Publié le 6 Feb 2020 - 02:48
THIES ET DIOURBEL - CRISE DE L’EAU EN MILIEU RURAL

Haro sur Aquatech

 

Dans les régions de Diourbel et de Thiès, l’Etat a pris l’option de recourir à la contractualisation, avec des délégations du service public, en lieu et place des associations des usagers de forages (Asufor) pour permettre un accès à l’eau potable. La réforme avait pour but de corriger les manquements de ces Asufor. Mais avec Aquatech, les populations déchantent. Les maires demandent au ministre de l’Eau et de l’Assainissement de résilier le contrat de l’opérateur choisi pour gérer les régions de Thiès et de Diourbel.

 

‘’Monsieur le Ministre, aidez-nous. Aquatech est la cause de tous nos maux au niveau de la région. Tu ne peux pas signer des contrats et, depuis lors, ne plus poser les pieds dans ces localités. Chaque fin du mois, tu récupères l’argent. Il n’y a pas d’investissement, pas d’adduction d’eau, encore moins d’entretien des réservoirs. Aquatech porte préjudice aux populations. Il n’y a pas de contrôle de l’eau’’. C’est en ces termes que le maire de Tocky Gare, une collectivité territoriale du département de Diourbel, s’est adressé au ministre des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement du territoire.

Plus caustique que son collègue de Tocky Gare, Mbaye Tine, édile de la commune de Taïf, dans le département de Mbacké, a martelé : ‘’Depuis l’arrivée d’Aquatech, les populations rencontrent d’énormes difficultés. Avant son arrivée, le mètre cube d’eau coûtait 175, voire 200 F au maximum. Présentement, il faut débourser 250 F pour le mètre cube. Pour les branchements particuliers, il fallait débourser entre 2 000 F et 2 500 F. Aujourd’hui, on exige 93 000 F. Et il faut payer à Diourbel au niveau de leur service régional. Avant la venue d’Aquatech, on n’avait aucun problème pour avoir accès au liquide précieux, parce que l’eau était en abondance. Aujourd’hui, les forages fonctionnent 5 jours sur 7, voire 4 jours sur 7.’’

Mbaye Tine de poursuivre : ‘’Ni le maire, ni les chefs de village, ni les chefs religieux, encore moins les populations n’ont accès à la gestion du forage. Des forages qui ne sont pas gérés par Aquatech se portent mieux. Leurs Asufor assurent l’essentiel. Aujourd’hui, tous les forages qui sont gérés par Aquatech, aussi bien les populations desservies, les maires, les chefs religieux rencontrent des difficultés pour avoir accès à l’eau. Or, l’accès à l’eau, c’est élémentaire, c’est un droit universel. Cette politique d’équité sociale est en train d’être plombée par Aquatech qui nous prive d’eau. Nous n’avons plus accès à l’eau, ni en qualité ni en quantité. Il y a un an et demi, le gestionnaire avait fait des promesses qu’il n’a pas respectées à ce jour. Le monde rural est considéré comme une vache laitière.’’

Pour toutes ces raisons, l’élu local demande la résiliation du contrat.

‘’Aquatech égal problème à Mbacké’’

 ‘’Quand une réforme est instaurée, c’est pour soulager les populations. Mais celle-ci est venue pour faire souffrir les populations. Nous réclamons la résiliation du contrat entre Aquatech et le ministère de l’Eau et qu’on retourne à l’état initial, à savoir les Asufor. Mais en les réformant, parce que l’eau n’est pas une compétence transférée, en y associant les maires, les autorités administratives et les représentants des populations. Aquatech a interdit les branchements et a fait zéro investissement. Aquatech égal problème à Mbacké. Il n’a fait que créer des problèmes au lieu de les régler’’.

A sa suite, Baboucar Ndiaye, édile de Ngogom, dans le département de Bambey, a cloué au pilori cette réforme. ‘’La réforme nous a causé beaucoup de préjudices. L’Etat doit prendre ses responsabilités et évaluer le travail d’Aquatech. Il faut que l’Etat arrête cette réforme qui ne fait que régresser les régions de Diourbel et de Thiès’’.

