Publié le 22 Oct 2019 - 22:57
TROIS HAUTS FONCTIONNAIRES REMERCIES APRES LEURS DECLARATIONS

Troisième mandat et Karim Wade tabous à l’Apr

 

‘‘Troisième mandat’’ et ‘‘Karim Wade’’ sont, a priori, des sujets sensibles au sein du parti-état Alliance pour la république (Apr). Deux questions très sensibles qui ont eu raison de Sory Kaba, Moustapha Ka et Samba Ndiaye Seck.

 

C’était la foire aux limogeages, hier. Trois hauts fonctionnaires, des départements des Affaires étrangères et de la Justice, ont été relevés de leurs fonctions hier, en début d’après-midi. Ainsi, Sory Fantamady Kaba n’est plus le directeur général des Sénégalais de l’extérieur. Il a été remplacé à ce poste par l’expert financier Amadou François Guèye, nommé par décret n°2019-1763 du 21 octobre 2019 pris par le président Macky Sall, fait savoir un communiqué de la porte-parole du gouvernement. Moustapha Ka et Samba Ndiaye Seck ont également été relevés de leurs fonctions de directeur des Droits humains pour le premier et de directeur du cabinet du secrétaire d’Etat chargé de la Promotion des droits humains et de la Bonne gouvernance pour le second, d’après un communiqué du ministère de la Justice.

Pour Sory Kaba, l’annonce a été faite hier en début d’après-midi, alors que le chef de l’Etat était en partance pour un périple à l’étranger qui le mènera à Oslo, à Sotchi pour le sommet Russie-Afrique le 23 octobre, et à Paris le 25 pour le 70e anniversaire de la création de la maison d’édition Présence africaine. Est-il en train de subir les contrecoups de sa sortie médiatique sur la Rfm dimanche dernier ? Une interview dans l’émission hebdomadaire ‘’Grand jury’’ où M. Kaba a clairement mis les pieds dans le plat d’un troisième mandat qu’on s’évertue à noyer du côté de la majorité présidentielle.

‘‘Notre Constitution oblige le président de la République à ne pouvoir faire que deux mandats. Ce qui est clair, il est dans le dernier mandat et la Constitution lui interdit de faire un 3e mandat. Qui sera le futur président ? Personne ne sait’’, avait déclaré M. Kaba au micro de Babacar Fall. Une sortie qui a déplu en haut lieu, puisque les réactions des hauts responsables de l’Apr se sont enchainées plus véhémentes les unes que les autres.

Membre du Secrétariat exécutif national de l’Apr, Yakham Mbaye était sorti dans la foulée pour fustiger la position de M. Kaba comme ‘‘de l’indiscipline et une atteinte à l'autorité du président de la République’’, sur le site d’informations ‘’Dakaractu’’. ‘‘Est-ce un fou qui a dit ça ? Il n’a pas la maturité politique. Il n’a pas réfléchi. Tous ceux qui doivent prendre la parole, opposition comme pouvoir (...) doivent savoir que Macky Sall n’a entamé que six à sept mois à peine sur ce deuxième mandat. Tous ceux qui en parlent ou le pensent sont nos détracteurs. Ce n’est même pas le moment d’en parler’’, s’offusquait, pour sa part, l’influent député ‘‘apériste’’ et maire des Agnam, Farba Ngom.

Quant à l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, il a déploré ce limogeage et la chape de plomb qui s’abat sur ce débat. ‘‘Dire ou écrire que Macky Sall n’a pas droit à un troisième mandat relève désormais du délit. Un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, pourtant Apr convaincu, vient de l’apprendre à ses dépens. Le projet ne serait-il plus ruse cachée ? Mais relevons surtout que la dictature sénégalaise en vient à nier le droit de répéter ce que notre Constitution prévoit !’’, a-t-il réagi hier.

En principe...

L’article 27 de la Constitution sénégalaise, qui encadre l’élection d’un président au Sénégal, subira-t-il la volonté et le désir du chef de l’Etat Macky Sall ? L’évocation d’un éventuel troisième mandat de Macky Sall est-il devenu la limite à ne pas franchir, l’éléphant dans le salon, pour les ‘‘apéristes’’ ? ‘‘Un peu trop prématuré, et même hasardeux d’y répondre’’, déclare un chercheur en sciences politiques qui se refuse à tout commentaire ‘‘avant de plus amples développements’’.

Mais, à l’évidence, fait-il remarquer, la question entraine l’ostracisme dans les rangs d’une Alliance pour la république dont le top-management s’agace à la moindre référence à ce débat ravivé par la situation chez le voisin guinéen. Le président Macky Sall a pourtant clairement pris l’engagement de ne se limiter qu’à deux mandats. Pas plus tard que le lundi 31 décembre 2018, après son adresse de Nouvel an, Macky Sall avait déclaré, devant des journalistes sénégalais qui lui avait posé la question, son intention de s’en limiter à deux mandats, en cas de réélection. ‘‘C’est moi qui ai écrit la Constitution. Quand on a ramené le mandat de 7 à 5 ans, j’ai dit que le mandat est renouvelable une fois. J’y ai rajouté une clause qui stipule que nul ne peut faire plus de mandats consécutifs (...) Une fois réélu, je fais un deuxième mandat de 5 ans. Cela fera 7 plus 5 (….). Il faudra partir (…). C’est ça l’option fondamentale (…)’’, avait-il déclaré, marquant même son étonnement de voir prospérer de telles interrogations. Mais cet engagement a sonné comme une simple promesse de campagne quand, moins d’un mois après sa réélection, son ministre de la Justice, Ismaila Madior Fall, fait une déclaration claire obscure, très sujette à controverse, dans les colonnes du journal ‘’EnQuête’’.

