Publié le 10 Sep 2018 - 01:48
SÉRÈRES NOON

Les maîtres de Thiès

 

Ils sont belliqueux et jaloux de leurs traditions et modes de vie. Réputés avoir le sang chaud, les Sérères Saafi, en général, et les Noon, en particulier, ont longtemps refusé toute cohabitation. Ils ont guerroyé pendant 4 ans contre le colon, dans les années 1860. Si on parle, aujourd’hui, de Thiès ville de refus, rebelle, on le doit, en grande partie, aux Noon. ‘’EnQuête’’ jette un coup de projecteur sur cette communauté du refus.

 

Premiers habitants de la ville de Thiès (sur la route de Fandène), les Sérères Saafi, en général, et les Noon, en particulier, ont occupé pendant longtemps le centre-ville et les installations de la gare ferroviaire. Ils étaient au cœur de la ville. Leur quartier général, Wango, était implanté là où se trouve la gouvernance de Thiès. Mais, avec l’arrivée des étrangers sur leur territoire, vers les années 1800, les Noon ont quitté le centre-ville, au risque de perdre leurs terres, notamment le village Thiagnakh (occupé aujourd’hui par l’hôpital Saint-Jean de Dieu) pour s’installer dans les périphéries. Un déplacement qui n’est pas fortuit et qui en dit long sur leur état d’esprit. D’après le vieux Pascal Déthié Ndione, dans un premier temps, ses aïeuls ne voulaient en aucun cas cohabiter, dans le temps, avec les Wolofs venus du Cayor et du Baol, par peur d’être ‘’contaminés’’ de maladies comme la fièvre jaune, la peste…

‘’C’est en 1860 que le colon est arrivé en terre thiessoise, après avoir conquis Diender. Dans cette confrontation, les Wolofs de Diender se rangeaient derrière les colons. Mais les Noon étaient de vaillants guerriers. Ils étaient invulnérables. Ils se sont battus avec les colons pendant au moins quatre ans, c’est-à-dire de 1860 à 1864. Dans le champ de bataille, les colons ne pouvaient pas battre les Sérères. Et c’était avec Pinet-Laprade (Émile Pinet-Laprade, un ancien gouverneur français du Sénégal, décédé en 1869 à Saint-Louis du Sénégal, auteur du premier plan cadastral de Dakar, Ndlr). Pinet-Laprade était étonné et Faidherbe (Louis Léon César Faidherbe, un ancien administrateur colonial au Sénégal, décédé en 1889 à Paris, Ndlr) avait décidé de rentrer en France’’, retrace l’enseignant à la retraite.

Aussi, révèle-t-il que face à la résistance des Sérères Noon, Émile Pinet-Laprade demanda encore un renfort de 3 000 soldats et des canons à Faidherbe. ‘’Le premier contingent neutralisé par les Noon était composé de 200 soldats. Ensuite, Pinet-Laprade avait envoyé un deuxième contingent de 300 et un troisième de 1 000 soldats. Ces derniers ont été tous anéantis par les Sérères Saafi. C’est grâce aux canons envoyés par Faidherbe que les colons ont vaincu les Noon, parce qu’ils ne pouvaient pas résister aux canons. Ils se sont battus à Thiès vers le Ndout, le Lékhar, Fandène, le Diobass… Un traité a été signé et la guerre a pris fin en 1864’’, expose Pascal Déthié Ndione.

