Publié le 10 Sep 2015 - 12:33
TROISIEME JOUR D’AUDIENCE DU PROCES DE HISSEIN HABRE

L’expert Arnaud Dingammadji refait l’histoire

 

Pour le troisième jour d’audience du procès de Hissein Habré, la Chambre d’assises des Chambres africaines (CAE) a recueilli le témoignage de l’expert Arnaud Dingammadji. L’historien-chercheur a plongé les juges et les avocats dans le contexte historique du Tchad pour expliquer le parcours politique de Hissein Habré, avant son arrivée au pouvoir et pendant son règne appuyé surtout par l’aide des puissances étrangères.

 

Annoncé absent, l’expert Arnaud Dingammadji s’est finalement présenté hier à la barre de la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE). Il est arrivé après la diffusion d’un élément radiophonique, un ancien numéro de l’émission ‘’Archives d’Afrique’’ de la RFI. Dès l’entame de son audition, M. Arnaud a précisé que son travail ne consiste pas à établir la culpabilité ou l’innocence de l’ex-Président tchadien, mais en tant qu’historien-chercheur, d’aider la justice à comprendre le contexte du Tchad et la personnalité de l’accusé.

Il ressort de son rapport produit durant l’instruction que Hissein Habré ‘’est une personne imbue de sa personne, brillant, arrivé très jeune aux affaires, pour avoir été sous-préfet dans plusieurs localités’’. Avec une ambition débordante et sa bourse aidant, il s’est ensuite rendu en France pour y suivre des études en Droit, notamment Sciences politiques. Rentré au bercail, Hissein Habré s’est lancé, selon l’expert, ‘’dans une phase d’émergence politique en 1971, avec la mise en œuvre d’une stratégie basée sur la prise d’otages’’. L’historien renseigne que c’était une manière pour l’inculpé de se faire un nom au plan international et de bénéficier des fonds pour alimenter ses troupes, d’autant que ses premières victimes étaient des Français.

Seulement, il ne s’est pas limité à la prise d’otages. Car, tenaillé par une ambition irrésistible d’arriver au pouvoir, il a fini par recourir à la violence et a créé le chaos dans son pays, en 1979. A deux reprises, il a tenté de renverser le gouvernement et n’a réussi qu’à la troisième tentative, le 7 juin 1982. Mais, après deux ans de règne, ses alliés des autres ethnies devinrent très vite ses ennemis. Pour les hadjaray, tout a commencé avec la mort brutale du ministre des Affaires étrangères. Si la version officielle impute cette mort à un paludisme sérère, les proches du défunt ministre parlent d’assassinat. Mais la coupe est devenue pleine pour les membres de cette ethnie lorsque l’oncle du défunt ministre a été abattu en pleine rue par des militaires. C’était le début de la rébellion chez les Hadjaray qui ont créé le Mouvement du salut national du Tchad. D’après l’expert, Habré a réagi de façon musclée, en limogeant les deux ministres restants, et la répression a réellement commencé, en mai 87, avec des arrestations et enlèvements massifs de cadres, puis de populations.

Les membres de l’ethnie zaghawa ont également payé de la défection de Déby et Hassan Djamous, qui après 10 ans d’entente (1979-1989), ont décidé en 1989 de quitter l’ex-homme fort de N’Djaména. ‘’C’était le début d’une vague de répressions à N’Djaména et au Nord du pays’’, précise l’historien. Quid des arabes ? ’’A l’égard des arabes, il y avait une politique de répression, mais elle n’a pas eu la même ampleur que celle envers les hadjaray et zaghawa’’, confie l’expert. A l’en croire, l’inculpé prenait prétexte du conflit libyen pour les répressions, car il accusait ses opposants de complicité avec la Libye contre qui le Tchad était en conflit.

Mais seulement, il ressort des explications du témoin que l’ex-Président a bénéficié du soutien des puissances étrangères. D’après M. Arnaud, si le Zaire, actuel Congo démocratique, avait servi à la formation des Commandos, l’aide de la France et des USA a été déterminante, surtout dans la guerre contre la Libye. A ce propos, il a indiqué que la France a aidé par la fourniture en automitrailleuses légères, fusils d’assaut. Au plan humain, elle a aidé en livrant des instructeurs et des agents secrets. Elle a également appuyé par l’établissement d’une ligne rouge qui a permis de repousser les rebelles, en 1983. Alors que les USA ont pour leur part apporté leur aide à hauteur de 25 millions dollars, suite à l’attaque de Fayo, en 1983. ’’N’eût été l’aide militaire française, en juin 83, le régime, Habré allait être renversé, car l’armée était certes motivé, mais, manquait de matériel. Avec les armes fournies par la France, il y a eu la reconquête de Fayo, en juillet 83. Par la suite, l’aide a continué jusqu’en 87 dans la guerre contre la Libye’’, précise l’expert en réponse à la question portant sur le rôle de la France dans la bataille contre Goukouni et la Lybie.

Toujours d’après lui, autant la France a aidé Habré à se maintenir au pouvoir, autant il a contribué à son départ, puisqu’il l’a lâché, ainsi que les autres alliés. A ce propos, il a rappelé que pour la France, la rupture a été consommée après le 16ème sommet de la Baule, tenu en juin 1990. Habré n’avait pas aimé le discours de François Mitterrand qu’il accusait d’immixtion. ‘’Votre modèle démocratique n’est pas la meilleure. Laissez les Tchadiens diriger leur pays !’’ avait lancé Hissein Habré à son homologue français. La suite, conclut l’expert, face à l’avancée de l’opposition vers la capitale pour le destituer, ‘’Habré a quitté  le pouvoir, parce qu’il se sentait abandonné par ses compagnons, à savoir les ethnies qui l’ont porté au pouvoir, et par la France qui le protégeait contre les forces extérieures’’.

Si les différentes parties, les juges et les avocats ont salué la qualité du rapport, ce n’est pas le cas de Hissein Habré qui le juge partial. A l’instruction, il a, d’après le parquet général, soutenu que le Rapport n’avait aucune valeur, car l’expert n’est pas neutre, puisqu’il est un opposant à lui. ‘’Je ne suis pas un opposant. C’est un honneur qu’il me fait, en me comptant parmi ses opposants, puisque j’avais 6 ans quand il était au pouvoir et 14 ans à son départ’’, rétorque le Tchadien.

Le procès se poursuit ce jeudi avec l’audition d’un autre témoin de contexte.

FATOU SY

 

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