Publié le 11 May 2020 - 21:44
WEEK-END MACABRE

Ces raisons qui fondent encore l’espoir

 

Face à l’inquiétude de plus en plus grandissante, à l’augmentation des cas graves et de décès, les spécialistes tentent de rassurer avec des chiffres encore assez satisfaisants, mais attirent l’attention sur la nécessité de renforcer le plateau technique, le personnel, mais surtout la prévention, pour parer à toutes les éventualités.

 

Les jours passent, l’inquiétude monte auprès des populations sénégalaises. Les questionnements se multiplient par rapport à la gestion de la pandémie de Covid-19, au vu du nombre galopant de malades et de morts. Ancien praticien des hôpitaux de Paris, médecin interniste, Docteur Alioune Blondin Diop rassure : ‘’Je suis à la fois circonspect, mais, d’un autre côté, je constate que nous sommes encore dans des proportions en deçà de la moyenne internationale, et même africaine. Il faut surveiller cette tendance jusqu’à la semaine prochaine, avant de dire si nous sommes dépassés par la situation ou si nous sommes encore dans les limites de la mortalité acceptable.’’

Pour lui, même si le nombre de morts a augmenté durant le week-end, les choses ne sont pas si inquiétantes que certains le laissent croire. ‘’Il faudra attendre encore un peu pour tirer des conclusions. Le seul véritable souci, ce sont ces patients plus ou moins jeunes qui décèdent. Par ailleurs, il faut aussi noter que les décès, certes, sont regrettables, mais ils peuvent servir à éveiller davantage certaines populations qui sont dans le déni de la maladie. Les gens pourraient prendre davantage conscience et appliquer les mesures barrières. Ce qui serait une bonne chose dans la lutte contre la pandémie’’.

Même si la situation est encore loin d’être alarmante, le spécialiste invite à un renforcement de la prévention et à un affinement de la stratégie pour éviter le pire. ‘’Le combat, soutient-il, c’est surtout dans la prévention et la détection rapide de la maladie, surtout chez les personnes qui ont des comorbidités. Je pense que nous sommes dans la bonne voie, avec l’augmentation des tests jusqu’à 1 300’’.  

Embouchant la même trompette, l’anesthésiste-réanimateur, Docteur Oumar Boun Khatab Thiam, insiste sur la prévention pour maitriser la maladie. Il faut, selon lui, renforcer la sensibilisation de la population pour le respect des mesures de prévention. ‘’C’est fondamental, affirme l’ancien chef du Service d’urologie de l’hôpital Le Dantec, si nous voulons gagner cette bataille. Il faut aussi renforcer la protection du personnel de santé avec des équipements suffisants, renforcer le plateau technique au niveau de tous les centres de traitement. De plus, il faut augmenter le personnel et leur faire un renforcement de capacités. Je regrette seulement que le Programme de lutte contre les infections nosocomiales (Pronalin) ne dispose plus d’assez d’outils pour jouer ce rôle comme il se doit’’.

L’équation des cas graves

Pour beaucoup, sous nos cieux, cas grave égal décès du patient. Certes, la corrélation entre les deux est assez robuste, mais les spécialistes signalent que c’est loin d’être une spécificité sénégalaise. Alioune Blondin Diop explique : ‘’En Italie, au début de l’épidémie, 100 % des gens qui arrivaient en réanimation mouraient. Ce n’est pas le cas ici. Il y a même des gens qui sont sauvés de la réanimation. Même si, effectivement, le taux de mortalité reste assez élevé à ce niveau.’’

A en croire le médecin-interniste, il faut faire la différence entre cas sévère et cas grave. Pour le premier, renseigne-t-il, c’est quand on a besoin de ventiler les poumons, c’est-à-dire le poumon n’arrive plus, tout seul, à assurer à 100 % sa fonction de ventilation et qu’il faille mettre de l’oxygène pour le suppléer. ‘’En revanche, indique-t-il, pour le cas grave, si on ne met pas de l’oxygène, la personne meurt tout de suite. Il faut donc un système de respirateur artificiel. On est même obligé d’endormir le patient pour qu’il ne respire pas contre la machine. Et là, c’est très grave et la mortalité est très importante partout’’.

