Publié le 26 Mar 2020 - 00:32
TRAITEMENT COVID-19 PAR LA CHLOROQUINE

Les scientifiques à couteaux tirés

 

C’est la molécule dont on parle dans le monde entier. Depuis une étude réalisée par le médecin marseillais Didier Raoult, la chloroquine et son dérivé, l’hydroxychloroquine, représentent un espoir de traitement contre le coronavirus. Mais les zones d’ombre et les points d’interrogation sont encore très nombreux.

 

Elle est au cœur de toutes les attentions. La chloroquine, molécule principalement utilisée dans les traitements contre le paludisme, apparaît comme une voie vers un traitement potentiel de la maladie Covid-19. En France, un médecin marseillais, le professeur Didier Raoult, estime que ses travaux autour de la chloroquine sont concluants et qu’il serait "immoral" de ne pas l’administrer aux malades. La chloroquine, commercialisée sous le nom de nivaquine, est un vieux médicament utilisé depuis 70 ans.

‘’Ce médicament est principalement utilisé dans le traitement préventif et le traitement curatif du paludisme’’, précise le professeur Daouda Ndiaye, Chef du Service de parasitologie de l’hôpital Aristide Le Dantec. L’un des avantages de cette molécule, c’est qu’elle est bon marché ; la molécule étant tombée dans le domaine public. C’est ce qu’a pointé le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, ce lundi sur France Inter. Selon la base de données publiques des médicaments, 10 plaquettes de 10 comprimés de nivaquine coûteraient 5,57 euros, soit environ 5 centimes le comprimé. Le professeur Didier Raoult a mené un essai clinique au sein de l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille qu’il dirige, sur 26 patients.

Sur ces 26 patients, 6 n’ont pas pu suivre l’essai jusqu’au bout et au final, les résultats portent donc sur 20 malades âgés de 12 ans et plus, en parallèle d’un groupe témoin constitué de patients de Nice, d’Avignon et de Briançon. Six jours après avoir administré de l’hydroxychloroquine à raison de 600 mg/jour, soit moins que ce que les Chinois ont administré à des patients atteints de la Covid-19, seulement 25 % d’entre eux étaient encore porteurs du virus. Alors que 90 % de ceux qui n’avaient pas reçu ce traitement étaient toujours positifs, selon lui. Si on ajoute un antibiotique, de l’azythromocine, alors la charge virale disparaît dans ce même laps de temps.

Au vu de la crise sanitaire, ces résultats ont conduit Didier Raoult à juger "immoral" de ne pas administrer la chloroquine aux malades du coronavirus, "à partir du moment où l’on a montré qu’un traitement était efficace. Quand vous avez un traitement qui marche contre zéro autre traitement disponible, c’est ce traitement qui devrait devenir la référence. Et c’est ma liberté de prescription en tant que médecin. On n’a pas à obéir aux injonctions de l’État pour traiter les malades", poursuit le médecin dans les colonnes du ‘’Parisien’’.

‘’C’est une piste très sérieuse’’

Cependant, la méthodologie de l’essai mené par Didier Raoult a été critiquée, notamment par le biologiste moléculaire Olivier Belli. Sur son blog, il pointe du doigt le faible nombre de patients testés et l’exclusion de certains malades, avant la fin de l’étude, "alors que leur cas suggère clairement un échec du traitement". Il accuse ainsi le médecin marseillais d’avoir "propagé des graphistes sensationnalistes sur sa découverte, ne prenant en fait en compte que 4 patients du groupe contrôlé et laissant arbitrairement les autres de côté".

Mais l’ancien ministre de la Santé et de l’Action sociale du Sénégal, Professeur Awa Marie Coll Seck, indique qu’il faut prendre très au sérieux la piste de la chloroquine présentée par le professeur Didier Raoult, spécialiste des maladies infectieuses à Marseille (France). "Je ne peux pas dire que la chloroquine est un remède contre la Covid-19. Mais le professeur qui l’a présentée est assez outillé pour le dire. Je pense qu’il a de l’expérience et il faut prendre au sérieux ce qu’il dit. C’est une piste sérieuse", a-t-elle dit sur la TFM.