Un peuple réfractaire

A la fin de cette bataille, les colons se sont emparés du centre-ville. Thiès a commencé à accueillir, avec l’implantation du chemin de fer, les Bambaras venus du Mali, les Toucouleurs, les Mandingues, en plus des Wolofs. Les Noon, de leur côté, décidèrent alors d’aller occuper les quartiers devenus aujourd’hui les Hlm route de Dakar. Les villageois de Thiès Noon aussi avaient décidé de quitter leur quartier qui se trouvait tout près du rond-point Diakhao pour s’installer dans les locaux de la base aérienne de Thiès. ‘’Le colon qui a conquis Thiès devait commencer à construire et à habiter. En 1879, ils ont entamé la construction du musée (près des Manufactures des arts décoratifs) et le camp militaire du dixième Riaom (10e Régiment d'infanterie d'Afrique et d'Outre-mer, Ndlr) et la base militaire. Les villageois de Thiès Noon, qui étaient à la base aérienne, ont été déplacés. C’est ce qui fait qu’on les trouve aujourd’hui sur la route de Dakar, à l’entrée de Thiès’’, précise le vieux Sérère Noon.

Aux dires de certains, les Sérères Noon n’ont jamais aimé la cohabitation. Autrement dit, dans le temps, ils étaient une communauté réfractaire à tout envahissement étranger. Leurs envahisseurs, notamment les Wolofs et les Toubabs, pouvaient être considérés comme leurs ennemis. ‘’Les Sérères Noon ont toujours refusé qu’il y ait une jonction entre les trois principaux envahisseurs, c’est-à-dire les Wolofs venus du Baol et du Cayor, les Bambaras venus du Mali et les Blancs. Il n’était pas question, pour eux, de les accepter sur leur territoire. Un écrivain m’a une fois raconté que le comportement rebelle des Thiessois, on le doit aux Noon. Les Noon autochtones ont toujours eu un sang chaud’’, lance ce journaliste qui a vécu plus de 15 ans dans la cité du Rail.

Une thèse corroborée par le vieil ‘’historien’’ des Noon. De l’avis de Pascal Déthié Ndione, même le grand résistant du Cayor, Lat Dior Ngoné Latyr Diop, n’osait pas se frotter aux Sérères Saafi. ‘’Lat Dior n’a jamais posé les pieds à Thiès, plus précisément dans la région Jankeen (qui compte 20 villages, Thiès-ville) où habitaient les Noon. Il n’osait pas. S’il était venu à Thiès, il aurait été battu par ces derniers’’, poursuit-il. Aussi, souligne-t-il, que la décision de céder le centre-ville a été prise pour éviter tout mélange avec les Wolofs, les Bambaras et les Toucouleurs. ‘’Ils étaient trop attachés à leur culture et à leur activité agricole. Ces derniers ne voulaient, en aucun cas, être envahis par qui que ce soit. Voilà pourquoi on dit que les Noon ont cédé face à la domination étrangère pour trouver refuge à la périphérie de Thiès’’, raconte-t-il.

Une communauté nomade

D’après l’histoire et selon le savant Cheikh Anta Diop, les Sérères Saafi viennent du Moyen-Orient, plus précisément de Canaan (en Israël, là où Jésus Christ avait réalisé le miracle, en transformant l’eau en vin, au cours d’une cérémonie de mariage, Ndlr). ‘’Canaan’’, en sérère saafi, veut dire ‘’ne te perds pas’’. Canaan, c’est aussi l’endroit où Abraham vivait avec son épouse Sarah. Lui qui avait quitté Aran, rappelle le vieux Pascal, avait trouvé sur place toutes les autres ethnies, y compris les Safi. ‘’Il leur a demandé de construire un sanctuaire devant leur servir de lieu de culte. Les autres ethnies refusèrent et seuls les Sérères Saafi ont accepté. Alors, commença la guerre contre les Saafi. Ne voulant se frotter aux autres ethnies, les Saafi avaient décidé de quitter Canaan. Ils traversèrent le désert pour rejoindre l’Egypte. Sur place, les Saafi décidèrent de s’installer à Yam, tout près du Nil, pour pouvoir utiliser l’eau du fleuve. A Yam, les Saafi commencèrent à fréquenter les Arabes. Ce fut le début d’un brassage culturel avec notamment la naissance d’enfants blancs’’, poursuit l’enseignant à la retraite.

Mais les Saafi ne voulurent pas de ce brassage culturel. Ils décidèrent encore de quitter le territoire égyptien. C’est ainsi que commença une dispersion. ‘’A l’aide de pirogues, une partie a quitté Yam, est passée par l’océan Atlantique pour s’installer au Maroc. Les Saafi se sont installés au Maroc, dès le 1er siècle, avec comme lieu de résidence Casablanca, Meknès (ville située au nord du Maroc, Ndlr). Les autres vont passer par le Nil, pour ensuite rejoindre le Nigeria où se côtoyèrent plusieurs communautés. C’est pour cette raison que le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique.

War Diabi Ndiaye, dernier roi des Saafi au Fouta

Les Saafi sont restés pendant longtemps au Nigeria. Mais, par la suite, il y a eu un éclatement. Les uns sont allés au Nord, les autres à l’Est et à l’Ouest. Ceux qui ont choisi la partie Ouest sont passés par le Soudan (actuel Mali), par les falaises de Bandiagara, avant de rallier l’embouchure du fleuve Sénégal’’, retrace-t-il. A l’embouchure du fleuve Sénégal, les Sérères Saafi y passèrent également beaucoup de temps. La preuve, dans le Walo, précise le vieux Pascal, les Saafi y ont laissé des noms comme ‘’Touneu Malaye’’ (‘’malaye’’, en sérère saafi, veut dire ‘’le sol’’ ou encore ‘’le sable’’), Diassap… ‘’Le Fouta que nous avons au Sénégal vient de Fout en Libye Antique. Fouta prend le nom de Fout. ‘’Fouta’’, en sérère, veut dire ‘’gonfler un peu, de sorte que ça prenne une forme de demi-cercle’’.

Et au Fouta, les Saafi ont eu un roi du nom de War Diabi Ndiaye (dernier roi des Saafi, entre 1770 et 1776). War Diabi veut dire ‘’on aime ce gars’’. C’est ce roi qui avait demandé aux Saafi d’abandonner leur culture pour devenir musulmans. Ils ont refusé, disant que cela n’est pas possible, et le royaume a éclaté, parce que les uns et les autres ne voulaient pas être des musulmans. Après l’éclatement du royaume du Fouta, ils partirent par petits groupes et selon les liens de parenté. Ceux du Saloum sont partis les premiers, suivi des Sérères du Sine et les Sérères du Baol’’, raconte avec passion Pascal Déthié Ndione.

Fanaye, Félane et Fandène, les trois ‘’F’’

Lors de cette vague de départs du Fouta, les Sérères Saafi furent les derniers à quitter le territoire du roi War Diabi Ndiaye. Comme ils sont un peuple voyageur, les Saafi sont d’abord passés par le village de Fanaye Diéry (Saint-Louis), Félane (Fatick) pour ensuite rejoindre le village de Fandène (Thiès, 10 villages) qui, aujourd’hui, est devenu une commune de plein exercice et dirigée par le ministre des Forces armées Augustin Tine qui, lui-même, est un Sérère Noon. En sérère, on parle des trois ‘’F’’ et ce n’est pas gratuit. ‘’C’est Fanaye, Félane et Fandène’’, précise-t-il. Avant d’ajouter : ‘’Il y a deux villages qu’on retrouve dans les falaises de Bandiagara et qui portent les noms de Fandène et Ndofane (Kaolack)’’.

Aujourd’hui, on retrouve les Saafi un peu partout dans le département de Thiès. ‘’Les Saafi totalisent 11 villages, de Diassap à Koudiadiène (sawi sawi). Le Lékhar (17 villages), le Ndout (hutte en sérère) qui compte 18 villages. Les Safen comptent 60 villages et les Palor qu’on retrouve sur la route de Dakar comptent 15 villages. Ils sont également dans la commune de Kayar’’, souligne celui qui a passé 35 ans de sa vie au service de l’école sénégalaise.

GAUSTIN DIATTA (THIES)

 

Section: