Publié le 10 Feb 2020 - 21:34
UNIVERSITES SENEGALAISES

Haro sur les menaces académiques 

 

Le Sudes/Esr et le Saes font partie d’un réseau international de syndicats de lutte pour la défense des universités publiques. A cet effet, les syndicats du supérieur ont organisé, ce 8 février, au restaurant du Saes, une table ronde sur le thème des libertés académiques au Sénégal.

 

L’université fait face à des entraves de ses libertés académiques. Le constat est fait par Seydi Ababacar Sy Ndiaye, ancien Secrétaire général du Saes.  La plus prégnante est la loi 18-2014 qui a été modifiée. ‘’Cette loi sur la gouvernance universitaire, dit-il, n’assure pas une articulation judicieuse entre le Conseil d’administration et le Conseil académique. Avec cette loi, l’université sera sous l’égide d’un conseil d’administration. Ce conseil est composé, d’un côté, du monde socio-économique dont font partie des membres de l’Assemblée nationale, notamment de la Commission éducation jeunesse, sport et loisirs, des membres des collectivités locales et, enfin, des parents d’élèves. D’un autre côté, on aura les académiques composés du personnel enseignant et de recherche (Per), du personnel administratif, technique et de service (PATS) et des étudiants’’.

Le professeur de philosophie, Hady Ba, ajoute : ‘’Nous sommes à l’université. Donc, les universitaires devraient avoir une majorité de membres dans le conseil d’administration. Or, sur les 20 membres, 8 sont des enseignants du supérieur. Là se trouve le problème. Cette loi est passée en catimini, sans suivre le circuit normal qui aurait voulu qu’elle soit soumise, au préalable, au monde universitaire. C’est une œuvre du ministre en charge de l’Enseignement supérieur de l’époque. Cette loi ne serait jamais passée, si le Sudes et le Saes en avaient connaissance’’.

L’argumentaire de l’Etat, pour expliquer la minorité des enseignants du supérieur, est la vocation financière du conseil d’administration. La majorité représentative du monde socio-économique lui fait craindre ‘’d’éventuelles conséquences, comme le refus du financement de certaines activités de recherche, au motif qu’ils n’apporteraient pas d’argent. Nos inquiétudes sont l’extinction du champ de la recherche qui aurait, à coup sûr, un impact important’’, souligne le membre du Sudes.

Les régressions académiques : le cas des franchises universitaires

L’Unesco, selon Dr Oumar Dia, Secrétaire général national du Sudes/Esr, définit la liberté académique ‘’comme la liberté d’enseignement et de discussion en dehors de toute contrainte doctrinale ; la liberté d’effectuer des recherches et d’en diffuser les résultats ; le droit d’exprimer librement son opinion sur l’établissement ou le système au sein duquel l’universitaire travaille ; le droit de ne pas être soumis à la censure institutionnelle et celui de participer librement aux activités d’organisations professionnelles ou d’organisations académiques représentatives’’. Un idéal aux antipodes de la situation sénégalaise, eu égard à l’histoire et son contexte actuel.

Des régressions des libertés académiques ont concerné les franchises universitaires : ‘’Au sortir de 1968, et plus tard de l’année invalide de 1994, les franchises ont été réduites aux libertés indispensables uniquement dans l’enceinte des facultés ou autres établissements d’enseignement supérieur. Ensuite, il y aussi la création de campus séparés : pédagogique et social. Un projet que le Saes a épiquement combattu, car le considérant comme un et indivisible. Toutes ces décisions sont passées avec les conséquences qu’on connait : les morts de Balla Gaye et de Bassirou Faye’’, fustige l’ancien secrétaire général du Saes.

Seydi Ababacar Sy Ndiaye révèle d’ailleurs une tentative inaboutie de faire reculer les libertés académiques, lors de la première concertation nationale sur l’enseignement supérieur, en 1993, dont les conclusions, contrairement à celles de 2013, avaient été commanditées par la Banque mondiale. Cette concertation, explique-t-il, ‘’voulait ritualiser l’enseignement supérieur, en créant l’université virtuelle africaine. Disons, de façon caricaturale, que de grands professeurs qui seraient aux Etats-Unis, en France, soi-disant dans les grands pays, délivreraient les cours virtuelles. Tandis que nous, nous serions de simples moniteurs ici pour encadrer les étudiants et leur expliquer de petites choses’’.  

Une menace toujours actuelle, surenchérit le Pr. Oumar Fall, Secrétaire général national du Saes, qui voit des menaces voilées. ‘’Avec l’assurance qualité instituée dans nos universités, on risque d’aller, dans un avenir proche, vers une déstructuration des universités physiques, d’aller vers des enseignements qui se feront majoritairement en ligne’’.

La menace à la liberté d’expression

Hady Ba, dénonce, en plus, les agressions des savants relativement à leurs théories. ‘’La société sénégalaise devient de plus en plus irrationnelle et même anti-intellectuelle’’, constate-t-il. ‘’En tant que savants, nous sommes libres d’énoncer des théories. Ces dernières sont critiquables sur le plan scientifique par des arguments. Une consubstantialité à l’enseignement supérieur. Mais c’est hélas des menaces et les tirs groupés contre nos productions que nous remarquons. Dans le passé, ils ont conduit un collègue à se rétracter face à ses écrits. En tant qu’universitaire, nous avons tergiversé face à cette situation qui demandait une réponse immédiate. Nous avons failli dans la défense de principes académiques’’.

Le professeur Hady Ba a largement axé sa communication sur l’intérêt de la liberté de l’enseignant du supérieur. ‘’Dans la situation actuelle, nous sommes attaqués de toute part. L’autorité a besoin de restreindre les libertés académiques, parce que des impératifs politiques se posent’’. dit-il.

En philosophe, il a démarré sa communication par une question. Pourquoi les académiques ont-ils besoin de liberté ? Opérant un rapport entre l’universitaire et le maçon, tous deux experts en leur domaine, il souligne une différence. Le maçon, dans son travail, ne va jamais invoquer sa liberté maçonnique (NDLR : la liberté de faire son travail de maçon, comme il l’entend). Et pourtant, l’universitaire, lui, contrairement aux autres corps, revendique une liberté. Cette liberté, argumente-t-il, est indissociable de l’universitaire. Elle s’explique par les fonctions qu’il doit remplir au nombre de trois.

D’abord, de maitriser le savoir, dans son domaine de spécialisation. Il donne l’exemple de l’épistémologue, du biologiste végétal. Une maitrise absolue, précise-t-il, qui n’est pas demandée aux autres corps de métier. Ensuite, l’universitaire a une fonction de transmission du savoir et du choix de l’objet à dispenser. Enfin, sa dernière fonction est celle de création du savoir, ce que le panéliste assimile à l’élargissement de la frontière du domaine du savoir déjà existant. ‘’A cet effet, on ne peut nous refuser un excès de liberté. C’est un besoin pragmatique et vital’’.

Au bout de son propos, il conclut que l’université ne sert pas à former à des métiers, mais à réfléchir. C’est le rôle du gouvernement de créer des écoles de formation à côté des universités. ‘’Notre fonction n’est pas de pallier ces fautes-là’’, termine-t-il.

La journée de mobilisation pour la défense des libertés académiques

La Plateforme syndicale de l’internationale de l’éducation, à l’issue de l’atelier de Paris, en juin 2019, avait constaté qu’’’en mettant en avant le profit et la rentabilité immédiate, les politiques publiques en cours dans l’enseignement supérieur obligent les universités à reléguer au second plan la production de connaissances scientifiques servant l’intérêt des humains, de la société et de la nature. Les différents pouvoirs sont aujourd’hui en train de détruire méthodiquement l’idée même de l’université qui est pourtant le berceau de la liberté de pensée et de la démocratie’’.

Ces atteintes aux libertés académiques des universités publiques ont conduit à la mise en place d’un réseau international pour la défense des universités publiques et ce qui les fondent : les libertés académiques.

A cette occasion, il a été décidé de l’organisation, dans tous les pays membres, d’une journée internationale de mobilisation pour la défense des libertés académiques. Une date arrêtée symboliquement au Sénégal au 8 février, lendemain de la commémoration du rappel à Dieu de Cheikh Anta Diop, pour la première. Cette journée célébrée au Sénégal l’est également en Tunisie, en Turquie, en France, au Portugal et en Espagne.

La table ronde, initiée à cette occasion, a vu la participation des coordinations du Saes et du Sudes des différentes universités.

MAMADOU DIALLO (STAGIAIRE)

 

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