Une étude chinoise, publiée le 19 février dernier, porte sur un essai clinique mené dans une dizaine d’hôpitaux chinois pour mesurer "l’efficacité de la chloroquine sur le traitement de pneumonies associées à la Covid-19". Elle a donné des résultats encourageants avec des essais sur "plus de 100 patients" sans qu’on ne connaisse néanmoins les détails sur le profil des patients.

D’après les scientifiques auteurs de l’étude, le phosphate de chloroquine s’est révélé "plus efficace que le traitement reçu par le groupe comparatif pour contenir l’évolution de la pneumonie, pour améliorer l’état des poumons, pour que le patient redevienne négatif au virus et pour raccourcir la durée de la maladie". Cette étude - très succincte - a été publiée dans la revue ‘’BioScience Trends’’ de façon préliminaire, c’est-à-dire sans avoir été validée par un comité d’experts scientifiques. De plus, elle ne donne pas de chiffres permettant de quantifier l’efficacité de la molécule par rapport au traitement administré au groupe témoin.

‘’Il faut que les gens sachent raison garder et qu’on ait réellement des soubassements scientifiques’’

Mais pour le professeur Daouda Ndiaye, c’est vrai que la Chine dit qu’elle a utilisé de la chloroquine. Mais elle n’a jamais dit que la chloroquine a tué le virus. Parce qu’au niveau de l’homme, jusqu’à présent, il n’y a pas de preuves formelles. ‘’Effectivement, la chloroquine a beaucoup aidé dans la prise en charge. Mais est-ce qu’on peut aller jusqu’à dire que la chloroquine est le médicament pour tuer le virus ou pour la prévention ? Ça, c’est aller très loin. Pour le moment, ce sont des essais cliniques qu’ils ont faits’’, précise-t-il.

Selon lui, un essai clinique demande des dispositions, des bras pour cela. Il faut également avoir une étude comparative. C’est-à-dire entre ceux qui ont été traités par la chloroquine, ceux qui ne l’ont pas été et ceux qui n’ont pas reçu de médicament. Ceux-là, on les appelle les placébos. ‘’Ce qui est clair, c’est que la chloroquine n’est pas un médicament utilisé pour la prévention et on n’a pas prouvé de façon claire que la chloroquine peut tuer le virus. On le connaît très bien comme un antipaludique qui était là, mais qui, à un moment donné, a perdu son efficacité pour les problèmes de mutations génétiques du parasite’’.

Des essais cliniques probants sont en train d’être faits en complémentarité de ce qui a été fait en Chine. Mais il demande aux gens d’être très prudents quant au futur de cette chloroquine par rapport à ce coronavirus.

D’autres médecins ont également mis en garde contre le risque d’automédication lié à ces annonces, rappelant les effets indésirables de la molécule. Le Pr. Raoult lui-même insiste sur le besoin d’être suivi par un médecin. Invité de France Inter ce lundi, Philippe Juvin, Chef du Service des urgences à l’hôpital Georges Pompidou à Paris, a appelé à faire « très rapidement » la lumière sur l’efficacité de la chloroquine face à la Covid-19. "Le véritable sujet, c’est qu’on n’a pas de traitement contre cette maladie", a-t-il souligné, avant d’appeler à une production massive du produit, dès maintenant.

Pour le professeur de physiologie à la faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Onto-Stomatologie, Aminata Sall Diallo, il n’y a aucune preuve scientifique, à ce jour, qui montre que la chloroquine guérit. ‘’Il y a eu un essai qui s’est déroulé à Marseille où on a utilisé la chloroquine pour traiter, entre guillemets, certains malades. Et on a utilisé une association d’hydroxy chloroquine et d’azithromycine. Mais on parle d’essai clinique. Il faut que les gens comprennent que ce n’est pas des malades qu’on a guéris avec la chloroquine. C’est encore pire pour des gens qui n’ont pas été diagnostiqués positifs d’aller se ruer vers la chloroquine. Le Sénégal a eu une chloroquino-résistance qui a fait que nous avons été, à un moment donné, obligé d’abandonner la chloroquine pour aller vers l’Artemisinin-based Combination Therapy Lartimisieme (ACT)’’, explique-t-elle.

Elle appelle, en outre, les gens à la prudence. ‘’Il faut que les gens sachent raison garder et qu’on ait réellement des soubassements scientifiques, avant de nous lancer dans des stratégies’’, conseille le chercheur.

Des médecins mettent en garde contre le risque d’automédication lié à ces annonces, rappelant les effets indésirables de la molécule. "Il faut faire attention, car la chloroquine a un certain nombre d’effets indésirables : affections du système immunitaire, affections gastro-intestinales, nausées, vomissements, des troubles au niveau hépatique, voire hématologique", juge la coordinatrice du Programme national de lutte contre les hépatites.

L’OMS condamne l’usage de médicaments sans preuve de leur efficacité

L’Organisation mondiale de la santé a mis en garde, ce lundi, contre les "faux espoirs" que peuvent susciter des médicaments non validés par la communauté scientifique.

VIVIANE DIATTA

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a condamné, ce lundi, l’administration de médicaments aux patients infectés par le nouveau coronavirus, avant que la communauté scientifique se soit accordée sur leur efficacité, mettant en garde contre les "faux espoirs" qu’ils pourraient susciter. ‘’Des études réduites et non randomisées, réalisées à partir d’observations, ne nous apporteront pas les réponses dont nous avons besoin", avertit le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Selon lui, administrer des médicaments non testés, sans la preuve suffisante, pourrait susciter de faux espoirs et même faire plus de mal que de bien, en entraînant des pénuries de médicaments essentiels pour traiter d’autres maladies, dit-il, sans toutefois mentionner de médicaments.

Au cours d’une conférence de presse virtuelle depuis Genève, le directeur général de l’OMS a fait savoir que la pandémie liée au coronavirus s’accélère, mais que sa trajectoire peut être modifiée. Il a fallu 67 jours pour atteindre les 100 000 cas, onze jours pour atteindre les 200 000 et seulement quatre jours pour atteindre les 300 000. Tedros Adhanom Ghebreyesus appelle ainsi les pays à passer à ‘’ l’attaque’’, en testant tous les cas et en plaçant en quarantaine leurs proches contacts. ‘’Plus de 300 000 cas de Covid-19 ont été signalés à ce jour. C’est déchirant‘’, dit-il, appelant tous les pays à la solidarité. Ce qui importe le plus, à son avis, c’est ce qu’ils font.

‘’On ne peut pas gagner un match de football uniquement en défendant. Il faut aussi attaquer. Demander aux gens de rester chez eux et établir d’autres mesures de distanciation physique est un moyen important de ralentir la progression du virus et de gagner du temps. Mais ce sont des mesures de défense qui ne nous aideront pas à gagner’’. Pour gagner, dit-il, "nous devons attaquer le virus avec des tactiques agressives et ciblées. Il faut tester chaque cas suspect, isoler et soigner chaque cas confirmé et suivre et mettre en quarantaine chaque contact étroit".

Cet avertissement intervient alors que ces derniers jours, certains, dont le président américain Donald Trump, la Chine ont fondé beaucoup d’espoir sur la chloroquine, un antipaludéen. En France également, plusieurs élus ont fait monter la pression pour généraliser rapidement l’utilisation de la chloroquine pour traiter le coronavirus, même si son efficacité est toujours en cours d’évaluation scientifique.

VIVIANE DIATTA

 

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