Publié le 8 Feb 2014 - 03:22
VU DU RWANDA

Procès Simbikangwa, l'arbre qui cache la forêt

 

Le Rwanda dénonce depuis toujours l'inaction de la justice française. En janvier 2013, le procureur général rwandais en charge du dossier menaçait d'attaquer l'Etat français pour le contraindre à juger ou extrader les 25 suspects, au moins, présents sur son sol. Un an après, c'est toujours le statu quo.

 

Dans une interview exclusive accordée à Rwanda Today [publiée en janvier 2013], le procureur général [de la République du Rwanda], Martin Ngoga, a déclaré que son pays recherchait le cadre juridique le plus adapté pour poursuivre la France afin qu'elle réponde de ses actes.

Ngoga assure que le Rwanda est à bout de patience : Paris n'a pas réellement tout fait pour juger les suspects sur son sol, à défaut de les extrader vers le Rwanda, comme il s'y était engagé.

“En réalité, la France est le seul pays européen à n'avoir rien fait de tangible concernant les fugitifs du génocide, alors même qu'elle héberge le plus grand nombre de fugitifs inculpés”, s'indigne Ngoga.

“Sans compter ceux qui ne sont pas encore inculpés, mais qui pourraient se trouver sur le territoire français, poursuit-il. Je suis convaincu d'une part que la France en héberge le plus grand nombre, et d'autre part qu'elle n'a pris aucune mesure à cet égard. Dix-huit ans ont passé. Il est grand temps d'obtenir justice", souligne-t-il.

Même si certains mettent en avant des difficultés politiques et techniques, qui pourraient être réglées avec le temps, le Rwanda en vient à croire que ce qui manque, de la part des autorités françaises, c'est une réelle “volonté politique” de poursuivre les auteurs du génocide.

Nous avons contacté l'ambassade de France à Kigali. Elle nous a fait savoir qu'elle n'était pas autorisée à faire de commentaires sur cette question, celle-ci étant traitée directement par Paris. L'ambassadeur, Michel Flesch, dit aussi ne pas être au courant des dernières évolutions, car il a pris ses fonctions récemment.

De la poudre aux yeux ?

Le Rwanda accuse la France de “faire semblant” d'agir contre les fugitifs vivant sur son sol depuis dix-huit ans. Même si elle a installé une cellule spéciale pour les génocidaires en fuite, la France n'a jugé jusqu'ici aucune affaire, tout en assurant que leur extradition irait à l'encontre de leurs droits, ce qui aux yeux du Rwanda est “troublant”.

A plusieurs reprises, au fil des ans, Paris a envoyé des enquêteurs au Rwanda pour “mener des investigations indépendantes” sur les suspects, mais Ngoga n'y voit que de “la poudre aux yeux”.

Le Rwanda envisage donc en dernier recours des poursuites judiciaires, accusant la France de n'avoir fait preuve d'aucune bonne volonté sur ces affaires. “Nous ne pouvons pas baisser les bras, même si nous savons que ce sera un long processus, mais nous devons avoir le courage de passer à l'étape suivante, à savoir les poursuites judiciaires”, soutient Ngoga, sans préciser devant quel tribunal aura lieu un tel procès, ni dans quel délai.

Des relations tendues

La France abrite certains suspects du génocide les plus recherchés, et selon Ngoga il devrait y avoir un moyen légal de résoudre ce problème et d'en finir avec l'impunité. Il fait valoir qu'il existe des conventions internationales en vertu desquelles la France peut être poursuivie, d'autant plus que, comme le Rwanda, elle est signataire de la Convention de Genève et d'autres traités permettant de poursuivre les crimes internationaux.

Une fois que le Rwanda aura déterminé devant quel tribunal il peut poursuivre la France, il agira et ce sera au tribunal de décider de la suite, note Ngoga. “Cela devrait aller très vite, commente-t-il. Je ne suis pas le seul décideur, mais j'estime être en position de force du fait de mes responsabilités”, martèle le procureur général. 

Les deux pays ont des relations tendues depuis dix-huit ans, le Rwanda accusant la France d'avoir joué un rôle dans le génocide de 1994. Les précédents gouvernements français ont été en délicatesse avec le gouvernement de Paul Kagame [président de la République depuis avril 2000].

En 2006, les deux pays ont rompu leurs relations diplomatiques après l'inculpation de fonctionnaires rwandais pour crimes contre l'humanité par un juge français. Les relations bilatérales n'ont été rétablies qu'en 2009. Elles sont ensuite entrées dans une phase délicate, et, selon certains observateurs, demeurent fragiles.

Toutefois, Ngoga affirme imperturbablement qu'il ne saurait y avoir de bonnes relations diplomatiques avec un pays qui héberge des personnes suspectées de génocide.

Courrierinternational.com

 

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