Publié le 4 Aug 2016 - 00:22
VILLAGE DE RECLASSEMENT SOCIAL

Dans l’antre de la ‘’léproserie’’ de Mballing 

 

Situé dans la commune de Malicounda, département de Mbour, Mballing fait partie des neufs villages de reclassement social. Dans cette localité où les habitants vivent d’agriculture et de pêche, les guéris de lèpre racontent leur vécu et demandent l’abrogation de la loi 76-03 du 25 mars 1976 qui régit les villages de reclassement social. Reportage

 

Ils vivent souvent seuls, dépourvus de tout. On ne les considère pas souvent comme partie intégrante de la population. Les habitants de villages de reclassement social vivent dans ‘’leur monde’’, sans amis parfois. Ceux de Mballing ne font pas exception. Un vent timide souffle, soulevant la poussière. Des enfants sautillent et courent dans tous les sens.

Les mamans s’affairent à la préparation du déjeuner. Des maçons s’affairent sur un chantier. Ils sont en train de construire des salles de classe pour l’école élémentaire. En dehors de ces îlots de vie, c’est le calme total. Situé dans le département de Mbour, commune de Malicounda, à côté de l’Océan Atlantique, Mballing a vu le jour en 1955, à une époque où la maladie était incurable. Pour les autorités, il s’agissait de regrouper ces lépreux, ainsi que les personnes atteintes de la maladie du sommeil pour les éloigner de la société.

A cette même date, raconte le chef du Village Assane Kadam, il n’y avait que 122 habitants. Il fait partie des 122 personnes qui ont passé la première nuit dans ce village construit pour accueillir les malades de la lèpre. ‘’Nous étions à la trypano (diminutif de la trypanosomiase). Un centre dans lequel on recevait les victimes de la maladie du sommeil. Il se trouve à 1,5 km de Mballing. Ensuite, il y a eu la lèpre. Pour éviter la contamination, on a déplacé les malades dans un autre centre appelé ‘’contagieux’’, dont l’appellation a été transformée à ‘’contancé’’. Après l’incendie qui a ravagé ‘’contancé’’, les malades ont été déplacés à Mballing, dans la nuit du 13 au 14 juillet 1955. Cinq bâtiments y sont construits, plus le dispensaire et le logement de l’infirmier chef de poste’’ raconte Assane. 

Lui, n’est pas malade de la lèpre. Il a suivi dans le village son père qui avait la maladie du sommeil. En effet, au moment de transférer les lépreux à Mballing, son papa a été réquisitionné pour aider les médecins français. ‘’Les malades étaient agités quand on les traitait. Mon père les maîtrisait afin qu’on leur fasse les injections. Il est devenu le chef de village. Il se chargeait de la nourriture des malades’’, se rappelle ce père de famille.

 En 1976, une loi a transformé les léproseries en ‘’villages de reclassement social’’ pour que ces camps d’internement deviennent des lieux plus ouverts, où les malades et leurs familles puissent retrouver une activité sociale. Mballing est l’un de ces neuf villages. Avec le temps, il est devenu une ville. Il abrite 250 à 300 malades et anciens malades sur une population de plus de 5 000 habitants.  Il se distingue par sa propreté. Les activités les plus pratiquées sont la pêche et l’agriculture.

‘’Avec l’évolution de la médecine, la lèpre a connu une baisse dans ce village. Beaucoup sont guéris. Les gens ont eu la chance d’avoir la mer et des terres cultivables. Nous sommes des pêcheurs, des agriculteurs et nous faisons l’exploitation forestière. Nous faisons le petit commerce avec la transformation des produits halieutiques. Les gens quittent leur région et pays pour chercher du travail à Mballing. C’est ce qui fait le développement du village. Bien que l’on soit malade, nous n’allons pas attendre que tout nous vienne du ciel. Nous faisons des activités génératrices d’argent’’, narre ce sexagénaire et père de 8 enfants.

Une cantine pour nourrir les démunis

Certes la pauvreté et la promiscuité se côtoient toujours dans cette localité, mais la solidarité fait la force de ses habitants. Certains la considèrent même comme une zone touristique. Mballing a tout pour permettre la réussite de ses enfants. Des écoles maternelles et élémentaires, un groupe d’épargne et de crédit, un poste de santé, une maternité et un collège d’enseignement moyen qui porte le nom de l’ancien chef du village Cheikh Moussa Kadam. Une cantine financée par l’Organisation non gouvernementale Leprahelf nourrit les familles diminues. Selon la responsable de la cantine Ndèye Diakhaté, on ajoute les dons des habitants à ce que donne l’Ong pour aider les cas sociaux.

‘’Chaque jour, nous préparons 25 kilogrammes de riz que l’on partage à ces familles. Nous faisons le déjeuner et le dîner.  C’est plus de 200 familles que nous prenons en charge. Pendant le mois de ramadan, le nombre augmente. Nous recevons 300 familles’’ explique Mme Diakhaté. D’ailleurs, les bols sont visibles sur les lieux. Chaque famille envoie un récipient où mettre le repas. Les enfants attendent avec impatience le service. La dame n’est pas uniquement responsable de la cantine. Elle s’occupe également de tout ce qui touche la prise en charge médicale des démunis.

Lorsqu’une personne est malade et n’a pas les moyens pour payer son ordonnance, elle intervient. Cette dernière tamponne la prescription afin que le malade puisse bénéficier des médicaments à la pharmacie. ‘’C’est l’Ong qui rembourse la pharmacie du poste de santé. Chaque fin du mois, tout est comptabilisé pour le remboursement. Nous avons ouvert aussi un centre de couture pour les enfants’’, renseigne-t-elle fièrement. Cette solidarité, en plus l’aide des Ong, fait avancer le village.

Plus loin, ils sont une dizaine, tous officiellement guéris de la lèpre, et assis les uns contre les autres. Leur vision rappelle les peurs ancestrales liées à cette vieille maladie de la pauvreté. Pieds-bots, simples moignons de jambe ou de bras, mains sans doigts, visages déformés, yeux ouverts qui ne peuvent plus se refermer. C’est le visage ancien de la lèpre qu’évoquent ces impressionnantes séquelles. Très courtois, ces anciens malades lépreux, même s’ils ne veulent pas raconter leur vécu, vous le font comprendre de façon courtoise. Toutefois, certains regards trahissent parfois l’envie de s’ouvrir à la presse. Mais quelque chose les en empêche. On ne sait pas trop ce qui se passe. Quand quelqu’un parle, ils font tous des mouvements de la tête, comme pour confirmer les propos.

L’histoire de Djibril, chassé de Dakar

Âgé de 58 ans, Djibril Sène est guéri de la lèpre. Il a vécu  pendant 28 ans avec la maladie. Aujourd’hui, il s’estime heureux, même si elle lui a laissé des séquelles : des mains amputées de certains doigts.  Ce natif de Diourbel et père de 7 enfants a quitté sa région à la recherche de soins à Mballing. Finalement, il y a trouvé demeure avec sa petite famille.

Il accepte de raconter son histoire à EnQuête. ‘’J’ai commencé par voir de nombreuses taches sur mon corps. A l’époque, j’ignorais ce que c’était. Au fur et à mesure, les taches se sont multipliées. Quand je suis parti à l’hôpital de Diourbel, le médecin ne savait pas ce que c’était’’, narre-t-il. En ce moment-là, la maladie n’était pas trop connue. Un jour, il a rencontré un ami qui lui a demandé de se rendre à Mballing pour se faire dépister d’une maladie qu’on appelle la lèpre. ‘’Quand je suis arrivé, les médecins se sont rendu compte que j’avais la lèpre. On a commencé le traitement. Mais les médicaments n’étaient pas très disponibles, à l’époque. Avec l’aide de Dieu et des médecins, je suis guéri. Mais, avec des infirmités’’, raconte M. Sène.

C’est là où a débuté son calvaire. Avec 7 enfants et une femme à nourrir, en plus de son infirmité, le seul moyen qu’a trouvé Djibril Sène pour sortir sa famille du besoin, c’est la mendicité. ‘’Je me suis rendu à Dakar pour faire de la mendicité. Je passais les nuits dans les rues de la capitale à tendre la main. Chaque jour, les policiers nous traquaient. C’était la seule solution pour moi de subvenir aux besoins de ma famille’’, dit-il. Finalement, ils ont été chassés de la ville.

Il est retourné à Mballing. Actuellement, sa famille fait partie de celles aidées par la cantine et les voisins. ‘’Je suis très fatigué. Nous n’avons aucune aide venant de l’Etat. Tout le soutien que nous avons vient de l’Ong Daho et de notre maire. Tous les jours, on nous demande de faire des projets. Nous les avons déposés, mais nous n’avons pas reçu de réponse. C’est très dur pour nous de vivre sans travail. Il faut que l’Etat nous aide. Cette aide doit commencer par l’abrogation de la loi 76-03 du 25 mars 1976 qui régit les villages de reclassement social. Cela fait mal, quand on dit que la commune de Malicounda est composée de 21 villages, alors qu’elle en a 22’’, implore M. Sène.

‘’Nous voulons notre indépendance’’

Un appel appuyé par Assane Kadam qui demande à l’Etat de prendre en charge tous les cas sociaux du village. ‘’C’est vrai que beaucoup ont bénéficié de la bourse de sécurité familiale. D’autres sont enrôlés dans les mutuelles de santé. Actuellement, je suis en train de confectionner les photos pour qu’ils puissent commencer à bénéficier des soins gratuitement.  Mais, village de reclassement social, c’est une étiquette qu’on nous a collée que nous avons dépassée. Dans la forme et dans le fond, nous n’en voulons plus. Nous avons fait beaucoup de démarches pour l’abrogation de cette loi, en vain. Nous sommes des villages comme tous les autres villages. Du social, il y  en a partout. Nous voulons notre indépendance. Qu’on nous débarrasse de ce reclassement’’, peste M. Kadam.

VIVIANE DIATTA

 

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