur travail. De toute façon, ayant été lui-même Premier ministre, ensuite président de la République, il connait suffisamment la coordination ministérielle pour pouvoir apprécier ce qui se fait de bien et ce qu’il faut améliorer’’.

D’après le député Monteil, le retour du poste de PM s’impose, si le chef de l’Etat ne fait que suivre la raison. ‘’Ce système qu’on avait instauré pour accélérer s’est révélé être un ralentisseur de l’action du gouvernement. Je pense que le constat saute à l’œil. Sauf entêtement, je pense que le poste devrait revenir. Ou bien trouver un mécanisme pour assurer la coordination de l’action gouvernementale. Ce n’est pas le rôle du chef de l’Etat. Car, comme on dit, seuls les imbéciles ne changent pas’’.

A en croire le député, administrativement, le circuit était certes beaucoup plus long avec le PM. Mais, du point de vue de l’exécution, les choses allaient plus vite. ‘’La présence du Premier ministre facilitait beaucoup de choses. Aujourd’hui, il n’y a plus de coordonnateur. En fait, c’est le PR qui doit coordonner, mais vu son agenda, il est clair que beaucoup de choses ralentissent parce qu’il ne peut être partout à la fois’’.

En outre, renseigne le parlementaire, le chef de l’Etat, depuis la suppression, s’est retrouvé surexposé. ‘’Prenons deux exemples comparables : Petrotim et enquête de la BBC. Dans le premier, c’est Boun Dionne qui a fait un point de presse pour expliquer. Avec la BBC, c’est lui-même qui monte au créneau pour expliquer ce qui est présenté comme un scandale. Il a été doublement exposé. En plus de vouloir trouver des explications à un supposé scandale, il a aussi donné l’air d’un président qui prend la défense de son frère. Tout cela pouvait être évité, à mon avis’’.

Dernièrement, dans une de ses chroniques intitulée ‘’Le gouvernement est nu’’, le journaliste Madiambal Diagne constatait un échec cuisant de l’institution. Pour lui, la crise actuelle a révélé les faiblesses, carences, lacunes et autres dysfonctionnements dans l’action du gouvernement. Certes, il n’était nullement question de parler du poste de PM. Mais la coïncidence permet de faire le parallèle. ‘’Les ratés, disait le journaliste, sont nombreux. Et comme touchés par une malédiction, les ministres n’arrivent presque plus à faire les choses comme cela se devrait. A la vérité, ce gouvernement ne peut pas aller plus loin, au risque d’abîmer l’image du chef de l’Etat et de finir par compromettre tout ce que le président Macky Sall a eu à réussir dans sa gouvernance publique’’.

Par la même occasion, le patron du Groupe Avenir communications dénonçait, à l’instar de Monteil, un désordre total dans les différentes actions du gouvernement. Par exemple, au moment où le ministre de la Santé prêchait un discours alarmant sur la situation sanitaire, certains de ses homologues dont celui en charge de l’Education préparait une rentrée des classes, le ministre de l’Intérieur, un assouplissement des mesures restrictives.

MOR AMAR

Section: