Publié le 20 Aug 2020 - 00:12

Un avenir incertain

 

Face à cette situation confuse et pleine d’incertitudes, une multitude de questions se posent sur l’avenir même du Mali et du Président IBK. Les journalistes Abdoulaye Cissé et Pape Sané analysent la situation pour ‘’EnQuête’’.

 

Jusque tard dans la soirée hier, une question taraudait bien des esprits. Qui est derrière cet nième coup d’Etat militaire au Mali ? Très tôt dans la journée, dans les réseaux sociaux, le colonel Malick Diaw a été présenté comme le leader du mouvement. En début de soirée, d’autres noms ont commencé à être véhiculés dont C. L. Sadio Camara. Mais selon d’autres sources maliennes, c’est le général Cheik Fanta Mady Dembélé, sorti de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr. Il serait le cerveau de ce mouvement. ‘’Les colonels Diaw et Camara ne seraient que des chefs d’opération. Le véritable leader serait le général Dembélé’’, a précisé le journaliste Pape Sané.

 L’autre question qui n’est pas passée inaperçue, c’est le traitement spécial supposé avoir été réservé à un autre général, ministre de la Défense. A en croire M. Sané, cela peut s’expliquer par une volonté de ne pas se mettre à dos certaines garnisons. ‘’Dans des situations de ce genre, le premier objectif est de calmer toutes les garnisons militaires. Je pense que c’est la raison pour laquelle les leaders ne se sont même pas hasardés à décréter l’état d’urgence, comme on s’y attendait. Comme vous le savez, un ministre de la Défense comme un Cemga, ils ont toujours des garnisons qui leur sont fidèles. Je pense que c’est pourquoi ils y sont allés avec une main assez tendre. C’est stratégique’’.

Journaliste à la Radio futurs médias, Abdoulaye Cissé ne dit pas le contraire. Selon lui, il faut voir derrière cette générosité une stratégie bien réfléchie. ‘’En fait, dans des situations de ce genre, explique-t-il, avec des leaders officiers de moindre rang, on peut toujours se demander si ces derniers ont toute l’armée avec eux. Pour un général, par exemple, on peut supposer qu’il dispose au moins d’une supériorité sur les éléments. Mais pour un colonel, comme cela semble être le cas, on ne sait même pas si les autres colonels lui sont favorables, a fortiori les généraux. C’est pourquoi il est quand même assez intelligent de chercher à avoir la caution du ministre qui est en même temps un général’’.

Toujours est-il que jusqu’au moment où nous mettions ces lignes sous presse, il n’y a eu aucune version officielle sur les leaders du mouvement. Abdoulaye Cissé analyse : ‘’Je ne crois pas que c’est intelligent. Quand tu fais un putsch, la moindre des choses est de se prononcer pour que les gens puissent apprécier. Comme disait l’autre, quand c’est flou, c’est parce qu’il y a le loup. Et les gens peuvent se méfier de toi dans de telles circonstances.’’

Cela dit, pour certains, ce qui choque le plus, c’est la facilité avec laquelle IBK a été cueilli dans sa résidence privée. ‘’On a comme l’impression que tout était parti uniquement sur la base de revendications militaires. C’est une mutinerie qui a abouti à un coup d’Etat. Et c’est justement ça le problème. Même impréparé, ça donne l’air d’être préparé, parce qu’en face, il n’y a rien. Normalement, IBK devait avoir une garde rapprochée pour sa défense. On s’attendait au moins à une bagarre. Mais comme par magie, il n’y a rien eu, aucune résistance. En général, les gardes, ils sont prêts à donner leur vie pour défendre leur chef’’, fait remarquer M. Cissé.

Pour ce qui est des perspectives, Pape Sané espère que les jurisprudences Dadis Camara et Sanogo leur serviront de leçons. ‘’Je pense, dit-il, qu’ils ne vont pas prendre le risque de s’éterniser, au risque de subir le même sort que Sanogo en 2012. La communauté internationale ne va même pas laisser faire et ils le savent. Je vois plus un scénario à la ATT en 1991. Ils vont organiser une élection et partir’’.

 Quant au sort du président déchu, il affirme : ‘’C’est comme pour ses devanciers. Deux situations sont possibles. Soit il sera poursuivi, soit on lui offre le sort d’ATT qui a été exilé à Dakar. Certaines sources informent que Dakar se positionnerait même pour l’accueillir. Il reste à savoir si les Maliens vont l’accepter avec tout l’arsenal de guerre et de soutien à sa disposition. Rien n’est encore sûr. Tout dépendra des négociations sur lesquelles vont peser la communauté internationale, particulièrement la CEDEAO et la France.’’

Pour rappel, après avoir été déchu, Moussa Traoré a été jugé et condamné à mort, avant d’être gracié par ATT. C’est le même sort qui a été réservé à son prédécesseur, Modibo Keita, qu’il avait lui-même renversé. Sauf que ce dernier a eu moins de chance, parce qu’il est mort en prison. Pour ATT, il a eu plus de chance, puisque simplement exilé.

M. AMAR 

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SYMBOLE DE LA CHUTE D’ATT EN 2012

Kati, le rebelle !

L’histoire bégaie au Mali. Le 21 mars 2012, l’ancien président de la République, Amadou Toumani Touré (ATT) avait été renversé par un groupe de militaires anonymes, à près de deux mois du terme de son second mandat. La mutinerie était partie du camp militaire Soundiata Keïta de Kati, près de Bamako, pour se terminer au palais de Koulouba. Bis repetita hier.     

Hier, le Mali, confronté depuis juin à une crise sociopolitique, a vécu une journée sombre et tendue. Une journée qui a encore remis en cause la démocratie d’un État divisé depuis plusieurs années et qui peine à se relever. Un pays géré au Sud par une administration étatique et, au Nord, par des groupes djihadistes, notamment la rébellion touarègue, qui ne sont pas prêts à lâcher du lest.

La matinée de ce mardi a été chaude. En témoigne les tirs qui ont été entendus dans le cantonnement militaire de Kati, l’un des plus grands positionnements de l’armée malienne. En 2012, la mutinerie dans les armées maliennes a débuté dans ce camp. Celle-ci, dirigée par un groupe de militaires, notamment des officiers, a finalement conduit au coup d’État de l’ex-chef d’État, Amadou Toumani Touré. Élu à la tête du pays le 12 mai 2002 avec 64,35 % des voix au second tour et réélu dès le premier tour en 2007, celui qu’on appelait le ‘’soldat de la démocratie’’ avait été accusé de passivité par les mutins. Tout a donc démarré au camp militaire de Kati, à une quinzaine de kilomètres de Bamako, la capitale malienne. Pour enfin atteindre le cœur du palais de Koulouba.

Mais l’ancien officier qui avait chassé Moussa Traoré du pouvoir en mars 1991, ne voyait rien venir. Dans la nuit 21 au 22 mars, il fut reversé par les putschistes dont le capitaine Amadou Sanogo. Ces derniers ont rejeté la responsabilité sur ATT qui, selon eux, avait ‘’très mal géré’’ le dossier du conflit entre l’armée malienne et les rebelles touarègues au nord du pays. Avec les nombreuses pertes subies dans leurs rangs, les militaires réclamaient plus de moyens pour lutter contre le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) dans le nord du Mali. Cette année-là, en seulement quelques heures, le groupe de militaires a fait basculer le pays dans le chaos.

Considéré comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, le Mali a connu, sous ATT, une page sombre de son histoire. Ce fut le cas en mars 1991, sous le régime du président Moussa Traoré. Seulement là, c’était beaucoup plus sanglant. Un scénario similaire à celui d’Amadou Toumani Touré, ex-exilé à Dakar puis rentré au pays en 2017, s’est reproduit hier, pour l’actuel président de la République Ibrahima Boubacar Keïta.

‘’Terrorisé’’ par le célèbre leader du Mouvement du 5 Juin imam Mahmoud Dicko et la rue, notamment les manifestants qui ont pris d’assaut la place de l’Indépendance juste après l’éclatement de la mutinerie de ce mardi matin, le fils de Koutiala, âgé de 75 ans et qui en est à son second mandat, a été contraint de démissionner de ses fonctions présidentielles, comme l’avait fait son prédécesseur le 8 avril 2012, à la suite de sa mise à l’écart du pouvoir. Kati a donc fini par emporter Ibrahima Boubacar Keïta. Kati le rebelle, fossoyeur des présidents maliens.

GAUSTIN DIATTA 

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