Publié le 18 Mar 2019 - 00:33
VOILE DE POUSSIERE

Dakar dans l’air du mauvais temps

 

La qualité de l’air s’est détériorée, ces trois derniers jours, sur une bonne partie du pays. Un voile de poussière a vicié l’atmosphère, relevant plus d’un cycle météorologique saisonnier que d’une pollution anthropique, d’après le Centre de gestion de la qualité de l’air.

 

Sur une terrasse de Mermoz Pyrotechnie, impossible de deviner le contour habituellement visible du monument de la Renaissance et le petit décor de petites habitations ouakamoises qu’il surplombe. Une couche de poussière réduit la visibilité à moins de deux kilomètres sur le centre-ouest du pays à Dakar, comme l’avait prévu l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) dans un communiqué tombé lundi soir. Dans le Nord, les prévisions sont plus ‘‘sombres’’, puisqu’elle est réduite à moins d’un kilomètre. Dans le même temps, l’avis concordant du Centre de gestion de la qualité de l’air (Cgqa) affichait le signal rouge, le quatrième et dernier indice de son échelle sur la qualité de l’air signifiant ‘‘Très mauvais’’. 

Les prévisions sur ‘‘L’alerte à la pollution de l’air’’ ont donc tenu leurs promesses dans l’ensemble, avec une visibilité plus améliorée, avant-hier jeudi. Il y a un peu plus de deux mois, le jeudi 4 janvier, une alerte similaire avait placé la capitale sénégalaise en vigilance rouge pour les mêmes raisons. Les Dakarois ont dû souffrir jusqu’au 10 janvier avant de voir la qualité de l’air s’améliorer. Est-ce dans l’ordre normal des choses ?  Réponse affirmative du chef du Cgqa, Aminata Mbow Diokhané, pour qui il est question d’un phénomène cyclique. ‘‘Nous pouvons dire oui, en cette période de saison sèche (mi-novembre à fin mai), il y a des apports de masses d’air chargées en particules en provenance du Sahara qui entrent par les régions du Nord et de l’Est et qui balayent tout le Sénégal’’, a-t-elle répondu par courriel aux interrogations d’’’EnQuête’’ sur ces voiles de poussière qui appesantissent l’air. Le Cgqa est logé à la Direction de l’environnement et des établissements classés du ministère de l’Environnement et du développement durable (Medd).

Des explications qui rejoignent un rapport 2016 du Medd sur le suivi de la qualité de l’air à Dakar. Ce dernier concluait que la période actuelle, janvier à mars, était la plus polluée de l’année et celle entre juillet et octobre comme la plus saine.

Causes anthropiques

Mais à côté de cette principale cause naturelle saisonnière, il y a des origines anthropiques, même si Mme Diokhané semble les circonscrire à une portion congrue dans le déclenchement de ce phénomène. ‘‘Les causes d’origine anthropique sont relativement importantes, notamment aux heures de pointe où nous observons des hausses de concentrations. Leur part n’est pas à négliger dans le cumul des concentrations de polluants, même si la cause majeure des pics reste les tempêtes de sable et de poussière. Cependant, l’exposition chronique à des niveaux moyens de polluants d’origine anthropique peut, dans le long terme, s’avérer plus dangereuse que les pics de pollution’’, explique-t-elle.

La cause de ce relativisme est à chercher dans un classement erroné largement partagé sur les réseaux sociaux et attribué à l’Oms qui rangeait Dakar à la deuxième place de la ville la plus polluée au monde. D’après la vérification faite par Africa Check, les villes indiennes (quatorze au total) occupent le haut du classement. Dans le continent, c’est la ville d’Onitsha, au Nigeria, avec une moyenne de 594 microgrammes de particules fines par mètre cube de Pm10, qui occupe la tête. Par contre, Dakar, avec 141 microgrammes pour les Pm10, explique le site de vérifications des faits, n’est pas mieux lotie. L’indicateur Pm10 – particules fines les plus grosses (un millième de millimètre) qui sont évacuées de l’atmosphère le plus souvent très rapidement dans les heures qui suivent leur émission – est un des instruments de mesure utilisé.

‘‘Il est difficile de parler de classement, du fait de la rareté des données en Afrique, notamment en zone sahélienne impactée par les poussières désertiques qui s’ajoutent à la pollution anthropique. La pollution de l’air n’épargne pas les grands centres urbains comme Dakar. D’après l’Oms, les valeurs guides ne sont pas respectées, dans 92 % des villes où la qualité de l’air est mesurée.  Le Sénégal est le seul pays en Afrique de l’Ouest et un des rares dans le reste de l’Afrique à mesurer la qualité de l’air de façon continue et à diffuser les moyennes annuelles de particules (Pm10 et Pm2,5) auprès de l’Oms’’, poursuit le chef du Cgqa sénégalais.

7 millions de morts annuels à cause de la pollution de l’air

L’organe de santé mondiale donne pourtant des statistiques affolantes. La pollution de l’air est responsable d’un décès sur dix enregistrés dans le monde, selon la directrice du Département de la santé publique, de l’environnement et des déterminants sociaux de la santé à l’Oms, Maria Neira. ‘‘Nous pensons en particulier à la combustion d’énergies fossiles, qui contribue grandement à la pollution de l’air. Or, celle-ci tue 7 millions de personnes par an’’, a-t-elle soutenu en décembre dernier dans une interview avec le journal suisse ‘‘Le Temps’’, quelques jours avant l’ouverture de la grand-messe écologique, la Cop de Katowice (Pologne).

Ces chiffres alarmistes sont toutefois tempérés par Aminata Mbow Diokhané qui invite à relativiser et évoque l’argument saisonnier. ‘‘L’Oms ne fait pas de classement, mais encourage plutôt les pays à mesurer la qualité de l’air pour informer les populations et aider les pouvoirs publics à mettre en œuvre des stratégies d’amélioration de la qualité de l’air dans leur politique. En résumé, la qualité de l’air de la capitale se dégrade durant la saison sèche, entre mi-octobre et fin avril. Elle est moyenne, voire bonne durant la saison des pluies’’.

Pollution automobile

Toujours est-il que la pollution automobile est une réalité dans cette capitale. Les polluants suivis, le dioxyde de soufre, les particules en suspension, possèdent une particularité commune qu’est leur origine automobile. Selon la Division transport et circulation de la ville de Dakar, citée par le journal ‘’Vox Populi’’ en janvier 2018, 300 000 véhicules y sont approximativement en circulation. Sans compter que 8 000 voitures s’ajoutent au parc automobile tous les mois. La vieillesse de ce parc dakarois, celui du transport en commun notamment, n’est pas pour arranger les choses.

Si l’on considère les effets nocifs des révélations de l’enquête de l’Ong suisse Public Eye, en septembre 2016, la pollution prend plus d’ampleur. Des géants du pétrole livrent de l’essence toxique à l’Afrique de l’Ouest. Le principe pour ces traders est simple : les hydrocarbures destinés au continent étaient mélangés à des substances toxiques. Résultat des courses : la teneur en soufre, l’un des polluants le plus suivis, était (est toujours ?) supérieure de 200 à 1 000 fois aux normes européennes que dans les grandes villes de l’Ouest-Africain. Ce polluant a pour conséquence de provoquer des symptômes respiratoires aigus chez l’adulte et la baisse de la capacité respiratoire chez l’enfant.

Près de deux ans plus tard, en mai dernier, les nouvelles conclusions de l’Oms classe Dakar comme la 2e ville la plus polluée d’Afrique sur une dizaine de capitales qui lui ont transmis les données sur la qualité de l’air.  Le ministre de l’Environnement, Mame Thierno Birahim Niang, conteste vigoureusement, mettant en cause la non-exhaustivité des données et ‘‘la méthodologie scientifiquement inopportune et illogique’’. Mais le fait est incontestable. La capitale sénégalaise souffre de la qualité de son air. Elle ‘‘héberge la pollution’’ comme l’a du reste concédé le ministre concerné. 

Le Cgqa ne s’en laisse pas conter

Pour limiter les effets nocifs de la pollution de l’air, le Cgqa prend les devants. D’abord, par une communication qui se veut préventive. ‘‘Les messages d’alerte diffusés lors des pics de pollution sont d’une importance capitale. Ils permettent d’informer à temps les populations, afin de réduire à court terme les impacts de la pollution de l’air sur leur santé, à travers des gestes écologiques et des recommandations sanitaires en collaboration avec les professionnels de la santé’’, explique Mme Diokhané. Il est également question de grands projets verts pour contenir les causes naturelles.

Des activités de reboisement, fait savoir Mme Diokhané, comme le projet de la grande muraille verte, peuvent aider à lutter contre la pollution naturelle liée aux poussières désertiques et à contrecarrer le vent et l'érosion en provenance du Sahara et ainsi atténuer les concentrations de particules dans l’air extérieur. Dernier point d’une batterie de solutions non exhaustives, les projets structurants concernant l’énergie développés par les pouvoirs publics pourraient réduire considérablement les effets d’origine anthropique. La limitation des émissions toxiques est dans leur ligne de mire.

Le chef du Centre de gestion de la qualité de l’air est d’avis qu’‘‘à moyen et long terme, les politiques et programmes en faveur de la qualité de l’air devraient être renforcés. Parmi ceux-ci, on peut citer les projets comme le Train express régional (Ter) et le Bus rapide transit (Brt) qui vont utiliser des technologies moins polluantes et améliorer la mobilité urbaine, le programme de renouvellement du parc de transport public, la promotion du mix-énergétique par l’introduction progressive du gaz et des énergies renouvelables, la gestion écologiquement rationnelle des déchets entre autres’’, projette Mme Diokhané.

Recommandations sanitaires

En cas de pic de pollution, il est recommandé à l’ensemble de la population : de respecter scrupuleusement leur traitement médical en cours, ou de l'adapter sur avis de leur médecin ; de consulter leur médecin en cas d'aggravation de leur état ou apparition de tout symptôme évocateur (toux, gêne respiratoire, irritation de la gorge ou des yeux).

Il est également recommandé d'éviter toute activité physique ou sportive intense (notamment compétition) augmentant de façon importante le volume d'air et de polluants inhalés ; de veiller à ne pas aggraver les effets de cette pollution par d'autres facteurs irritants des voies respiratoires, tels que l'usage de solvants et surtout la fumée de tabac ; les enfants et les personnes âgées devraient éviter de s'exposer longuement à l'air ambiant pendant la période.

OUSMANE LAYE DIOP

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