Publié le 19 Jul 2019 - 20:22
VOL DE BETAIL A SEDHIOU

Guerre froide le long de la frontière sénégalo-Bissau guinéenne  

 

La tension est vive à la frontière entre le Sénégal et la Guinée Bissau. Tous les éleveurs du département de Goudomp, région de Sédhiou, sont armés et déterminés à protéger leurs biens et faire face aux voleurs organisés en bandes armées qui écument la zone. Ils accusent l’Etat sénégalais de laisser faire et les autorités bissau-guinéenne d’être de connivence avec ces bandes. EnQuête s’est rendu dans le département de Goudomp et le long de la frontière Sénégalo-Bissau-guinéenne.

Reportage

Lundi 15 juillet 2019, dans le ciel, de gros nuages assombrissent le département de Goudomp, localité située dans la région de Sédhiou. Malgré cette menace de pluie, une douce chaleur règne. A perte de vue, une nature généreuse étale sa verdure. Cette beauté sauvage étreint le visiteur. Mais, pas sûr que les populations de la contrée y soient encore sensibles, à cause des vols récurrents de bétail dont le département de Goudomp est en proie.

Un phénomène devenu un véritable cauchemar pour les éleveurs et qui se traduit en guerre froide, le long de la frontière. EnQuête s’est rendu dans les communes de Djibanar, de Samine, de Niagha, de Simbadi Balante, de Tanaff, entre autres, du département de Goudomp. Le constat est que la quasi-totalité des propriétaires de troupeaux rencontrés ont des fusils sans ou avec autorisation administratives. Le port d’armes est un constat général. Une inimitié grandit entre les peuples des deux pays éleveurs.

Des milliers de bêtes emportées en Guinée Bissau, depuis des années

Les vaches sont les premières victimes de ces vols. Ensuite, il y a les moutons et les chèvres. Le département de Goudomp a reçu plusieurs visites d’individus non encore identifiés qui ont emporté avec eux des centaines de bêtes. Le 03 juillet dernier, 200 têtes de bœufs appartenant au président des éleveurs de Goudomp ont été emportées par une bande armée en direction de la frontière avec la Guinée Bissau. Les faits se sont déroulés à Baconding, un village situé à quelques jets de pierres du chef-lieu de département. Après avoir constaté la disparition des bêtes, les populations, comme d’habitude, se sont lancées à leur trousse. Après de longues heures de recherches dans la zone frontalière, elles ont pu retrouver 198 têtes de bœufs vers Singhere, commune de Kaour.

Dans le village de Bafata situé à 5 km de la frontière avec la Guinée-Bissau, commune de Djibanar, 25 vaches ont été emportées, il y a quelques jours, par des individus armés toujours en direction de la Guinée Bissau. Jusqu’aussi, les bêtes volées n’ont pas été retrouvées. La commune de Niagha n’est aussi pas en reste. Au cours des deux dernières années, 201 bœufs et 102 petits ruminants ont été volés, sous le regard impuissant de leurs propriétaires.

Ces quelques exemples prouvent que ce mal pourrait créer, un jour, une profonde crise diplomatique. Puisque les propriétaires sur les nerfs et excédés n’entendent plus se laisser faire. D’où la course à l’armement.

Payer pour récupérer ses propres bêtes

En effet, dans cette partie du pays, même le fait de partir à la recherche de ses bêtes volées peut être périlleux. Car, les bandits sont armés et prêts à tout pour garder leur butin. Au cours des recherches, les propriétaires sont exposés sans cesse à des attaques et, souvent, essuient des fusillades. Certains éleveurs arrivent à identifier leurs beoufs volés dans le territoire bissau-guinéen. Par contre, ils rencontrent toutes les difficultés du monde pour les récupérer.

« Il arrive qu’on nous demande de verser des sommes exorbitantes pour rentrer en possession de nos bœufs retrouvés. Il nous arrive de verser de l’argent, et parfois, nous perdons non seulement nos vaches retrouvées, mais également la somme donnée. C’est pourquoi, nous interpelons les autorités sénégalaises à prendre à bras le corps cette problématique, pour nous accompagner dans la lutte contre ce vol de bétail, mais aussi, nous aider en tant qu’éleveurs dans la recherche de nos bœufs volés et conduits en Guinée Bissau », s’exclament Moussa Baldé, propriétaire d’un troupeau de 300 bœufs.

D’après Assane Kourouma, élu local, ce phénomène demeure un fléau. « La population du département de Goudomp n’a plus le goût du lait naturel. La viande est devenue une denrée rare, tellement, elle est chère », dit-il. Arouna Mané ne dit pas autre chose et fait remarquer que « cette situation continue à nuire au développement du Balantacounda. Depuis tous petits bergers, nous conduisons nos vaches dans les rizières. Parfois, nous rencontrons des voleurs qui nous menacent de mort, si nous refusons de leur remettre nos bêtes ». « Les autorités sénégalaises et Bissau-guinéennes, poursuit-il, attendent que le pire se produise pour réagir. Ce sera alors trop tard ».

Les propriétaires de troupeaux armés de fusils

Interrogés sur le port d’armes, la plupart des propriétaires de troupeaux expliquent que qu’ils ne peuvent ‘’plus attendre les autorités sénégalaises et Bissau-guinéennes pour la promotion d’une approche transfrontalière qui prend en charge l’épineuse question du vol de bétail’’. ‘’Car, dit-on, chaque année, nous perdons des dizaines et des dizaines de bêtes. Chaque propriétaire de troupeaux a un ou deux fusils pour protéger son troupeau contre les bandits, parce que le vol de bétail est en augmentation, ces dernières années. Ce sont des millions de francs CFA perdus pour nous éleveurs ».

COOPERATION ATTENDUE ENTRE SENEGAL, GAMBIE ET GUINEE-BISSAU

Le constat d’une absence de volonté politique

Le 04 janvier 2018, les gouverneurs et maires des communes frontalières du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée Bissau se sont réunis à Bissau, puis à Ziguinchor pour promouvoir une approche transfrontalière qui prend en charge l’épineuse question de vol de bétail et des tracasseries liées à la traversée des frontières de ces trois pays. Le but de cette rencontre était surtout de mettre en place un réseau, afin de créer une meilleure collaboration entre les décideurs et acteurs non étatiques et de contribuer ainsi à une paix durable dans la Sénégambie méridionale.

Mais cette initiative n’a pas été concrétisée, faute d’un manque de volonté, d’engagement et d’abnégation de la part des autorités administratives des trois pays.

Mais, d’autres initiatives sont en train d’êtres prises pour la résolution du vol de bétail et l’apaisement du climat, le long de la frontière, renseigne Yoro Mballo, maire de la commune de Niagha, région de Sédhiou. « J’ai introduit des demandes auprès des ONG, pour avoir un soutien financier par rapport à une rencontre que je compte organiser à Lambang, village situé en territoire bissau-guinéen. Tous les éleveurs, les autorités bissau-guinéennes et sénégalaises et même le MFDC seront invités à cette rencontre capital dont l’objectif porte sur la résolution du vol de bétail, le retour de la paix, le long de la frontière sénégalo-Bissau Guinéenne. Mais, jusqu’ici, mes demandes ne sont pas encore satisfaites », soutient-il.

En attendant, les éleveurs rencontrés dans le département de Goudomp invitent les autorités des deux pays à trouver une solution durable à ce problème. Ils craignent un conflit ouvert entre les populations du département de Goudomp demeurant le long de la frontière avec celles de la Guinée Bissau. Car, disent-ils la coupe est pleine.

EMMANUEL BOUBA YANGA

 

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