Aujourd’hui, le constat est que la réforme est ‘’un échec total". En atteste les marches, les sit-in, les refus des populations de payer les factures. A l’unisson, ils demandent à l’Etat, à travers le ministère de l’Eau et de l’Assainissement, ‘’de dégager en urgence de nouvelles perspectives pour une meilleure gestion de la distribution de l'eau au Sénégal’’. C’est parce que l’opérateur Aquatech n’a rien respecté sur le contrat qui le lie à l’Etat. Il s’agit principalement d’assurer une disponibilité constante et une qualité éprouvée de l’eau en milieu rural au meilleur prix avec une organisation moderne, performante, rentable et citoyenne.

Un tour effectué au niveau de certains forages permet de cerner le mal. ‘’Aquatech n’a tenu les promesses faites à l’Etat et aux populations. La nuit, il n’y a pas d’eau dans les forages contrôlés par cet opérateur. Ils encaissent l’argent et ne veulent pas investir. L’eau n’est pas en quantité et en qualité. Les châteaux d’eau ne sont pas entretenus depuis plus d’un an, alors que c’est le contraire qui se passait. Il n’y a pas de traitement de l’eau. L’Etat doit arrêter cette réforme qui a été faite sans l’avis des populations. C’est une dictature qui ne dit pas son nom. Refane, Gatt, Bambey Sérère ont refusé. Les populations sont déçues. Ndangalma avait marché contre Aquatech. On regrette les Asufor’’, confie Mbacké Faye de Ndangalma.

Actuellement, le forage de Ndangalma est à l’arrêt, depuis quelques jours. Les populations vont jusqu’à Gatt (distant d’environ 5 km) pour se ravitailler en eau. Dans la commune de Ndindy, 12 villages sont privés d’eau, parce que la pression n’est pas bonne. Dans la commune de Pattar sise dans l’arrondissement de Ndoulo du département de Diourbel, depuis deux mois, les compteurs ne sont pas relevés. La raison est toute simple : l’opérateur privé Aquatech propose aux releveurs 50 F par compteur relevé et 50 F lorsque la facture est déposée à son siège à Diourbel. Ce qui fait 100 F pour le compteur, là où ils percevaient un forfait de 20 000 F avec les Asufor. Les présidents des GIE ont refusé de remettre aussi à Aquatech les index des compteurs.

Face à cet imbroglio, l’ancien préfet de Bambey, Mor Talla Tine, et son collègue de Mbacké, Mactar Diop, ont tenté de réconcilier les deux parties : populations représentées par les maires et l’opérateur privé.

D’ailleurs, le préfet de Mbacké a convoqué dernièrement un comité départemental de développement (CDD) consacré au problème de l’eau dans le monde rural. Il envisage la mise en place d’un cadre de concertation et de suivi qui sera mis en place dans chaque arrondissement, pour un suivi de proximité. Pour l’Exécutif départemental, ‘’les populations rurales vivent des situations criardes. Il y a plusieurs manquements notés, notamment la lenteur dans la prise en charge des problèmes des pannes de forage, le problème de la facturation, des branchements, les rapports avec les GIE, la remise à niveau du parc des forages’’. 

Le groupement Aquatech/Munif Group (entreprise canadienne et sénégalaise) a signé le contrat d’affermage avec l’Ofor, le 10 mars 2016, pour l’approvisionnement en eau potable de plus de 2 000 000 de populations en zone rurale des régions de Thiès et de Diourbel.

PAPE BAYE DIOP, DIRECTEUR AQUATECH SENEGAL 

‘’Il y a des manquements de la part d’Aquatech’’ 

 ‘’Aucun forage du département de Mbacké n’est à l’arrêt. C’est vrai qu’il y a des problèmes par rapport à certains villages où sites qui sont éloignés, mais ce sont des problèmes qui existaient, il y a plusieurs années. Et du jour au lendemain, cela ne se réglera pas. Les forages marchent et il faut une remise à niveau pour que l’eau soit disponible pour toutes les populations du département de Mbacké. Dire qu’on n’a pas d’interlocuteur à Aquatech, je trouve cela un peu gros, parce que le siège est installé à Thiès et nous avons un bureau à Diourbel. Je trouve un peu bizarre qu’on dise qu’il n’y a pas de répondant. Les forages sont vieux et sont dans un état de dégradation avancée. Ils datent de 20, voire 40 ans. Maintenant, il y a un programme de remise à niveau qui devait être fait. Cela réglé, on pourra passer à une phase beaucoup plus productive en termes de volume d’eau’’, déclare le directeur général d’Aquatech.

Pape Baye Diop de confesser : ‘’C’est vrai qu’il y a des manquements de la part d’Aquatech. Il y a des ratés à l’allumage. On est en train de rectifier tout cela. On s’est réuni avec le ministre à Diamniadio. On a pris des engagements qu’on a continué à réitérer devant le préfet. L’important, c’est de respecter les engagements. Il y a 2 200 forages au Sénégal. Sur les forages que nous gérons, 95 % sont fonctionnels.’’

Aux maires et usagers qui réclament le départ de sa structure, il répond : ‘’Demander le départ… Il fut une période où les gens refusaient qu’on installe des compteurs d’eau chez eux. Ils s’armaient même de bâton, de machette pour refuser les compteurs. Actuellement, c’est le contraire. C’est eux-mêmes qui se battent pour qu’on leur installe des compteurs. Notre départ n’est pas acté par leur récrimination. Notre départ sera acté éventuellement par ceux-là qui nous ont installés ici. Nos engagements, c’est de mettre l’eau à la disposition des populations en quantité suffisante et en qualité. Il faut le paiement des factures de l’électricité, l’approvisionnement du carburant, la mise en solaire de quelques sites. Le prix est fixé par l’Etat. C’est un arrêté interministériel pour tout le Sénégal.’’

‘’Les forages sont vétustes’’

Le directeur général d’Aquatech s’inscrit en faux contre les critiques sur les investissements réalisés par son entreprise. ‘’Le niveau d’engagement est excessif. Il y a eu énormément de dépannages qui ont été faits et les remplacements de pompes qui coûtent entre 1,5 et 6 millions. Depuis avril 2018, Aquatech a investi beaucoup d’argent. L’important, ce n’est pas d’évaluer ce montant d’investissement, parce que quand on prenait les forages, on savait qu’il y aurait une période de transition où les forages ne seraient pas rentables. Pour qu’un forage soit rentable, il faut qu’il passe au solaire. Mais tant que vous payez une facture d’électricité ou bien vous fournissez du carburant à 95 %, c’est certain, vous ne pouvez pas avoir de rentabilité’’, dit-il.

‘’Ce programme de solarisation, on va y arriver. Le niveau d’investissement, je vous l’assure, est au-delà de nos prévisions. Le contrat d’affermage, c’est pour une durée de 10 ans. Il y a la volonté des bailleurs de fonds d’injecter de l’argent, mais en exigeant que la réforme soit exécutée. La Banque africaine de développement (Bad) a été la plus réactive, en mettant 27 milliards pour la remise à niveau des forages de la zone Centre constituée des régions de Kaolack, Kaffrine, Thiès, Fatick et Diourbel. Il se trouve que Diourbel et Thiès ont été les plus réactives’’.

Sur le début de remise à niveau des forages et leur situation, Pape Baye Diop confie : ‘’La remise à niveau va commencer incessamment. L’Etat devra prendre ses responsabilités et utiliser d’autres voies que la négociation pour contrôler ces forages. Les forages sont vétustes. Nous sommes dans une situation de changement. Il faut remettre à neuf pour partir sur une période de dix ans. Il va falloir améliorer la qualité de l’eau. D’où le prix de 250 F le mètre cube. C’est un prix raisonnable. Il se pourrait que ce prix soit revu à la baisse. Tous les 2 000 forages doivent être remis à niveau.’’

BOUCAR ALIOU DIALLO (DIOURBEL) 

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