Publié le 18 Aug 2018 - 02:13
TIEBILE DRAME, DIRECTEUR DE CAMPAGNE DU CANDIDAT SOUMAILA CISSE

 ‘’Nous ne rejetons pas les résultats du scrutin…’’

 

Président du Parti pour la renaissance nationale (Parena) du Mali, Thiébilé Dramé était candidat aux élections présidentielles de 2002 et 2007, où il était arrivé respectivement 4e et 3e. Après avoir refusé de se présenter en 2013 à cause du manque de transparence, il a décidé cette fois-ci de soutenir le candidat Soumaïla Cissé dont il était le directeur de campagne. Dans cette interview accordée à EnQuête, l’ancien ministre des Affaires étrangères crache ses vérités sur l’organisation du scrutin présidentiel malien.

 

Pouvez-vous revenir sur les raisons qui ont poussé votre coalition à rejeter les résultats du scrutin ?

Nous ne rejetons pas les résultats du scrutin. Ce que nous avons rejeté d’avance, ce sont les résultats manipulés qui sont publiés par le Ministère de l’Administration du Territoire, en charge des élections. Nous disposons d’un système de compilation sérieux qui, s’appuyant sur les PV des bureaux que nous ont envoyés nos mandataires, nous donnent gagnants à 51,93% devant Ibrahim Boubacar Keita. Parallèlement à cette compilation, notre mandataire désigné participait jusqu'au 14 août à la centralisation des résultats au Ministère de l’Administration Territoriale et il voit tous les jours de nouveaux votes comptabilisés par milliers pour le président sortant, sans aucun lien avec les procès-verbaux en notre possession. Ce sont ces résultats fabriqués pour permettre à IBK de conserver son pouvoir que nous rejetons. C’est un hold-up électoral qui confisque la volonté de changement des Maliens, clairement exprimée dans les urnes. Nous l’avions dénoncé au premier tour et la Cour constitutionnelle a fermé les yeux sur les fraudes et les bourrages d’urnes.

Quelles sont les preuves dont vous disposez pour parler de fraude dans ce scrutin ?

On n’a pas besoin de chercher des preuves, tellement c’est évident ! Vous avez des taux de participation de 95% au nord du pays quand ils atteignent difficilement, niveau national, les 40%. Mieux, vous avez 118 bureaux où sur 24 candidats au premier tour, Ibrahim Boubacar Keïta récolte à lui seul cent pour cent du vote. Alors si ce n’est pas du bourrage, qu’est-ce que c’est ? Quelle n'a été notre surprise, la veille du scrutin du second tour, de voir que des carnets de bulletins de vote circulaient en ville, alors que tout ceci devait être sous scellé dans les bureaux de vote. Alors, si ce n’est pas pour frauder, pourquoi le camp du pouvoir qui a la responsabilité de garantir la sincérité et la crédibilité du vote se met-il à distribuer à ses partisans des bulletins pré cochés ?

Avec toute cette confusion, le Mali ne risque-t-il pas de sombrer dans le chaos ?

S’il y a chaos, ce sera la responsabilité unique du Gouvernement qui a la charge d’organiser des élections crédibles. Plus que jamais, la situation du Mali exige que le pouvoir qui va sortir des urnes soit légal et légitime. Le drame serait qu’on laisse des gens confisquer le vote des Maliens. Dans une telle situation, le pays serait ingouvernable. Aussi, il est important que la CEDEAO, notre communauté sous régionale, surveille bien ce qui se passe au Mali et œuvre à faire respecter un minimum de règles démocratiques.

Quelles devraient être, selon vous, la posture de la Cedeao et du Sénégal dans ces conditions actuelles ?

Je crois que pour l’Afrique comme pour la Communauté internationale, la seule posture qui vaille est celle qui consiste à s’assurer du caractère sincère et crédible du scrutin. C’est seulement ainsi que le nouveau président pourra avoir une gouvernance apaisée fondée sur la légalité et la légitimité de son élection.

La décision de la Cour constitutionnelle est attendue dans les prochaines heures. Pourquoi ne faites-vous pas confiance à cette haute juridiction ?

La Cour constitutionnelle est une institution capitale au Mali. Nous ne remettons pas en cause l'Institution en tant que telle. Nous nous interrogeons sur l'impartialité de plusieurs de ses membres. Certains arrêts rendus ces derniers mois ne renforcent pas la confiance des Maliens dans cette auguste cour. Exemple : la validation du projet inconstitutionnel de référendum en 2017 ; ou plus récemment, le feu vert donné à une "instruction" gouvernementale violant la loi électorale sur les procurations (qui ouvrait la porte grande à la fraude).

Concrètement, qu’attendez-vous maintenant des juges constitutionnels ?

Nous attendons de la Cour constitutionnelle qu’elle dise le droit. Chacun a pu voir dans quelles conditions s’est déroulé le premier tour du scrutin. Malgré nos alertes sur le fichier électoral mis en ligne et sur les conditions de préparation et de déroulement du scrutin ; malgré notre demande restée sans réponse d’une certification internationale du processus électoral, tout ce que nous avions prédit s’est malheureusement réalisé : le premier tour a été émaillé d'irrégularités, de violations délibérées de la loi électorale et de bourrage d'urnes en faveur du président-candidat.

Il est évident que ces résultats provisoires ne sont pas le reflet du vote des Maliens, mais le fruit d’une frauduleuse opération de confiscation des suffrages des électeurs au bénéfice d'un candidat. Aussi, conformément à la loi électorale de notre pays, nous avons déposé au premier tour des recours auprès de la Cour constitutionnelle, notamment sur les très nombreux cas de bourrage d’urnes dans le nord et dans le centre du pays. Elle a purement et simplement rejeté toutes les requêtes déposées par les adversaires du président-candidat. Ce faisant, les juges constitutionnels ne renforcent pas la confiance des acteurs politiques en leur institution.

Certains estiment que Soumaila Cissé a été victime du défaut de solidarité dans l’opposition. Pourquoi, selon vous, votre candidat n’a pu bénéficier du soutien des autres candidats de cette opposition, surtout Cheikh Modibo Diarra et Aliou Diallo arrivés respectivement 3e et 4e ?

Votre question devrait être plutôt posée à ces candidats.

Vous avez cité beaucoup de cas de fraude lors du premier tour. Pourquoi accepter d’aller au second dans ces conditions ?

Soumaïla Cissé a démontré depuis de longues années  qu'il est un républicain attaché à la stabilité du pays. Souvenez-vous, en 2013, il a félicité, avec épouse et enfants, IBK, sans attendre la proclamation officielle des résultats. Il a décidé d'aller jusqu’au bout du processus pour ne pas fragiliser davantage un pays affaibli par cinq années de gouvernance chaotique, et que puisse s’imposer la dynamique du changement dont le peuple malien a tant soif. Le pays aurait été bloqué s’il n’y avait pas de second tour. Nous y sommes allés en toute connaissance de cause, avec la ferme volonté de limiter l’impact de la fraude. Heureusement que nous y sommes allés et avons clairement gagné ces élections.

MOR AMAR

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