Publié le 7 Jun 2016 - 12:37
TRANSVERSALE

Entre-deux

 

L’un était danse, l’autre est dense. L’un était un génie insaisissable, doté d’une célérité, d’une mobilité, d’une agilité organique et d’un sens de mouvements quasi chorégraphiés. L’autre est un fonceur fruste, un dur au mal surarmé d’une foi en lui-même et à la sueur, qui laisse filer sa vie sur le mode de la fierté et de la combativité.

De Ali à Aliou, il y a eu plus qu’un hiatus syllabique, quelque chose qui dit du destin et de la destinée. Un ovni philosophique qui cherche son chemin de gloire entre l’essence et l’existence. Entre la vie laborieuse et la mort heureuse. Une nuit divine s’est couchée sur Mohamed, le Greatest. Un jour d’espoir s’est levé autour de Cissé, le Guerrier. Au cours d’un VSD aux mille aspérités, la chronique a sué de tout son corps pour dévaliser le stock de louanges afin de magnifier un Immortel que seul le Tout-Puissant a pu mettre KO, tout en osant une moue apaisée sur le presque sans-faute de l’aboyeur du banc sur le chemin de Gabon 2017. Une inclinaison plus qu’une posture qui en dit long sur la trace, l’impact et le sens de la carrière d’un sportif, tout en charriant ce questionnement philosophique qui hante les penseurs en culottes courtes depuis la nuit des temps : on naît joueur ou on est joueur ?

Le Sénégal d’Aliou Cissé avoue trop de déficit dans l’expression de ses pieds jardiniers pour espérer générer une lumière sur ce débat, tout comme sur toutes ces petites interrogations qui escortent sa qualification à la Can. Derrière les paillettes des mots et les effervescences festives de l’après-midi réussie de Bujumbura, les grains des faits apparaissent et interpellent : ces Lions ont-ils les crocs suffisamment élimés pour arracher le trophée continental avec les dents ?  L’invitation arrachée à moindre frais au grand banquet de Libreville n’a pas eu l’heur d’une réconciliation entre les tenants de la victoire au forceps et les défenseurs du talent triomphant. Parce que Sadio Mané et consorts baragouinent un football coincé dans une sorte d’entre-deux qui étouffe de trop pragmatisme. Ni emballant, ni élégant, mais suffisamment efficace pour écraser les moindres effronteries des derniers de la classe comme le Burundi, le Niger ou la Namibie.

En principe, le Sénégal du foot devrait avoir le cœur en fête. Prêt à se laisser entraîner dans une effusion de sentiments gourmands, comme à chaque fois que ses augustes Lions, crinière dressée et fière, s’approchent d’un banquet.  Mais la surmultipliée des  gueules de bois a suffisamment instruit ses innombrables expériences malheureuses et  ses inconstances conjoncturelles pour qu’il ose encore rouler ses certitudes ou le moindre espoir populaire. Il a assez donné par le passé pour en finir avec les rêves utopiques. Il est en quête de réponses aux questions que posent encore les productions, pingres et peu flamboyantes, des Lions.

Il reste que le football reste une science complexe, imprévisible et insaisissable à mains nues. Et on ne sait jamais, au fond, s’il l’on est trop exigeant avec Lions. Si l’on est fondé à juger Cheikhou Kouyaté et ses coéquipiers à la lumière des plus hauts standards de la fameuse génération 2001-2002. Si l’ombre pesante de leurs devanciers n’oblige pas la critique à examiner chacune de leurs sorties avec une mine d’apothicaire. S’il faut leur reprocher  les soubresauts de leur jeu collectif ou s’il faut leur concéder leur capacité à ne pas se tromper de cible. On ne sait jamais, en somme, si c’est le confort ou dans l’inconfort qui nourrira leur désir de conquête en terre gabonaise.

D’ici là, d’ici qu’on tirera le rideau sur l’année 2016, il y a urgence absolue à sacrifier à quelques devoirs de rentrée. A dégotter aux Lions quelques grands rendez-vous avec le gratin du football africain et mondial afin de pouvoir jauger et juger leur compétence d’équipe au plus haut niveau.  Afin de leur permettre de poser les jalons d’un meilleur accompagnement populaire sur la route des éliminatoires du Mondial 2018 qui diront sans doute qui ils sont véritablement. S’ils seront de dignes héritiers des «héros» du Mondial 2002 dont le souvenir entraîne dans une farandole de sentiments extasiés, roule ses propres réminiscences enivrées sur le gazon des nostalgies populaires. Mais le football ne vit pas du passé…

 

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