Publié le 9 Aug 2012 - 11:40
MALI

Gao, KO debout

En mars, les Touaregs s'installaient à Gao avant d'en être chassés, trois mois plus tard, par les islamistes. Depuis, rares sont les journalistes qui ont pu s'y rendre. Reportage dans une cité à moitié vidée de ses habitants, où les "barbus" font régner la loi.

Gao n'est plus très loin. Le drapeau noir des salafistes flotte sur le barrage dressé au bord de la route. Le jeune qui nous arrête, mon chauffeur et moi, n'a pas plus de 14 ans. Il s'énerve en entendant la musique que crachote le vieil autoradio de notre véhicule.

« C'est quoi, ça ? hurle-t-il en arabe.

- Bob Marley.

- Nous sommes en terre d'Islam et vous écoutez Bob Marley ? ! Nous sommes des djihadistes, nous ! Descendez de la voiture, nous allons régler ça avec la charia. »

Un chapelet dans une main, un kalachnikov dans l'autre, il me rappelle ces enfants-soldats croisés vingt ans plus tôt en Sierra Leone... Les enfants sont souvent plus féroces que les adultes. Nous nous empressons de l'assurer de notre fidélité à l'islam, avant d'être autorisés à reprendre la route.

Nouvelles recrues

Quelques kilomètres plus loin, à l'entrée de la ville, se dresse un nouveau barrage, tenu cette fois par un Algérien au teint clair - si clair que je le prends d'abord pour un Français. Il s'amuse de ma méprise. C'est une nouvelle recrue. Venus d'Algérie ou d'ailleurs, tous se retrouvent au commissariat de police, rebaptisé siège de la « police islamique » : Abdou est ivoirien ; Amadou, nigérien ; Abdoul, somalien ; El Hadj, sénégalais ; Omer, béninois ; Aly, guinéen ; Babo, gambien... Il y a là toute l'internationale djihadiste ! Lunettes noires sur le nez, le bas du visage mangé par une barbe abondante, un Nigérian explique qu'il est un membre de la secte islamiste Boko Haram, responsable de nombreux attentats dans le nord de son pays. Il parle du Mali comme de la « terre promise », fustige l'Occident et les « mécréants », et jure qu'il est « prêt à mourir, si c'est la volonté de Dieu ».

Bienvenu "chez les musulmans"!

Tous se pressent devant un homme de haute taille, Alioune. Originaire de Gao, c'est lui qui dirige la police islamique. Je n'ose pas lui rappeler que nous nous étions rencontrés il y a une dizaine d'années, quand il était encore un simple commerçant. Un talkie-walkie à la main, il pose devant un véhicule qui appartenait autrefois à la police malienne et qu'il a récupéré quand la ville est tombée entre les mains des islamistes, à la fin du mois de mars. Alioune m'assure que l'on est les bienvenus « chez les musulmans » et explique qu'il tient à ce que la sécurité règne dans sa ville.

Oussama

Les traces de la dernière bataille qui a opposé, fin juin, le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) et les djihadistes sont encore visibles. Les combats ont eu lieu près d'un bras du fleuve Niger, non loin du quartier général des rebelles touaregs. Les bâtiments qu'ils occupaient ont été criblés de balles. On m'explique que c'est Mokhtar Belmokhtar, l'un des principaux émirs d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui a dirigé l'assaut contre les Touaregs. Depuis plusieurs semaines, il a pris ses quartiers dans la cité des Askia. Il s'y est installé avec son fils, prénommé Oussama, en hommage au défunt leader d'Al-Qaïda.

La rue qui jouxte le commissariat accueille un marché bien achalandé : on y trouve, à des prix raisonnables, des turbans, des chaussures, des tapis, des légumes, des oeufs... À quelques mètres de là stationne un gros camion, immatriculé en Algérie et duquel sont déchargés (et vendus sur place) des épices, des fruits et divers produits alimentaires tout droit venus d'Algérie. En revanche, il n'y a plus de banque. Celles qui existaient avant la guerre ont été dévalisées, et l'argent devient de plus en plus rare. Pour les gens restés ici, pas d'autre moyen que de se faire envoyer des espèces par des parents installés dans le sud du Mali. Le procédé est souvent artisanal : on peut déposer à Bamako, au siège d'une compagnie de transport qui fait la liaison avec le Nord, une somme d'argent en espèces qui sera reversée, moyennant une commission, à son destinataire.

Dans la ville, difficile d'étancher ma soif avec autre chose que de l'eau minérale. Tous les bars et les hôtels ont fermé. Même les Ghanéens, qui, au quartier 4, faisaient un tord-boyaux connu sous le nom de « toukoutou » ont décampé. Finalement, moyennant 2 500 F CFA (3,80 euros), je parviens à mettre la main sur une canette de bière, importée clandestinement du Niger.

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