Publié le 16 Oct 2020 - 04:07
MAMADOU MBALLO, JURISTE FONCIER

‘’Les restrictions coutumières et religieuses sont interdites, mais…’’

 

Juriste foncier chargé de programme à l’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (Cicodev), Mamadou Mballo apporte ses éclairages.

 

Qu’est-ce qui explique le paradoxe selon lequel les femmes, plus nombreuses dans les champs, ont le moins accès au foncier ?

L’accès des femmes au foncier a été de tout temps un problème crucial et il le demeure. Si les femmes occupent l’essentiel des champs agricoles, elles n’en demeurent pas pour autant propriétaires de ces surfaces agricoles. Il s’agit là d’un fait qui cache mal la réalité au sein des territoires car, ici, l’accès se limite juste à la possibilité, pour une femme, de disposer d’une terre pour la réalisation d’une activité quelconque, sans que cela n’implique la possibilité de prise de décision sur cette terre.

D’ailleurs, dans certaines zones du pays confrontées à une saturation foncière ou ayant connu une redistribution des ressources foncières, ce simple accès est moins évident. Des considérations socio-culturelles et quelquefois économiques expliquent ce paradoxe.

Quels sont les facteurs bloquants de l’accès aux terres pour les femmes rurales ?

L’accès à la terre par les femmes en milieu rural est contrarié par une multitude de facteurs protéiformes. D’abord, dans les activités d’investissement à caractère industriel ou commercial, les obstacles qui se dressent pour permettre un accès correct des femmes à la terre sont liés à la faiblesse de leurs moyens économiques.

En effet, dans la plupart des documents officiels de développement économique et social, les femmes sont classées parmi les groupes vulnérables. Leur importance économique au sein des exploitations agricoles n’est généralement pas prise en compte dans l’économie rurale. En plus de la faiblesse de leur statut, beaucoup de femmes ignorent l’existence des lois qui pourraient leur permettre de faire valoir leurs droits. Mieux encore, quand elles les connaissent, elles n’osent pas remettre en cause les règles sociales, en particulier les rapports entre hommes et femmes. Ensuite, en zone de terroirs, l’accès à la terre se fait selon les règles coutumières, dans une relation sociale inégale, de dépendance, négociée et précaire pour la femme. Enfin, au niveau des périmètres aménagés par l’Etat, les cahiers des charges ne prennent pas toujours en compte les spécificités des femmes. Les parcelles attribuées aux groupements villageois féminins sont souvent situées dans les parties mal planées et les superficies octroyées ne tiennent pas compte du nombre de membres des groupements de femmes.

Que faudrait-il faire pour pallier le gap et permettre aux femmes de jouir pleinement de leurs droits fonciers ?

Le travail des différents acteurs engagés dans cette problématique a montré que les bonnes pratiques et les succès obtenus dans le domaine de l’accès au foncier par les femmes s’orientent fondamentalement vers la communication, l’information, la mobilisation et le plaidoyer. L’approche genre demeure tout aussi recommandée ainsi que des échanges constants entre le niveau de terrain (micro), le niveau intermédiaire (méso) et le niveau national (macro) et la valorisation des expériences des communautés (identification, analyse, capitalisation et diffusion des pratiques porteuses). Dans cette entreprise, on peut retenir notamment : l’importance des rencontres d’échange et de partage, la reconnaissance des droits et des législations, et le renforcement des capacités des femmes…

Où en est le Sénégal dans la mise en œuvre de l’Initiative Kilimandjaro pour l’accès et le contrôle des terres par les femmes ?

La charte a eu toute la reconnaissance qui lui est due au niveau de l’Union africaine où le président de Commission l'a présentée pendant le sommet de l’organisation en janvier 2017. Cet engagement au plus haut niveau du continent africain donne aujourd’hui une grande légitimité à l’action des femmes rurales. 

Au Sénégal, l’après Kilimandjaro a été ponctué par des actions de restitution de la charte des 15 demandes d’actions, de plaidoyer et de sensibilisation pour faciliter son appropriation par les acteurs du monde rural et les décideurs politiques. Les résultats sont fort encourageants, du point de vue du travail des organisations de la société civile qui ont réussi le pari de l’information et de la sensibilisation des femmes rurales sur l’importance de leurs droits fonciers et surtout l’intérêt que cela représente pour elles dans leur quête constante d’autonomisation. Aussi, les collectivités territoriales sont de plus en plus sensibles au combat sur les droits fonciers des femmes. Quand bien même il faut renforcer les efforts des décideurs dans l’accompagnement des femmes en termes d’intrants et de matériel agricole, les femmes bénéficient de plus en plus d’appui de la part de l’Etat.

C’est le cas, par exemple, à Kaolack où la Fédération nationale des femmes rurales est mobilisée dans des actions similaires par les services étatiques.

Le problème étant moins juridique que sociétal, qu’est-ce qu’il faut faire à ce niveau pour faire bouger les lignes ?

Depuis l’adoption de la loi sur le domaine national en 1964, le Sénégal a stabilisé dans une large mesure son système de gouvernance foncière et a créé les conditions d’un égal accès des hommes et des femmes aux ressources foncières. L’article 15 de la Constitution de 2001, plusieurs fois modifiée, garantit aussi bien à l’homme qu’à la femme le droit à la propriété. A cela, il faut ajouter que le Sénégal est signataire d’instruments internationaux comme la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedef) en 1980. En d’autres termes, les restrictions coutumières et religieuses à l’accès de la femme à la terre sont en principe interdites. Cependant, la réalité sur le terrain montre que les terres traditionnelles sont actuellement gérées le plus souvent suivant le droit coutumier, qui reconnaît rarement les droits des femmes sur le foncier.

Selon les statistiques disponibles à ce jour, les femmes ne détiendraient que 13 % de la superficie des terres en agriculture pluviale.

Il faut donc continuer la mobilisation de façon intelligente, en mettant à contribution certains acteurs clés comme les chefs de famille, les autorités traditionnelles et coutumières et surtout les collectivités territoriales, détentrices de la compétence de gestion des terres. De plus, il faut constater que la mobilisation de ressources financières au profit des femmes, facilite leur accès et contrôle des terres au niveau des villages, car il est connu que l’autonomisation de la femme est synonyme d’autonomisation de la famille.

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GANA CISSE, MAIRE DE NDIAGANIAW

‘’On satisfait toutes les demandes de femmes, mais on ne peut délibérer pour une femme qui ne demande pas’’

Dans la commune de Ndiaganiaw, une attention particulière est accordée aux femmes demanderesses de terres. Selon le maire Gana Gning, toutes leurs demandes sont satisfaites, sous la seule réserve d’être complètes. Il déclare : ‘’C’est compte tenu de leur dynamisme, mais aussi du gap énorme qu’il y a entre les hommes et les femmes. Je dois dire que la bonne présence des femmes au niveau du conseil municipal a aussi servi dans ce domaine. Elles font vraiment le plaidoyer qu’il faut pour la cause des femmes. Au niveau de notre commune, je peux vous assurer que toutes les demandes qui sont présentées par les femmes sont satisfaites. Nous ne rejetons que les dossiers mal faits.’’

Mais, s’empresse-t-il de préciser, il faut d’abord que ces dernières puissent déposer. Et c’est là que le bât blesse, si l’on en croit l’édile. ‘’C’est vrai qu’il y a de plus en plus de demandes, mais c’est encore timide ; surtout en ce qui concerne les demandes individuelles. C’est aussi parce qu’elles manquent de moyens financiers. La plupart des femmes préfèrent s’activer dans les petits commerces et autres.  Mais, de plus en plus, nous enregistrons des demandes de groupements et, à chaque fois, on les satisfait’’, souligne l’édile de Ndiaganiaw. Qui ajoute : ‘’Pour les 5 ans à la mairie, par exemple, il y a eu moins de 5 demandes individuelles faites par des femmes.’’

Face au manque de moyens, les alternatives ne manquent pas, selon Gana Gning. Il explique : ‘’Par exemple, nous avons eu à faire des délibérations au bénéfice de femmes soutenues par des ONG. De plus, avec des partenaires français, il a été convenu, à l’époque de la communauté rurale, d’aider des groupements féminins dans tous les villages à avoir au moins 1 ha. Les 10 projets qui avaient été présentés ont tous été satisfaits.’’  

Par rapport à la directive de l’Union africaine qui recommande de réserver 30 % des terres aux femmes, il acquiesce sur le principe, sous réserve des facteurs juridiques, économiques et sociaux. Parce que, consent-il, ‘’les femmes, en milieu rural surtout, sont les premières à se lever. Et elles sont les dernières à se coucher. Elles sont aux champs pour travailler, mais elles doivent également préparer à manger à la famille.’’

M. AMAR

 

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