Publié le 30 Mar 2020 - 23:43
UTILISATION DE L’HYDROXYCHLOROQUINE AU SÉNÉGAL

Professeur Moussa Seydi donne les raisons

 

Depuis quelque temps, l’hydroxychloroquine est utilisé pour la prise en charge des malades du coronavirus. Selon le professeur Moussa Seydi qui a pris la décision, en situation de guerre, si vous avez une arme qui n’est pas nocive pour le patient et qui peut aider à régler le problème, il faut l’utiliser, tout en continuant les recherches.

 

Le nombre de cas de Covid-19 ne cesse de s’accroître, au Sénégal. Chaque jour a son lot. Ce samedi, sur 98 tests réalisés par l’Institut Pasteur de Dakar, 11 sont positifs. Il s’agit de 2 cas importés, 8 cas contacts suivis et 1 cas issu de la transmission communautaire. La bonne nouvelle est que 7 patients hospitalisés sont contrôlés négatifs, donc guéris. À ce jour, 130 patients sont déclarés positifs, dont 18 guéris et 112 encore sous traitement. L’urgence de ce moment fait que le coordonnateur de la prise en charge des malades du coronavirus au Sénégal, Professeur Moussa Seydi, décide de traiter les malades avec l’hydroxychloroquine. Qui, précise-t-il, n’est pas la chloroquine, mais il n’y a pas de grande différence, parce que les deux molécules ont la même origine.

Dans un grand entretien accordé, ce samedi, à la RTS, il explique pourquoi il utilise l’hydroxychloroquine et non la chloroquine. En effet, dans un premier temps, on a dit que la chloroquine peut agir sur le virus in vitro, c’est-à-dire en laboratoire. ‘’Mais, poursuit-il, ce n’est pas une raison suffisante pour nous de démarrer le traitement. La preuve, avec les antirétroviraux, on constate que cela agit bien sur le virus responsable de la Covid-19 au niveau du laboratoire. Mais les études chez l’humain montrent que ce n’est pas efficace’’.

Ensuite, dit-il, le professeur Didier Raoult a fait une étude préliminaire. ‘’Ce n’est pas une étude de grande envergure. C’est une étude sur peu de patients’’.

Dans cette étude, explique Pr. Seydi, il trouve que le simple fait d’administrer l’hydroxychloroquine permet de réduire la charge virale, de la rendre indétectable au bout de 6 jours chez 70 % des patients. Quand il associe l’hydroxychloroquine à l’azithromycine, la charge virale devient indétectable chez 100 % des personnes, au 6e jour. ‘’Alors, je me suis dit : nous sommes en situation d’urgence sanitaire mondiale. Nous sommes dans le cadre d’un état d’urgence au Sénégal dans un contexte particulier. Donc, pourquoi ne pas utiliser cette molécule, même si les résultats sont obtenus chez un faible nombre de patients. Même si ces résultats méritent d’être validés par de plus grandes études, d’autant plus que cette hydroxychloroquine est bien tolérée. C’est la molécule la mieux tolérée parmi toutes les molécules qui sont testées à l’heure actuelle. Deuxièmement, la réduction de la charge virale et l’indétectabilité vont permettre de guérir les malades plus rapidement’’, souligne le spécialiste.

‘’Quand nous sommes en situation de guerre, vous n’allez pas exiger l’arme parfaite’’

Ainsi, il y aura, souligne-t-il, plus de places disponibles. En plus, ajoute-t-il, ils vont aussi éviter la contagiosité des malades beaucoup plus rapidement. ‘’Nous n’avions donc rien à perdre et nous avions tout à gagner, en essayant ce traitement. Nous avons immédiatement commencé à chercher cette molécule qui était difficile à trouver. Nous avons proposé aux patients le traitement, après un consentement, bien sûr. Parce qu’il faut que le malade nous donne son accord, avant qu’on ne lui prescrive ce traitement’’.  

Revenant sur la polémique sur l’utilisation ou non de la molécule, il se veut clair : ‘’Il y a une polémique qui s’installe, c’est vrai. Mais cette polémique, c’est entre chercheurs. En vérité, l’étude du professeur Didier Raoult est une étude préliminaire ; cela est vrai. La méthode utilisée aussi ; il y a des méthodes beaucoup plus rigoureuses ; cela aussi est vrai. Mais comme je le dis, rappelons-nous du contexte de l’épidémie dans lequel nous sommes. Quand nous sommes en situation de guerre, vous n’allez pas exiger l’arme parfaite. Si vous avez une arme qui n’est pas nocive pour le patient et qui peut aider à régler le problème, il faut l’utiliser, tout en continuant les recherches’’, soutient Prof Seydi.

‘’L’automédication est dangereuse, il faut l’arrêter’’

S’agissant de l’utilisation de la chloroquine, il lance un appel à tous ceux qui font de l’automédication. À son avis, les personnes qui vont acheter le plaquénil ou l’hydroxychloroquine à la pharmacie ne savent pas que cette molécule est contre-indiquée chez les enfants de moins de 6 ans. ‘’Elles ne savent pas que cette molécule ne doit pas être utilisée chez la femme enceinte. Cette molécule ne doit pas être utilisée chez les femmes qui allaitent. Donc, ces personnes peuvent acheter le médicament, le prendre alors que cela leur est nocif’’, prévient le chef du Service des maladies infectieuses et tropicales de Fann.

D’autre part, prévient le spécialiste, dans cette molécule, il y a les associations de médicaments. En plus, précise-t-il, les gens ne savent pas qu’associer la dompéridone, qui est un médicament contre les vomissements, avec l’hydroxichloroquine, peut entraîner des troubles de rythme cardiaque assez graves. Même l’associer à certains antibiotiques peut entraîner des troubles de rythme cardiaque. ‘’Donc, la manipulation de ce produit doit rester dans le domaine médical. Il faut attendre d’avoir une prescription, avant de prendre cette molécule. L’automédication est dangereuse, il faut l’arrêter. Prendre ces molécules et les garder à la maison, c’est mettre aussi en danger des patients qui souffrent de pathologies chroniques telles que le rhumatoïde et d’autres pathologies. Parce que ces médicaments sont utiles pour la survie de ces patients’’, avertit Pr. Seydi.

‘’Nous allons démarrer un projet de recherche avec l’Institut Pasteur de Dakar’’

En outre, il souligne que le traitement est efficace dans sa pratique quotidienne. ‘’Je commence à avoir les résultats et je vais continuer à l’utiliser. Je vais même, à partir d’un certain moment, y ajouter de l’azithromycine. Parce qu’avec l’azithromycine, on espère avoir de meilleurs résultats. Mais j’utilise cette méthode pour éviter la survenue des effets indésirables. Parce qu’additionner des médicaments, c’est additionner des éléments indésirables ; c’est pour cela que nous agissons ainsi. Dans quelques jours, nous allons, en même temps, démarrer un projet de recherche avec l’Institut Pasteur de Dakar, pour évaluer certains schémas thérapeutiques tels que l’utilisation de l’hydroxychloroquine seule et l’utilisation de l’hydroxychloroquine avec l’azithromycine’’, informe l’infectiologue.

Il précise, par ailleurs, qu’il ne s’agit pas d’un test, parce que les termes ont leur utilité dans leur milieu. ‘’Tester, on peut le dire dans le langage, peut être populaire, parce que nous sommes en train de donner cette molécule à la suite de la publication du Pr. Didier Raoult, c’est vrai. Mais c’est différent de la recherche en tant que telle. Pour être pragmatique, je ne vais pas priver les patients, à l’heure actuelle, de cette molécule, du simple fait que je n’ai pas encore commencé le projet de recherche. On les traite et quand le projet va commencer, on va inclure les nouveaux patients dans ce projet de recherche et pouvoir sortir nous aussi des résultats’’.

PROFESSEUR MOUSSA SEYDI

‘’Plus le nombre augmente, plus la catastrophe risque d’arriver’’

La situation de la pandémie devient inquiétante, au Sénégal. Ce qui pousse le professeur Moussa Seydi à lancer un appel à la population à plus de responsabilité. Car, à son avis, si le nombre continue d’augmenter, les morts seront inévitables et des mesures beaucoup plus draconiennes seront prises.

Même si le nombre est encore insignifiant, les cas de transmission communautaire peuvent être problématiques pour le pays. Selon le chef du Service des maladies infectieuses de l’hôpital Fann, ces cas doivent inquiéter tout le monde. ‘’Hier seulement, raconte-t-il, je lisais un message du directeur général de l’OMS qui dit que, dans nos pays, nous ferions mieux de prendre les mesures les plus extrêmes, pour éviter de vivre ce que les Européens vivent. J’ai toujours dit à tout le monde qu’il faut être le plus extrémiste possible dans cette épidémie. L’extrémisme n’est pas bon, mais ici, l’extrémisme paie. C’est ce que les Chinois ont fait. C’est pourquoi, actuellement, ils ont plus de cas importés. Il faut prendre des décisions extrêmement ardues par rapport à cette transmission dite communautaire. Si on ne le fait pas, on peut se lever un bon jour et avoir 10 mille cas. C’est certain. C’est vraiment à ce niveau qu’il faut se battre’’, avertit le professeur Moussa Seydi.

À son avis, toutes ces mesures prises par l’Etat sont capitales. Mais si cette transmission communautaire continue, il prévient : ‘’Je proposerai des mesures beaucoup plus draconiennes encore. Un confinement. Il faudrait peut-être mieux que les gens ne sortent même pas le jour. Peut-être qu’on leur donne 2 heures pour sortir dans la journée, faire ce qu’ils ont à faire et revenir à la maison. Si on tergiverse, je vous garantis que c’est la catastrophe assurée’’, prévient le spécialiste.

Selon le spécialiste, aujourd’hui, la centaine de malades est dépassée et, Dieu soit loué, il n’y a eu aucun décès. Mais c’est peut-être que le pays est toujours dans un nombre pas encore explosif. À l’en croire, il ne faut pas regarder cette situation et se dire : non, il n’y aura pas de suite. ‘’Parce que si le nombre de cas augmente, ça sera la catastrophe’’.

‘’Ce nombre de cas ne peut augmenter de manière importante qu’à travers cette transmission communautaire. Il faut tout faire pour que cela n’arrive pas. C’est la population qui doit agir et prendre ses responsabilités. Tous ceux qui ont pris des décisions tardivement l’ont regretté et l’ont payé extrêmement cher. Nous devons nous inquiéter de ces cas détectés dans la communauté et qui n’ont aucun lien avec un autre cas connu’’, conseille Pr. Seydi.

‘’Ne pas s’inquiéter, c’est de l’inconscience absolue et totale’’

De l’avis du professeur, les chiffres commencent à augmenter dans le pays. Mais que ce soit un cas importé ou un cas au niveau local, il faut toujours voir quels sont les contacts. Car le combat ne peut pas être gagné, sans une bonne prise en charge de ces cas contacts. ‘’On doit s’inquiéter grandement de ces chiffres. Ne pas s’inquiéter, c’est de l’inconscience absolue et totale, à l’heure où je vous parle. On doit s’inquiéter, parce que la situation est inquiétante. Tant que le nombre de cas est limité en nombre faible, il n’y a pas d’inquiétude. Plus le nombre augmente, plus la catastrophe risque d’arriver’’, dit-il.

Selon lui, dans tous ces pays qui ont enregistré beaucoup de morts, il n’y a plus de gants, certains n’ont plus de masques. ‘’Je ne parle pas des respirateurs ; il faut choisir, entre deux malades, qui sauver. Que pourrons-nous faire, si nous avons des milliers de patients qui défèrent dans nos hôpitaux ? C’est le personnel de santé lui-même qui sera contaminé. Si le personnel de santé est décimé, c’est le système de santé qui tombe à terre. Je dis les choses telle quelles sont. Je ne rassure pas pour rassurer, je n’apeure pas pour apeurer. Je dis des éléments vérifiés et connus. Si l’épidémie continue de galoper comme ça, vous verrez que ça sera la vérité. À partir d’un certain nombre, les morts seront inévitables’’, avise l’infectiologue. Pour qui, il faut se battre pour que l’épidémie s’arrête là. C’est, dit-il, un ratio d’abord entre la capacité de prise en charge et le nombre de malades.

Parce que si le pays enregistre mille malades qui ont une forme grave, il n’y a pas mille respirateurs. Donc, ceux qui n’auront pas de respirateurs vont forcément mourir. En Italie, explique-t-il, ils n’ont pas un problème de connaissance médicale. C’est un pays développé. Ils n’avaient juste pas de respirateurs. ‘’Donc, nous devons tenir compte de cette situation. La bataille, c’est la bataille de la prévention. Dans les deux semaines à venir, les choses pourraient être beaucoup plus claires. Mais avec ce qui se passe actuellement, personne ne doit être rassuré. Les deux semaines nous édifierons. Mais il faut comprendre que dans les épidémies, quelles que soient les prévisions, des surprises sont toujours possibles. Les épidémies peuvent aller dans un sens qu’on n’avait pas prévu. Il faut prévoir le pire et si le pire n’arrive pas, tant mieux. Prenons toutes les dispositions’’. 

Le pays, dit-il, n’a pas encore de cas graves. Il y a que des cas sévères, mais il ne faut pas attendre. ‘’C’est dès maintenant qu’il faut chercher à avoir un nombre suffisant de respirateurs. C’est comme ça que le combat peut se gagner plus facilement’’, explique Prof Seydi.

‘’Au centre de traitement de Fann, nous avons tout ce dont nous avons besoin, pour le moment’’

Par ailleurs, il précise qu’au centre du traitement de Fann, ils ont tout ce dont ils ont besoin, pour l’instant. ‘’Même les examens complémentaires, nous arrivons à les faire au lit du malade. On est en train de tout faire pour avoir un appareil qui nous permettra de faire la dialyse des insuffisants rénaux, ici, au lieu de les amener ailleurs. Ce plateau que nous avons ici, qui est très correct, n’est pas facile à obtenir partout. C’est possible, mais ce n’est pas facile. Je ne vais pas dire que tout ce que nous avons à Fann, on l’a ailleurs’’, fait-il savoir.

À Diamniadio, souligne l’infectiologue, c’est un joli hôpital très moderne. La prise en charge est excellente. En ce moment, informe le médecin, il y a plus de 50 patients hospitalisés à Diamniadio. ‘’Mais on n’a pas encore de radio mobile. Cela ne s’aurait tarder. Nous avons obtenu des lits au niveau de l’hôpital de Malte où nous aurons au minimum plus de 20 lits. Ce matin, il m’a été promis une cinquantaine de lits à l’hôpital Dalal Jam. On est en train de s’adapter. L’idéal, c’est d’avoir au moins une cinquantaine de lits qui soient déjà prêts, avant qu’on ait des cas. Les autres centres ont également le maximum, mais il y a des choses qui restent. À Touba, je ne suis pas sûr qu’on puisse aussi facilement obtenir un service de réanimation de plusieurs lits’’.

A en croire le professeur Moussa Seydi, le président Macky Sall a pris toutes les mesures qu’il devait. Maintenant, renseigne-t-il, le combat est à deux niveaux. Il s’agit, pour lui, de la communauté. C’est-à-dire qu’elle respecte les mesures prises par l’Etat et celles-ci pourraient s’endurcir, si l’épidémie ne régresse pas. Le deuxième niveau, c’est le ministère de la Santé et de l’Action sociale. ‘’C’est-à-dire de notre côté, nous devons tout faire pour prendre en charge correctement les malades. Ceux qui sont à la surveillance doivent faire correctement leur travail. Ceux qui s’occupent des contacts doivent le faire correctement. Ceux qui sont au niveau central doivent agir pareillement dans la mobilisation des ressources et surtout être rapides’’.  

VIVIANE DIATTA

Section: