Publié le 22 Sep 2018 - 01:40
TRANSPORT EN COMMUN

Pas pour les femmes !

 

Les hommes sont assez catégoriques pour laisser la moindre chance à la gent féminine. Chauffeurs de cars ‘’Ndiaga Ndiaye’’, taximen et régulateurs de bus Tata disent la même chose : les femmes n’ont pas leur place dans le transport en commun.

REPORTAGE

A La gare routière de Petersen, l’ambiance est au paroxysme. Il est midi passé ! Le soleil est déjà au zénith. Dans ce brouhaha, chacun se dirige vers le moyen de transport devant le mener à sa destination.  Sous un abri en zinc, à côté de la mosquée de la gare, un groupe de vieux, assis sur des bancs en bois de sapin. C’est ici que se retrouvent les chauffeurs des taxis qui desservent les différentes localités de la capitale. Les marchandages entre clients et ‘’coxeur’’ (rabatteurs) vont bon train. Interpellés sur la percée des femmes dans le secteur du transport public, l’un d’eux réagit aussitôt, un large sourire au visage. ‘’Ma fille, ne te fatigue même pas. 

Les femmes ne peuvent pas résister dans le secteur du transport en commun. Ce travail est pénible. Il n’est pas fait pour elles’’, lance ce taximan sous couvert de l’anonymat. Notre interlocuteur est catégorique : pour lui, il y a certaines tâches qui ‘’ne doivent pas être faites’’ par les femmes. ‘’Elles ne doivent même pas être receveurs de Tata, parce que c’est risqué. Elles gardent d’importantes sommes d’argent et peuvent être agressées à n’importe quel moment. En réalité, le rôle de la femme, c’est de s’occuper de son foyer. Ce genre de travail peut briser leur ménage et ça n’en vaut pas la peine. Je pense qu’elles ne doivent même pas s’y aventurer’’, ajoute-t-il.

En fait, pour ce taximan, ancien chauffeur de la ligne 67 (Ouakam - Rufisque) des minibus Tata, les femmes ne sont pas assez tolérantes pour faire ce travail. ‘’C’est à cause des receveuses que j’ai arrêté de conduire les Tata. Elles sont indisciplinées. Elles ne savent pas comment s’adresser aux clients, ni aux chauffeurs. Elles n’ont rien à faire ici. Aujourd’hui, beaucoup de transporteurs ne veulent plus recruter des femmes, parce qu’elles ne créent que des problèmes’’, narre cet ancien chauffeur de car ‘’Ndiaga Ndiaye’’ et de minicar.

Assis à côté de lui, Mamadou Kébé, un autre taximan, prédit leur disparition sous peu dans le transport en commun. ‘’De la même manière qu’elles se sont retirées des taxis urbains peu de temps après les avoir intégrés, elles ne vont pas durer avec les bus Ddd (Dakar Dem Dikk). Il y a des choses qui ne sont pas faites pour les femmes. Il faut aussi qu’elles connaissent leur place’’, renchérit-il.

Sitôt ces mots prononcés que cet interlocuteur est interrompu par une dame qui attendait un taxi en partance pour Dior. ‘’Tant que les mentalités ne changent pas, les femmes n’occuperont jamais certains postes de responsabilité au Sénégal. Vraiment, vous les hommes sénégalais, vous avez toujours les idées de nos ancêtres. Acceptez que les temps ont changé’’, lance-t-elle.

Ancien président de l’Association des chauffeurs de taxi de Keur Massar, M. Kébé pense qu’il est possible d’avoir une parité dans les bureaux, mais pas dans le secteur du transport. L’homme pense que les femmes ‘’ne vont jamais’’ se lancer dans le transport de longues distances. ‘’On n’a pas encore vu une conductrice de bus sur le tronçon Dakar - Bamako, par exemple’’, fait-il remarquer.

‘’Le cerveau d’une femme ne peut pas le supporter’’

Cependant, même si ces chauffeurs soutiennent que le transport en commun n’est pas fait pour la gent féminine, il faut signaler qu’il est fréquent d’entendre le commun des mortels dire que les femmes conduisent mieux que les hommes. ‘’Ce n’est pas parce qu’on est jaloux d’elles. Mais si les gens disent que les femmes conduisent mieux que les hommes, c’est parce que sur 1 000 conducteurs pour le transport public, on aura une dame. En plus, nous passons plus de temps sur les routes qu’elles’’, se défend le vieux Mamadou Kébé. En général, souligne le sexagénaire, les femmes conduisent des véhicules particuliers et c’est souvent pour aller au travail et en revenir. ‘’Or, plus on passe du temps sur la route, plus on est exposé. Je n’ai jamais vu une femme conduire un véhicule pendant les évènements religieux comme le Magal de Touba, etc. Je reconnais que les femmes sont certes patientes, mais elles ne peuvent pas conduire mieux que les hommes. Aussi, nous leur cédons le passage dans la circulation, ce qu’elles ne font pas à leur tour. Elles ne laissent jamais les gens passer’’, dit-il en souriant.

Trouvé à l’autre bout de la gare, à la ‘’grand-place’’ des chauffeurs de cars ‘’Ndiaga Ndiaye’’,  Bada Sèye défend la même thèse que ses camarades. ‘’Seuls les gens qui ne connaissent rien de la circulation disent que les femmes conduisent mieux que les hommes. Elles provoquent la plupart des accidents de la route. Elles freinent brusquement au milieu de la circulation, à cause d’un petit incident. Elles ne maîtrisent rien. Elles ne sont bonnes que pour conduire les véhicules particuliers. Si on prend 100 femmes, seules 5 maîtrisent réellement le volant. Toutes les autres ne font que trainer le véhicule. Les bons chauffeurs sont dans le transport en commun’’, argue ce conducteur dans le secteur depuis 1996.