Aussi, poursuit le Dr Blondin Diop, de cas sévère à cas grave, le pas est vite franchi. A ceux qui seraient tentés de croire que cas grave équivaut au coma, il explique : ‘’Ce n’est pas la même chose. Ici, on vous plonge dans une sorte de coma artificiel, pour éviter que vous ne respiriez contre la machine. On fait de sorte que c’est la machine qui respire à votre place. Cela permet de vous mettre toutes les drogues dont vous avez besoin, les antibiotiques, parfois les corticoïdes…’’

Pour son confrère Oumar Boun Khatab, cette corrélation importante entre cas grave et décès s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, il y a les complications liées à la maladie elle-même. ‘’Elles peuvent aller jusqu’à l’atteinte de plusieurs organes. Ce qu’on appelle une défaillance multi viscérale (atteinte du cœur, du rein, du foie, du cerveau, etc.), du fait de l’hypoxie. D’autre part, il peut y avoir des complications liées à la présence d’autres pathologies. Par exemple, le diabète, l’asthme, l’hypertension artérielle... Aussi, il peut y avoir un risque de surinfection lié à la ventilation invasive… (la ventilation avec un respirateur)’’.

Mais en cas de présence de comorbidité, sur quoi on peut se baser pour dire que c’est le coronavirus qui est responsable du décès et non l’autre pathologie ? Docteur Blondin Diop explique : ‘’Certes, le patient peut mourir de son diabète, car il existerait des complications mortelles (cardiaque, infectieuse, hypertension…). Mais ce dont on est sûr, c’est que quand quelqu’un a une infection, l’infection en elle-même est un facteur aggravant du diabète. Tous les diabètes qui sont déséquilibrés le sont par le fait d’une infection. On n’est donc pas certain que la mort n’est pas liée au diabète solo, mais le fait qu’il y ait le virus aggrave le pronostic.’’

La psychose du plateau technique et du déficit de personnel

Pour faire face à la pandémie, il faudrait également se doter d’un plateau technique à niveau. Pour sa part, Dr Diop estime que le Sénégal a encore une marge, en disposant d’une cinquantaine de ‘’lits chauds’’ pour seulement 7 cas graves. Mais, insiste-t-il, il faudra redoubler d’efforts, d’autant plus que la tâche risque d’être ardue dans les jours à venir.  ‘’Avec 50 lits de réanimation, on peut dire qu’on est en train de se préparer, mais il faut savoir que c’est difficile, si les choses continuent. Même les pays développés ont eu des soucis à ce niveau. On ne peut donc jeter l’opprobre sur le Sénégal’’.

Cela dit, Dr Diop consent qu’une chose est de disposer de lits, de matériel, mais c’en est une autre d’avoir aussi des ressources humaines suffisantes et de qualité pour les faire fonctionner. ‘’Un lit de réanimation, c’est une infirmière-anesthésiste, une infirmière de bloc opératoire, un aide-soignant, un médecin-réanimateur, un infectiologue… Donc 6 à 7 personnes qui s’occupent de ce patient en réa. Il faut de ce fait un personnel adéquat et suffisant pour cette prise en charge’’, explique-t-il.

Quant à l’ancien chef du Service d’urologie de l’hôpital Le Dantec, il fait remarquer que ‘’toutes les structures de prise en charge n’ont pas un plateau technique assez fourni, du point de vue de la biologie et de la radiologie, pour accompagner la réanimation. Il y a aussi un déficit en ressources humaines qu’il faudrait combler. Peut-être à Dakar, il y a un léger mieux, mais dans les régions, il faudra faire encore plus d’efforts’’.

MOR AMAR

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