‘‘Bon… Pour moi, la Constitution est claire, mais j’ai entendu des professeurs de droit dire que, telles que les dispositions ont été rédigées, le président peut faire un autre mandat. Moi, je pense que la Constitution est claire. En principe, c’est le deuxième et dernier mandat’’, avait lancé Ismaila M. Fall, ouvrant la porte aux interprétations les plus tendancieuses entre majorité présidentielle et opposants. Coïncidence et surprise, Ismaila Madior Fall n’est pas reconduit à son poste de ministre de la Justice, à la formation du gouvernement, en avril 2019.

En principe, en 2024, Macky Sall devrait être le premier président sénégalais en exercice à ‘‘arbitrer’’ une élection présidentielle à laquelle il ne devrait pas prendre part. Un motif de taille pour les cadres de son parti qui nourrissent l’ambition légitime (et légale) d’occuper le fauteuil. Des prises de position qui ont eu l’heur d’irriter le directeur général de l’Agence nationale de la maison de l’outil (Anamo), Maodo Malick Mbaye. ‘‘Le vent successoral qui souffle de manière prématurée sur ce régime est en train même de plomber l’action gouvernementale et d’engendrer un mécontentement des populations’’, avait-il déclaré, en se posant comme le protecteur de l’actuel mandat de Macky Sall.  Sory Kaba, lui, nourrissait également des ambitions politiques dans le fief du chef de l’Etat. Il était annoncé dans les starting-blocks pour concurrencer Matar Ba à Fatick, dans le cadre d’élections municipales et locales finalement reportées. Une posture d’ambitieux que Macky Sall a tout de suite étouffée dans l’œuf. A moins que ce ne soit ses déclarations largement sous-estimées sur le nombre de compatriotes morts hors de nos frontières.

Dans son passage à l’émission ‘’Grand Jury’’, Sory Kaba a également minimisé les statistiques concernant la mort de Sénégalais à l’extérieur. ‘‘Nous sommes à 6 meurtres sur les Sénégalais de l’étranger. L’année dernière, à pareil moment, on était sur 15 compatriotes qui ont été tués. Rendons grâce Dieu qu’il n’y ait plus de Sénégalais tués’’, avait-il lancé. Des chiffres largement contestés par le président de l’Ong Horizons sans Frontières, Boubacar Sèye, et un factchecking du journal ‘’L’Observateur’’ qui ont tous deux parlé d’au moins vingt compatriotes qui sont rentrés les pieds devant. 

Karim ''évince'' Moustapha Ka et Ndiaye Seck

La Justice aussi a remis de l’ordre dans ses rangs. Après Sory Kaba, c’est Moustapha Ka et Samba Ndiaye Seck qui ont été démis de leurs fonctions. Ils paient les pots cassés d’un passage devant le Comité des Droits de l’homme à Genève. ‘‘Suite aux déclarations tenues par des membres de la délégation sénégalaise au Comité des Droits de l’homme, déclarations qui ne sont pas conformes à la position officielle de l’Etat du Sénégal, messieurs Samba Ndiaye Seck, Directeur du cabinet du secrétaire d’Etat chargé de la Promotion des droits humains et de la Bonne gouvernance, chef de délégation, et Moustapha Ka, Directeur des Droits humains, ont été démis de leurs fonctions’’. Un communiqué non signé avec l’en-tête du ministère de la Justice mettait ainsi fin à un imbroglio sur la paternité de propos concernant la réhabilitation de Karim Wade.

Moustapha Ka, assisté de Ndiaye Seck, a pris l’engagement d’absoudre le fils de l’ancien président le 15 octobre dernier, devant le Comité des Droits de l’homme, en déclarant que le gouvernement du Sénégal est prêt à réparer le préjudice subi par Karim Wade pour se conformer aux constatations du Comité des Droits de l’homme de l’Onu. Ce dernier avait dénoncé une détention arbitraire du fils de l’ancien président Wade et une réforme de la Crei comme la possibilité, pour les prévenus, de faire appel des décisions. Le ci-devant directeur des Droits humains avait alors avancé que le Sénégal était ‘‘prêt à réparer les préjudices subis par Karim Wade, à la suite de son incarcération’’.

Une déclaration qui sonne comme un désaveu de l’action en justice qui a tenu en haleine le pays de 2013 à 2016 et qui s’est poursuivie au-delà par une menace de contrainte par corps sur Karim Wade. La situation avait pourtant connu une inflexion pacifique avec deux entrevues entre Abdoulaye Wade et Macky Sall dernièrement. Mais le contentieux est manifestement trop profond et la déclaration de M. Ka a été aussitôt démentie par le ministère sénégalais des Affaires étrangères avant que ce dernier et le chef de la délégation, M. Ndiaye Seck, ne soient convoqués hier pour une séance d’explications au ministère de la Justice. On connait la suite.

Puisque le Maese et la Justice ont pris leur distance, le gouvernement devra expliquer pourquoi nos deux ‘‘ambassadeurs’’ à Genève ont fait cavalier seul.  

OUSMANE LAYE DIOP

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