Pour Bada Sèye, les femmes n’ont pas l’énergie et la maîtrise qu’il faut pour conduite des cars ‘’Ndiaga Ndiaye’’. ‘’Le transport n’est pas un jeu. Une femme ne peut pas s’en occuper, au vu de la fatigue et du contrôle qu’on doit avoir sur le véhicule’’, juge-t-il. D’après ce chauffeur de car ‘’Ndiaga Ndiaye’’, si les femmes sont recrutées à Ddd, c’est parce que conduire les bus de cette société est ‘’trop facile’’. Car, dit-il, ils roulent en fonction des heures. En plus, ils ont des arrêts bien définis et personnes ne leur demande un versement à la descente. Ils ont des receveurs, des contrôleurs, etc. ‘’Or, pour nos véhicules, c’est au chauffeur de s’occuper de la voiture, en cas de panne, des clients s’il y a des pépins avec l’apprenti, de la circulation, etc. Ça, le cerveau d’une femme ne peut pas le supporter. Elles ne sont pas capables de le faire’’, insiste-t-il d’un ton sec.

Toutefois, cet interlocuteur accepte que les femmes fassent de la mécanique sans être dans la circulation. Car il trouve le secteur ‘’très complexe’’.

Impossible de se plier aux horaires

En réalité, comme l’explique Cheikhou Omar Sow, régulateur sur la ligne 29, les femmes ‘’sont mal vues’’ dans le secteur. ‘’La femme, c’est l’épouse, la maman, elle est tout. Dans la société, elle a un rôle clé à jouer. Donc, si elle reste toute la journée dehors pour un boulot, ça aura un impact sur sa famille. La plupart des chauffeurs ne connaissent rien de leur famille. Au moment où ils quittent leur maison, leurs enfants dorment, et le soir, quand ils reviennent, ils sont déjà au lit. Quant à la femme, avec tout ce qu’elle représente au sein de la famille, il est impossible qu’elle suive ce rythme. C’est vraiment compliqué. S’il y avait au moins des horaires fixes de travail, les choses seraient mieux’’, croit savoir M. Sow.

Se tenant à quelques pas de Bada Sèye, ce régulateur, fiches à la main, déclare avoir ‘’pitié’’ des femmes qui accepteraient de se lancer dans cette jungle. ‘’Franchement, en voyant ce que les hommes endurent avec les Tata, je ne souhaite pas voir une femme y évoluer. Les gens se lèvent à 4 h du matin et ne rentrent chez eux qu’à 23 h environ. Et les hommes rencontrent d’énormes difficultés pour s’acquitter honorablement de leur tâche. Je vois mal une femme travailler jusque tard dans la nuit, sans arrêt, ni interruption. Sincèrement, sur le plan physique et mental, c’est compliqué’’, fait remarquer Cheikhou Omar. En tant que régulateur de bus, il estime que le milieu est risqué pour la gent féminine. Pour lui, il y a trop de laisser-aller, d’anarchie dans le trafic à Dakar. Ce qui ne rend pas les choses aisées.

3 QUESTIONS A

Bigué Mbodj (sage-femme) 

‘’Pendant la grossesse, on leur dit d’éviter des secousses’’

Est-ce que le fait d’être toute une journée au volant peut avoir des impacts sur la santé génitale des conductrices de véhicules de transport en commun ?

Il n’y a pas d’études scientifiques qui prouvent que le fait qu’une femme soit toute une journée au volant ait un impact sur sa santé. Maintenant, pendant la grossesse, on leur dit d’éviter des secousses. Conduire pendant toute une journée, avec tout ce qu’il y a comme secousses sur les routes, peut leur poser problème. Il faudrait que dans l’organisation de leur travail, quand elles sont enceintes, qu’on puisse leur éviter de conduire longtemps. 

Ou alors, faire en sorte qu’elles aient une activité beaucoup plus sédentaire. C’est vrai que quand la grossesse est avancée, elles ne peuvent pas, avec le ventre qui s’alourdit, être devant le volant. Ce n’est pas un problème spécifique à la conduite de bus de transport en commun. Même les femmes qui ont leur véhicule particulier, à un moment de leur grossesse, on leur interdit de conduire.

Après l’accouchement, est-il risqué de reprendre le volant après les deux mois de congés de maternité ?

Non ! Parce que si elles sont couturières par exemple, elles peuvent s’assoir toute la journée pour leur travail. La difficulté, c’est après un accouchement par césarienne. Avant que cela ne soit complètement cicatrisé, ça peut poser problème. Je crois qu’il serait intéressant, pendant la grossesse, notamment les six premiers mois, qu’elles puissent ne pas conduire ou qu’elles restent un an même sans toucher le volant. Durant les trois premiers mois, s’il n’y a rien de pathologique par rapport à la grossesse, elles peuvent faire correctement leur travail. Mais, à partir du deuxième trimestre, c’est là où le volant risque de causer des soucis.

Y a-t-il des conseils pratiques pour le bien-être de ces conductrices ?

Les conseils ne sont pas spécifiques aux femmes conductrices. D’une manière générale, le fait de rester longtemps assis peut amener des problèmes de retour veineux. Même pour la femme enceinte, quel que soit le travail qu’elle va faire, elle devrait éviter de rester en position assise longtemps. Pendant les règles, je pense qu’elles ont la possibilité de se changer quand elles arrivent au terminus. Il faudrait peut-être des aménagements pour permettre aux femmes de pouvoir se changer quand elles voient leurs règles. Ce sont des mesures d’accompagnement importantes.

MARIAMA DIÉMÉ

 

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