Publié le 24 Sep 2020 - 01:40
TROISIEME MANDAT

Des arguments bancals 

 

Afin de légitimer une éventuelle candidature de Macky Sall en 2024, les tenants du régime misent sur trois arguments principalement : la jurisprudence de 2012, l’absence de dispositions transitoires sur le mandat et la modification de la Constitution en 2016. Arguments politiques ou de droit ?

 

Qui l’eût cru ? Après tout ce qui s’est passé en 2012, après toutes ces pertes en vies humaines, revoilà les Sénégalais tenus en haleine par le spectre du troisième mandat. Après plusieurs péripéties, alors qu’on croyait que la polémique est derrière, le président du groupe parlementaire de la majorité est revenu à la charge. Spécialiste des hydrocarbures, il parle du droit avec une certitude déconcertante. Est-ce que, juridiquement, le président de la République peut briguer la présidence pour la troisième fois ? Voici la réponse de l’ingénieur en pétrole : ‘’Juridiquement, il n’y a aucun doute qu’il peut. Moi aussi, je lis les textes. Ce n’est même pas une question qui se pose, parce qu’elle a déjà été réglée.’’

En fait, pour l’honorable député, les choses sont très simples. Le Conseil constitutionnel a déjà tranché la question depuis 2012. Telle est sa forte conviction. Il déclare : ‘’Moi, je suis quelqu’un qui croit aux institutions de son pays. Je crois en toutes les institutions, surtout l’institution judiciaire qui est véritablement le fondement de notre sécurité à nous tous. Quand le Conseil constitutionnel a dit, en 2012, qu’Abdoulaye Wade pouvait se présenter, les gens sont allés aux élections et les électeurs ont fait le choix. Les Sénégalais se sont dit : ‘Juridiquement, il est candidat, mais nous allons l’écarter par les urnes.’ C’est pourquoi cette question peut se poser dans les pays limitrophes, mais pas au Sénégal. Nous l’avons déjà réglé.’’

2012, une jurisprudence inopérante

Entre la situation de 2012 et celle de 2024, il y a des années-lumière. D’abord, il faut qu’Abdoulaye Wade a été élu en 2000 sur la base de la Constitution de 1963, plusieurs fois modifiées. Cette dernière, en ce qui concerne le nombre de mandats du président de la République, prévoyait une possibilité de renouvellements illimités. Avec l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2001, limitant le nombre de mandats à 2, il se posait la question de savoir si le premier mandat devait être régi par l’ancienne (Constitution de 1963) ou nouvelle loi (Constitution de 2001) ? Voilà la question qui était tranchée en 2012 par le Conseil constitutionnel, en invoquant le principe de la non-rétroactivité de la loi. C’est-à-dire, la loi nouvelle ne peut avoir des effets rétroactifs. Elle ne dispose que pour l’avenir. Une situation loin d’être similaire à celle que nous sommes en train de vivre sous le règne du président Macky Sall.

En effet, en 2000, le peuple a élu Abdoulaye Wade pour un nombre illimité de mandats, avant la modification de 2001. En 2012, le contrat entre ce même peuple et Macky Sall était de faire deux mandats. Ni plus ni moins. Et cela n’a jamais changé, malgré les modifications de 2016. Le seul changement noté, en ce qui concerne le mandat, c’est la durée. Macky Sall ayant été élu en 2012 pour 7 ans, les nouvelles dispositions constitutionnelles prévoyaient 5 ans. D’où la décision n°1/C/2016 rendue par le Conseil constitutionnel le 12 février 2016.

Les enseignements du Conseil constitutionnel dans sa ‘’décision’’ de 2016

Dans son considérant n°25, la juridiction suprême disait : ‘’La sécurité juridique et la stabilité des institutions, inséparables de l’Etat de droit dont le respect et la consolidation, sont proclamées dans le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001, constituent des objectifs à valeur constitutionnelle que toute révision doit prendre en considération, pour être conforme à l’esprit de la Constitution.’’

Dans la même veine, le Conseil constitutionnel ajoutait : ‘’Pour la sauvegarde de la sécurité juridique et la préservation de la stabilité des institutions, le droit applicable à une situation doit être connu au moment où celle-ci prend naissance… Ce droit s’entend non seulement des règles constitutionnelles écrites, mais aussi de la pratique qui les accompagne et des précédents qui éclairent les pouvoirs publics sur la manière de les interpréter… Au moment où le mandat en cours était conféré, la Constitution fixait la durée du mandat du président de la République à 7 ans.’’

Pour paraphraser le conseil, on dira : ‘’Pour la sauvegarde de la sécurité juridique et la préservation de la stabilité des institutions, le droit applicable à une situation doit être connu au moment où celle-ci prend naissance… Au moment où la modification constitutionnelle intervenait, Macky Sall était déjà élu pour deux seuls mandats.’’

Ainsi, on se rend compte qu’Aymérou Gningue, qui convoque la jurisprudence de 2012, dit le contraire de ce que défendait le Conseil constitutionnel. Alors que la haute juridiction réaffirmait le principe de la non-rétroactivité de la loi, le député, lui, veut que la nouvelle loi constitutionnelle ait des effets rétroactifs, en effaçant le premier mandat obtenu sous l’empire de la Constitution de 2001.

D’autres membres du camp présidentiel ont trouvé d’autres arguments juridiques pour soutenir l’hypothèse d’un troisième mandat pour leur patron. A les en croire, avec la réforme de 2016, il ne faut plus comptabiliser le premier mandat de Macky Sall. Cela signifie qu’il suffirait, après 2024, d’apporter de nouvelles modifications sur la durée pour se donner encore le droit de se représenter. Ainsi de suite…

Et l’on retournerait à des années-lumière, quand le régime socialiste faisait sauter le verrou sur la limitation du nombre de mandats présidentiels.

Pourquoi les dispositions transitoires étaient inutiles

En 2016, avant même le référendum, certains observateurs préconisaient l’incorporation de dispositions transitoires pour annihiler toute velléité de faire trois mandats. Mais pour beaucoup d’experts, des dispositions transitoires sur cette question seraient superfétatoires.

C’était la conviction du conseiller juridique du chef de l’Etat lui-même, en l’occurrence Ismaila Madior Fall. Il disait : ‘’La Constitution du Sénégal est très claire sur la question du mandat présidentiel et ne laisse place à aucune interprétation. L’article 27 de la Constitution dit clairement : ‘Le président de la République est élu pour 5 ans renouvelables une fois. Nul ne peut exercer plus deux mandats consécutifs.’’’ Aussi, faut-il le rappeler, si en 2001, le Sénégal avait changé de Constitution, en 2016, il n’a pas été question de changement de Constitution, mais juste de modification des dispositions de la Constitution.

Ainsi, quel que soit l’angle sous lequel la situation est analysée, l’actuel président de la République ne saurait prétendre briguer un troisième mandat.

Mais, en tout état de cause, le dernier mot reviendra au Conseil constitutionnel et au peuple souverain.

MOR AMAR

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